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Le coût de l'éthique

Rapporté à la dépense totale, le coût unitaire de chaque recommandation de la Commission est de 746 000$.
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La mission de la Commission était la suivante: faire des recommandations en vue d'identifier, d'enrayer et de prévenir les activités de collusion et de corruption dans l'octroi et la gestion de contrats publics dans l'industrie de la construction. Au-delà du constat navrant de la répétition de l'histoire et de la faillite d'un système censé protéger le bien commun, quelles leçons peut-on tirer de cet effort d'enquête et des 60 recommandations qui en découlent? Le jeu en a-t-il valu la chandelle? Cet argent n'aurait-il pas été mieux utilisé à rénover une salle de classe ou boucher les trous d'une rue?

Rapporté à la dépense totale, le coût unitaire de chaque recommandation de la Commission est de 746 000$. Une majorité de celles-ci sont à caractère légal et entraineront des dépenses supplémentaires pour les implanter et les mettre en œuvre. L'ensemble de ces coûts dépassera-il celui de la collusion et de la corruption? En considérant que 13 milliards de contrats sont octroyés en moyenne annuellement et en estimant le coût de la corruption à 3% de ce volume, c'est 400 millions par année que les Québécois pourraient théoriquement économiser. De quoi largement oublier les 45 millions de frais de fonctionnement de la Commission. N'en déplaise aux esprits chagrins, même si la mise en œuvre de ces recommandations ne permettra pas d'éradiquer entièrement toute trace de corruption, la rentabilité de cet investissement public est excellente.

Cependant, ce serait une grave erreur de vouloir mesurer l'efficacité de la Commission de manière strictement comptable, à l'aune du nombre de blâmes envoyés, du prix par recommandation ou de la vigueur des mots employés dans un chapitre. Pendant 4 ans, la petite salle d'audience fonctionnelle et grise de la Commission a servi de caisse de résonance formidable à de nombreuses interrogations critiques sur la gestion des fonds publics, les politiques de la ville, l'action syndicale, la mesure de la performance, ou l'investissement dans les infrastructures. Le public est désormais davantage averti, les fonctionnaires des municipalités ont senti le vent du boulet, les entrepreneurs en construction savent ce qui peut leur en coûter de se retrouver sous les projecteurs, les firmes d'ingénieur ont mesuré le prix à payer pour leurs moutons noirs, les centrales syndicales ne sont plus des zones de non-droit. 45 millions c'était aussi le prix à payer pour ce gigantesque cours d'introduction à la morale et à la responsabilité publique.

La juge Charbonneau est réaliste et reconnait qu'aucune loi, aucun règlement, ni aucune mesure ne réussiront à eux seuls, à enrayer les phénomènes ayant fait l'objet de son enquête. Les commissaires appellent donc les Québécois à agir avec éthique, intégrité, honnêteté et rigueur afin d'éradiquer ces pratiques répréhensibles.

Par définition, les questions d'éthique surgissent dans des zones grises, peu prévisibles, et qui, sous l'action humaine, changent constamment de forme et appellent chaque fois des réponses spécifiques. Ce n'est pas un hasard si les lois, règlements et contrôles internes sont souvent en retard d'une guerre. Si l'éthique devient une affaire de procédure, alors celle-ci cesse d'être ce rendez-vous fondamental et imprévisible entre l'individu libre et sa conscience personnelle. Elle devient une façon de faire, une technique encadrée par l'adoption de règles à respecter sans tenir compte de l'intelligence, des ressources, du pouvoir et de la créativité de ceux qui voudront continuer à les contourner.

En définitive, plus que toutes les structures ou procédures du monde imaginables, la meilleure façon d'assainir les pratiques éthiques d'un milieu se joue dans l'éducation de la conscience professionnelle et personnelle. L'éducation des futurs fonctionnaires, des futurs entrepreneurs, des futurs ingénieurs, des futurs syndicalistes, ou des futurs politiciens. Bref, le coût de l'éthique pourrait bien être en partie celui que l'on refuse aujourd'hui d'assumer dans nos écoles, nos universités et nos centres de formation.

Ce billet de blogue a été co-écrit avec Marie-Soleil Tremblay, professeur en administration publique à l'ENAP.

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