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«Surveiller et Punir»: les faux mots d'ordre de la diplomatie

À l'occasion de la guerre en Syrie, l'idée de punition a resurgi dans le langage de la diplomatie. C'est dans ce contexte que j'ai voulu étudier le lien entre punition et recours à la force dans les relations internationales.
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Punir, c'est bien ce que semblent dire les mots qui accompagnent le visage de Bachar el-Assad en couverture de The Economist le 29 août 2013. Cette "Une" paraît à la suite du "massacre de la Ghouta", bombardement à l'arme chimique des banlieues de Damas le 21 août 2013, deux ans et demi après le début du conflit syrien. Affirmant la responsabilité de Bachar el-Assad, le journal met en scène l'injonction d'intervenir en Syrie au moment où les opinions et les politiques sont divisés.

A l'occasion de la guerre en Syrie, l'idée de punition a resurgi dans le langage de la diplomatie. C'est dans ce contexte que j'ai voulu étudier le lien entre punition et recours à la force dans les relations internationales.

Une posture punitive après le massacre de la Ghouta

Le "Massacre de la Ghouta" de 2013 inaugure le débat sur une intervention armée en Syrie. Dès le 27 août, François Hollande affirme lors de la Conférence des ambassadeurs "la France est prête à punir ceux qui ont pris la décision effroyable de gazer des innocents". Au même moment, David Cameron convoque les élus de la Chambre des Communes afin de débattre sur une intervention ciblée. Le 29 août, les élus votent contre une intervention militaire en Syrie.

En quatre ans de conflit et malgré les 215 000 morts, les frappes punitives promises ne sont jamais venues.

Or, l'intervention envisagée pouvait être justifiée au regard du droit international actuel. En effet, il s'agissait de punir un État violant la prohibition des armes chimiques, prohibition entérinée par la Convention sur l'Interdiction des armes chimiques entrée en vigueur en 1997. D'autre part il était question de protéger les populations civiles face à un gouvernement assassin, en accord avec la notion de "responsabilité de protéger" qui émerge au niveau du droit international dans les années 2000.

Une évolution morale de l'intervention punitive

Si l'on accepte la définition d'une intervention punitive comme l'usage de la force militaire à travers les frontières nationales visant à modifier les affaires internes d'un État violant une norme internationale, alors on peut considérer comme punitives un certain nombre d'interventions mais aussi de politiques étrangères tout au long du XXème siècle.

Tout d'abord, la diplomatie menée par Thomas Woodrow Wilson dans le cadre du droit élaboré par la Société des Nations (ancêtre de l'ONU) dans l'entre-deux-guerres, peut être considérée comme "punitive". L'outil utilisé par Wilson est la sanction économique, il en va ainsi des sanctions contre l'Italie en 1935 au moment où celle-ci décide d'envahir l'Éthiopie.

C'est aussi le cas pour l'opération Eldorado Canyon de 1986 menée par Reagan contre Kadhafi afin de le punir de l'attaque des soldats américains dans une discothèque de Berlin.

Enfin, les interventions menées par l'administration Bush à partir de 2000 et plus généralement la "Guerre contre la Terreur", s'assument comme punition après le 11 septembre 2001, tout comme les diplomaties de l'Union Européenne et des États-Unis conduites face à l'Iran d'Ahmadinejad à partir de 2005.

Mais, progressivement, avec la fin de la Guerre Froide, la guerre s'ambitionne "morale". L'intervention punitive est précédée d'une labellisation de l'ennemi : le concept d'"États voyous" forgé en 1994 sous la présidence de Clinton à l'initiative de son conseiller à la sécurité Anthony Lake. Les "États voyous" s'intègrent au début des années 2000 dans le système de l'Axe du Mal de la présidence Bush. Il s'agit, en reprenant les termes de Foucault, de viser non plus le corps du criminel mais son âme. Parallèlement, se met en place une expertise et un consensus autour d'une technique de punition : la sanction économique, qui se rêve un remède pacifique.

Les nouvelles techniques de la punition internationale

Deux vecteurs récents changent à nouveau la donne de la punition internationale. Le premier est le drone, arme punitive par excellence. Les frappes punitives appartiennent à l'idée de "guerre propre" popularisée dans les années 1990 qui épargnerait les civils.

Foucault associe la punition à l'idée d'une "surveillance hiérarchique" qu'il relie au projet développé par Jérémy Bentham dans les années 1780 : le panoptique qui permet à un seul regard de tout voir en permanence. Panoptique du monde contemporain, le drone est aussi un purgatoire. Le médiéviste Jacques Le Goff a montré que l'apparition du purgatoire dans la croyance chrétienne au tournant du XIIème siècle, était liée à la volonté de chercher une catégorie médiane de punition dans l'ordre social et moral. Le drone, lieu intermédiaire entre la guerre et la paix, illustre le désir de punir en même temps qu'il traduit les hésitations contemporaines du recours à la force.

Le deuxième vecteur contemporain d'évolution de la punition est l'usage des images. On a parlé à propos du conflit syrien d'une "guerre des images" dont l'enjeu était de convaincre les politiques et les opinions publiques du statut de victime. Le conflit est réduit à une dichotomie entre le dictateur-coupable et le peuple syrien-victime. Parmi les images diffusées au lendemain de l'attaque de la Ghouta, on distingue deux catégories : les images d'enfants et celles des cadavres entassés. Ces images s'inscrivent dans ce que Roland Barthes appelait la "photographie traumatique", elles font surtout écho à la mémoire collective des génocides et mettent en œuvre l'idée d'une "punition collective" infligée au peuple syrien par le régime. Le récit iconographique de la guerre oriente la localisation de l'ennemi.

"Punir": quand les mots dissimulent l'inaction

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"Hollande veut punir Assad", Charb, 10 septembre 2014, publié par LCI/TF1, Copyright © 2015 e-TF1

Et pourtant, malgré ces évolutions morales et factuelles, le langage de la punition ne prend pas en compte la métamorphose des formes de violence depuis la fin de la Guerre Froide.

D'une part la punition est restée une rhétorique simplificatrice au rebours de l'évolution du droit pénal international. Si le langage du droit international a longtemps été celui de la culpabilité, il est aujourd'hui celui de responsabilité. Depuis les années 70, la distinction entre combattant et non-combattant est essentielle dans la justification du recours à la force auprès des opinions publiques.

Aussi, ce qui différencie la punition de la vengeance c'est la présence d'une autorité légitime. Or celle-ci n'existe pas dans le système international. L'institutionnalisation de la punition fait encore défaut, en témoigne les débats autour de la légitimité et l'efficacité de la Cour Pénale internationale.

Enfin, on a vu avec les attentats de Paris de janvier 2015, qu'à la volonté de punir Assad se superpose la tentative de reprendre des contacts avec ce dernier dans l'objectif de mener la guerre contre le nouvel "ennemi numéro 1" : l'État Islamique. La rencontre entre des députés français et Bachar Al-Assad le 25 février 2015, bien qu'officiellement décriée, témoigne d'une complexification de la figure de l'ennemi à punir.

Finalement, la punition est surtout une posture et un langage médiatique à succès capable de sensibiliser les opinions sur le court-terme. Elle est aussi un moyen d'activisme diplomatique pour des puissances moyennes qui ne disposent plus de l'autonomie stratégique pour agir.

Pour aller plus loin:voir son mémoire de recherche

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La recherche à Sciences Po regroupe plus de 200 chercheurs et forme annuellement plus de 400 jeunes chercheurs. Basées sur le droit, l'économie, l'histoire, la science politique et la sociologie, les recherches conduites à Sciences Po sont résolument pluridisciplinaires.

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