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Portrait de femme: Eveline Mailhot, auteure

Eveline Mailhot quant à elle, ne se rappelle même plus quel livre a fait basculer sa vie pour faire d'elle une écrivaine: "J'ai oublié quel était le premier livre qui m'a provoquée, mais c'était avant mêmeet", confesse-t-elle en préface., son premier opus, est un recueil de 8 nouvelles. Un petit bijou made in Québec, publié par la maison d'édition québécoise, fondée en 2001 par Brigitte Bouchard, qui se distingue par des publications audacieuses et le soin accordé au livre en tant qu'objet...d'art.
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Jean-François Hétu

C'est la première fois que j'ai la chance, j'irai presque jusqu'à dire l'honneur, de découvrir un roman en avant-première. Je ne couvre que très rarement l'actualité littéraire, mais les livres et moi, c'est une histoire d'amour qui a débuté à l'âge de 11 ans grâce à Joseph Kessel, Boris Vian et Hervé Bazin. Eveline Mailhot quant à elle, ne se rappelle même plus quel livre a fait basculer sa vie pour faire d'elle une écrivaine: "J'ai oublié quel était le premier livre qui m'a provoquée, mais c'était avant même L'avalée des avalées et Le Père Goriot", confesse-t-elle en préface.

L'Amour au cinéma, son premier opus, est un recueil de 8 nouvelles. Un petit bijou made in Québec, publié par la maison d'édition québécoise les Allusifs, fondée en 2001 par Brigitte Bouchard, qui se distingue par des publications audacieuses et le soin accordé au livre en tant qu'objet...d'art.

Je n'ai peut-être pas la légitimité d'une académicienne pour dire ça, mais ce premier roman est indiscutablement remarquable! La plume tour à tour incisive, mélancolique, réaliste, drolatique, nous transporte à travers les moments de vie de ses personnages et notre propre vécu.

"Prenons plutôt un verre! J'ai voulu en offrir un à Bryan ici, mais il ne boit jamais. Jamais. Je lui ai demandé les raisons de son abstinence. Il trouve que ces amis on l'air stupide quand ils boivent. J'ai essayé de lui faire comprendre qu'il vaudrait mieux changer d'amis que de se priver d'un moyen parfaitement efficace de s'en faire toujours de nouveau, mais je ne suis pas certaine du tout qu'il me prenne au sérieux."

Cette citation montre l'étendue du talent d'Eveline Mailhot. A peine trentenaire, elle dépeint avec une lucidité fascinante nos plus grands questionnements existentiels sans cynisme ni complaisance. Son écriture ne ment pas; elle n'édulcore pas les absurdités de nos existences, celles qui nous font souffrir, nous poussant parfois aux regrets, parfois au dépassement de nous-mêmes.

En refermant ce livre, je me sentais un peu égarée, mais en même temps moins seule. Il y a quelques mois, j'entendais Frédéric Beigebeder (le féru de littérature et non l'auteur) dire que les livres que l'on aime sont le plus souvent ceux qui nous dérangent. Je partage cette opinion. Eveline Mailhot entre dans le café Else's (un de ses repères à Montréal). Elle est sourillante, elle a l'air drôle. Elle l'est! Elle s'installe en face de moi pour me donner sa première entrevue

Peux-tu te présenter à nos lecteurs/lectrices?

J'ai 32 ans. J'habite à Montréal. J'ai étudié la philosophie à l'université, en partie ici puis en Europe, à Bruxelles et Paris. A la fin de mes études, j'ai décidé de ne pas poursuivre en doctorat. J'ai travaillé en tant que rédactrice dans plusieurs milieux. Il y a 5 ans, j'ai décidé de me mettre à temps partiel pour écrire.

Tu dis dans ta présentation : "J'ai étudié la philosophie à Montréal, à Bruxelles et à Paris. J'ai appris là-bas, à quel point je viens d'ici." Que sous-entends-tu par là?

On est toujours très critique par rapport à chez soi. Il est plus simple de se critiquer soi-même que de critiquer les autres, en tout cas pour moi. Je ressentais cette espèce de haine pour l'Amérique que la plupart des jeunes conscientisés partagent. J'éprouvais un dédain profond pour cet impérialisme culturel omniprésent. Partir en Belgique m'a permis de comprendre combien la culture nord-américaine est riche. Elle renferme des éléments qui font partie de moi, de mon imaginaire.

C'est très difficile de faire des généralités parce qu'il y a des connards partout. Par exemple, les Parisiens ont la réputation d'être désagréables, voire insupportables. Ce n'est pas vrai du tout. J'ai plein d'amis français géniaux. Pourtant, d'une façon générale et de mon point de vue, le Québec est moins macho et moins convenu que la France dans ses codes sociaux. Je le ressens, surtout dans mes rapports avec les autres. C'est une des choses que j'aime du Québec.

Comment la philosophie t'a-t-elle menée à l'écriture? Comment est venue l'envie d'écrire?

L'envie d'écrire a toujours été là. C'est plus la philosophie qui est un détour. Quand j'étais jeune je voulais étudier en Lettres. Arrivée au Cégep, j'ai suivi des cours de philo. J'ai apprécié la clarté de pensée que cela me permettait de développer.

J'ai parfois peur d'être intimidée par la connaissance de quelqu'un alors que je ne la possède pas. La philosophie me permet de me situer dans un discours. Elle me donne les outils pour pouvoir discuter avec tout le monde. Avec les études littéraires, il est plus difficile d'apporter un éclairage aux grandes questions de la vie: qui on est, d'ou on vient? Je suis plus à l'aise à travailler des écrits théoriques que de fictions. La littérature, c'est un cheminement intellectuel moins évident parce que plus personnel.

Pourquoi écrire des nouvelles et pas un roman? On entend souvent dire que c'est un format plus facile. Moi j'aurai plutôt tendance à dire que le plus dure dans une histoire c'est de la finir... Qu'en penses-tu?

La nouvelle est venue un peu par hasard. J'ai commencé par écrire un roman. J'ai travaillé dessus pendant presque deux ans, mais j'ai fini par abandonner parce que c'était très mauvais. Je reconnais malgré tout que ça a été une étape nécessaire pour me débarrasser de certains défauts. Le paradoxe, c'est que je ne suis pas une grande lectrice de nouvelles. J'aime bien être prise dans une histoire, me sentir accompagnée par elle. En tant que lectrice l'interruption du récit me frustre dans une nouvelle. Pour l'écrivain en revanche, c'est un genre très intéressant, notamment pour apprendre à maîtriser la narration. Il faut toujours trouver une idée neuve. La nouvelle s'appréhende comme un marathon. Elle demande un autre effort, d'autres ressources. Voilà pourquoi je ne pense pas que la nouvelle soit plus facile que le roman. En même temps, je dis ça, je n'ai jamais terminé de roman. (Elle rit).

Comment crées-tu tes personnages? Quelles sont tes sources d'inspiration? Ton moteur dans l'écriture?

Je ne sais pas. Je me suis souvent posé cette question. Je crois que c'est différent à chaque fois. Je ne m'inspire pas directement de personnes qui font partie de ma vie, sauf si je sais qu'ils ne liront JAMAIS mon livre. Après, l'inspiration ne me tombe pas du ciel. C'est certain qu'il y a des rencontres, des événements, qui deviennent le point de départ d'un récit. Je puise parfois mes idées dans d'autres livres dont le propos ou la forme me surprennent. Enfin, évidemment, il y a les œuvres, les livres mais aussi les films et toutes les formes d'art qui ont nourri mon amour pour les histoires et accompagnent de près ou de loin mon parcours.

Met-on toujours une part de soi dans un roman?

Oui et c'est d'ailleurs là que réside toute la difficulté pour un auteur: se commettre sans être complaisant, tout en restant pertinent. La seule manière d'arriver à ça selon moi, c'est d'être le plus authentique possible. On entend souvent que tous les personnages d'un roman sont toujours l'auteur. Je pense que c'est un peu vrai. C'est bien moi qui mets les mots dans la bouche de mes personnages et qui identifie leur fil de pensée. L'écrivain est son propre filtre.

Quelles difficultés as-tu rencontrées (pages blanches, angoisses, etc.) et comment les as-tu surmontées?

Tout à l'heure je parlais de mon roman. Quand on écrit, il y a des deuils à faire. De la même manière, on est forcément confronté à la page blanche, à cause des problèmes personnels, de santé ou de la simple panne d'inspiration. On peut se sentir vide pendant des semaines, des mois puis viennent trois jours d'écriture miraculeuse. Ma méthode pour écrire: m'astreindre à une régularité dans le travail. Sinon ça ne serait jamais le bon moment. Lorsque vraiment je n'y arrive pas, je lis autre chose, je vais au cinéma ou boire avec mes amis... en grande quantité! Ça commence d'ailleurs à faire partie du problème! (Cette fois, c'est moi qui rigole de bon cœur.)

Combien de temps la rédaction de ce roman a-t-elle prise?

J'ai envoyé un recueil de 15, 20 nouvelles à Brigitte (directrice des Allusifs) l'automne dernier. Elle en a gardé seulement deux ou trois, dont L'Amour au cinéma qui l'a le plus interpellé à l'époque. A partir de là, nous avons décidé de concentrer le recueil sur le thème de l'amour au sens large, des relations d'intimité. Mes propositions de départ étaient beaucoup plus éclectiques.

Raconte-moi un peu ta vie d'écrivaine? On a tous en tête cette vision fantasmée de l'auteur-ours reclus dans son chalet avec pour seul compagnon son clavier d'ordi ou à l'inverse, celle de l'écrivain maudit asservi à un carburant créatif, alcool, opium, et autres psychotropes. Où et comment écris-tu le mieux?

Personnellement, j'ai besoin de temps, de beaucoup de temps pour faire peu. Je réalise régulièrement que j'écris des choses qui ne valent pas la peine. Le temps, est donc mon premier carburant! Je vois aussi mes amis, que ce soit dans un échange culturel ou juste autour d'une table. Quand je dis que je bois tout le temps des verres, c'est vrai! Ce n'est pas juste le vendredi ou le samedi soir. J'adore parler de la vie, partager des moments privilégiés avec les gens que j'aime. Ça me calme.

Écrire angoisse. C'est un geste tellement narcissique dans le fond... Voilà pourquoi, un regard extérieur et désintéressé reste fondamental pour avancer. On peut se faire lire par ses proches, mais pour moi, les critiques les plus constructives ont été celles de mon éditrice. Ce qui est étonnant, c'est qu'à chaque fois qu'elle me disait: "là, ça ne marche pas", c'était toujours sur des passages qui me faisaient douter. On a beau tenir à une idée; il arrive qu'elle ne fonctionne pas. Le plus dangereux pour l'écrivain, c'est qu'il se mente à lui-même.

Ensuite, je n'ai pas vraiment de lieu de prédilection pour produire. Je reste chez moi, je vais dans les cafés. Il m'arrive également de me retirer chez les moines, à Saint Benoît du Lac. Je ne suis pas du tout croyante, mais c'est bien de pouvoir se couper du monde, d'Internet et autres parasitages. Comme tout est pris en charge, les horaires, les repas, etc. Je n'ai rien d'autres à penser qu'à ma plume. Je n'y reste jamais longtemps car c'est un lieu imprégnant et très austère, mais néanmoins propice à la concentration.

En réalité, je jongle entre des rituels qui ne fonctionnent jamais longtemps: un coup les cafés, un coup chez moi, un coup les moines! Il n'y a pas de recette miracle pour l'écriture.

Il y a beaucoup d'ineffable dans ces nouvelles. Chacun peut reconnaître, dans ces portraits, ces moments de vie, une part de vécu. Nous avons tous un voisin seul et un peu fou, nous connaissons tous des couples qui se déchirent et qui se forment. Nous expérimentons forcément la solitude, l'absence, l'ennui, mais quel est le message de l'auteure derrière tout ça?

C'est vrai, je désirais montrer que tout le monde ressent les mêmes angoisses. Je me place un peu dans une posture existentielle avec ces textes. Peu importe l'âge et le sexe, chacun de nous exprime, même maladroitement, un besoin de reconnaissance. C'est pour cela que les choses ne sont jamais aussi faciles à catégoriser qu'elles n'y paraissent, encore moins dans les relations amoureuses. Les gens ne détiennent pas tous les mêmes outils pour affronter leurs problèmes. C'est cette diversité des parcours, des façons de faire et de voir la vie sur lesquels je voulais m'attarder pour aller voir plus loin.

Pourquoi avoir garder L'Amour au cinéma comme titre?

A cause du rapport au fantasme qui dans la plus part de mes personnages est la raison de leurs souffrances, avec cette idée de la vie qu'ils voudraient avoir et ce qui se passe réellement. Le cinéma évoque assez bien ce mécanisme de l'existence puisqu'il nous confronte au décalage entre la fiction et la réalité.

Je dois reconnaître que j'ai parfois été perturbée et surtout bluffée par cette clairvoyance, cette lucidité sans jugement sur la nature humaine qui se dégage de ces lignes. Tu arrives à décrire avec brio les ambivalences de l'individu. Comment acquiert-on aussi jeune cette capacité à retranscrire l'Homme?

Je ne sais pas comment ça se fait. J'ai étudié la philosophie pendant 5 ans et je ne me rappelle de rien. Par contre, je conserve des souvenirs des gens. La façon dont on observe les choses conditionne ce que l'on devient. Moi, je suis passionnée par les autres. Après, je ne peux pas vraiment répondre à cette question.

Qu'est-ce qu'on ressent une fois qu'on tient son premier livre publié entre les mains?

J'étais tellement contente! En plus, je trouve les graphismes des Allusifs vraiment beaux.

Je me souviens de cette journée. Brigitte m'a appelée vers 4h de l'après-midi, un vendredi. Elle venait de recevoir les premiers exemplaires. Je suis allée en chercher toute tremblotante et ensuite j'ai rejoint une amie pour boire, encore... et aller au cinéma, encore! Cette soirée là, j'ai croisé beaucoup de monde et chaque fois que je montrais mon roman, je me sentais stressée et euphorique comme quelqu'un qui s'apprête à monter sur scène. C'est physiquement émouvant.

Les livres sont mon seul fétichisme. Voir le mien publié, c'est une émotion intense qui n'appartient qu'à moi.

Ta nouvelle préférée dans ton livre?

Alors là, impossible de répondre à cette question!

De quel film parles-tu dans la nouvelle L'Amour au cinéma?

C'est un vieux en noir et blanc film de David Lean, The Brief Encounter.

Qui est ton écrivain préféré? Celui que tu détestes?

En ce moment, je dirais F. Scott Fitzgerald. J'ai lu Tender is the night, il y a peu et j'ai trouvé ça magnifique. J'adore son ton, le fait que chaque phrase vaut la peine d'être lue. Tu peux les prendre chacune hors de leur contexte, elles gardent leur sens. A travers mes lectures, je cherche à voir des choses que je n'aurai pas forcément perçues de cette façon et par-dessus tout j'aime les auteurs qui ont de l'humour.

Quant aux écrivains que je déteste, je ne les lis pas! Ce que j'ai vraiment trouvé très mauvais c'est Paulo Coelho. Je ne le considère même pas comme un écrivain. Il fait plutôt de la psycho pop.

Votre film préféré?

Si je devais en choisir un... (elle hésite longuement) North by nothwest (La mort aux trousses), d'Alfred Hitchock. Les films des années 40, 60 ont une écriture incroyablement riche et moins aseptisée de ce que l'on nous propose aujourd'hui.

Et l'avenir?

J'espère pouvoir continuer à écrire. C'est la chose qui me rend la plus heureuse, tout le reste m'angoisse parce que ça ne sera jamais assez pour remplir ma vie!

Je reste à discuter encore une heure avec Eveline, de la vie, de la France, du Québec, des Indignés, etc. Entre temps, une de ses amies nous a rejoint. Elles avaient prévu de boire un verre! Je quitte le café réjoui d'avoir pu rencontrer cette jeune femme brillante, humble, qui n'a pas la langue dans sa poche et se trouve dotée d'un humour décapant. Je suis tellement absorbée que j'en oublie de payer mon café. Éveline, je m'en excuse et quand les hasards de la vie ou ta prochaine publication nous amènerons à nous revoir, je saurai me rattraper. Quand un livre ne me quitte pas les mains, je garde toujours un œil sur son auteur. Vivement ton prochain roman!

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