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Les défaillances de Santé Canada en matière de publicité pharmaceutique

Que faudrait-il faire? La réponse est simple : renverser les orientations administratives qui autorisent la diffusion de publicités « de rappel » ou « de recherche d'aide ». Elles offrent des échappatoires incompatibles avec la protection de la santé publique.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Un bel homme s'approche de la machine à café avec un petit sourire satisfait. Un de ses collègues le questionne sur son week-end et il répond avec enthousiasme, mais on n'entend pas ce qu'il dit. Apparaît alors à l'écran un énorme comprimé bleu avec le message « Viagra : parlez-en à votre médecin ». Dans une autre publicité, on voit des personnes âgées dynamiques qui nagent et qui s'amusent aux quilles. L'œil pétillant, elles invitent le téléspectateur à consulter le médecin pour se renseigner sur le Celebrex.

Ces deux publicités « fabriquées au Canada » concernent des médicaments d'ordonnance. Même s'il est généralement interdit, pour des raisons de santé publique, d'en faire la promotion auprès de la population, un assouplissement de la politique administrative permet depuis la fin de l'année 2000 la diffusion de deux genres d'annonces: les annonces dites « de rappel », qui évoquent une marque de commerce sans formuler d'allégations de santé, et les annonces « de recherche d'aide », qui évoquent une maladie sans mentionner le nom d'un produit ou d'un fabricant tout en invitant le public à se renseigner.

Dans une nouvelle étude publiée ce mois-ci dans la revue International Journal of Risk and Safety in Medicine, nous avons analysé la surveillance réglementaire dont les publicités de ce type font l'objet. Nous nous sommes fondés sur l'examen d'une série de plaintes déposées sur une période de 10 ans (de 2000 à 2011) à l'égard de celles-ci et sur la réponse de Santé Canada. Nos résultats révèlent une absence systématique d'action concrète destinée à protéger la santé publique.

Nous avons relevé six faiblesses principales relativement à l'encadrement par Santé Canada de la publicité des médicaments d'ordonnance : quatre se rapportent au contenu des annonces et deux, à la manière dont on applique la réglementation.

Tout d'abord, nous avons constaté que Santé Canada n'a pas sévi contre la diffusion de publicités qui vantaient des usages non approuvés. Pour faire approuver un médicament au Canada, le fabricant doit fournir des preuves de son efficacité et de son innocuité en fonction d'un usage précis. Il n'est pas autorisé à en faire la promotion pour un usage qui n'a pas été approuvé, puisque rien ne garantit son efficacité et son innocuité dans ce cas précis.

Le médicament Xenical (Orlistat) a été approuvé pour traiter des patients obèses ou ayant un embonpoint très important qui courent un risque important de maladie cardiovasculaire. Dans l'une de ses annonces, toutefois, Hoffman-LaRoche nous montre l'image d'une jeune femme mince en bikini avec la question « Que feriez-vous avec quelques kilos en moins? » Santé Canada n'a rien fait pour interdire la diffusion de ce qui constitue essentiellement une publicité sur un usage non indiqué; aucune amende ni sanction n'a été imposée au fabricant. Même absence de réaction dans le cas d'une annonce d'Abbott sur Androgel, un gel de testostérone, qui fait allusion à « une faible libido » et « à ceux qui s'endorment après le dîner »; cette campagne n'a pas été bannie non plus. Rappelons que la testostérone est indiquée pour traiter l'hypogonadisme, pas le vieillissement.

On ne devrait pas laisser les fabricants exploiter la peur de mourir pour vendre leur produit. Pourtant, c'est ce qu'a fait Pfizer dans une publicité sur le Lipitor (l'atorvastatine), qui nous montre un cadavre portant une étiquette accrochée à l'orteil. Une fois encore, Santé Canada n'a pas agi pour interdire cette campagne ou pour imposer des sanctions. L'image et le message qui l'accompagnent laissent penser que le produit prévient les décès chez les femmes qui ne souffrent pas de problème cardiovasculaire, une allégation non fondée.

Lorsque la chaîne Safeway a proposé de remettre 100 points Air Miles aux clients qui se feraient vacciner contre la varicelle, Santé Canada a prétendu qu'il s'agissait d'un problème concernant l'exercice de la pharmacie et n'a rien fait pour interdire la publicité, même s'il s'agissait d'une incitation financière.

Le constat est semblable en ce qui touche la promotion vigoureuse de médicaments dont la sûreté pose de sérieux problèmes, notamment de produits ayant fait l'objet d'avertissements à plusieurs reprises ou dont la monographie présente une mise en garde sur des effets nocifs pouvant causer la mort. Ainsi, Santé Canada a avisé les médecins de faire preuve de prudence à l'égard du Celebrex et de ne le prescrire qu'à petites doses et pendant une courte durée, en raison des risques de maladie cardiovasculaire et de saignements gastro-intestinaux auxquels on l'associe. Malgré cela, le ministère ferme les yeux sur les publicités télévisées qui exagèrent son efficacité sans évoquer les risques qu'il présente.

Les plaintes à l'égard du Celebrex soulèvent systématiquement des préoccupations sur ses effets nocifs. Santé Canada a répondu que les publicités sur le produit respectaient la loi, invoquant des détails techniques comme l'omission de la marque de commerce ou du nom du fabricant.

Dans les cas où Santé Canada a bel et bien jugé qu'une publicité violait la loi, rien n'a été fait pour remédier à la situation. Prenons l'exemple du Diane-35, un médicament contre l'acné; des témoignages livrés en cour indiquent que le ministère avait jugé cette publicité illégale à plusieurs reprises, mais qu'il n'avait pris aucune mesure pour l'interdire, à l'exception de négociations avec le fabricant. Il n'y a eu aucune amende, ni sanction ou tentative de poursuite, même si Santé Canada invoque la possibilité d'une poursuite advenant le non-respect du règlement.

Notre recension des plaintes et des réactions auprès de Santé Canada est incomplète, il faut le reconnaître. Les exemples cités ici sont ceux que nous avons pu trouver. Santé Canada ne met à la disposition du public aucune information ni sur les plaintes concernant la publicité des médicaments d'ordonnance ni sur ses décisions et ses mesures d'exécution.

Que faudrait-il faire? La réponse est simple : renverser les orientations administratives qui autorisent la diffusion de publicités « de rappel » ou « de recherche d'aide ». Elles offrent des échappatoires incompatibles avec la protection de la santé publique. De plus, elles représentent un « compromis de trop » face aux pressions exercées par l'industrie pour faire accepter en sous-main la publicité des médicaments d'ordonnance sans que cette question ne soit débattue sur la place publique ou au Parlement. Enfin, il faudrait octroyer les ressources nécessaires pour faire appliquer les règlements, observer une démarche ouverte et transparente, imposer les amendes et les sanctions requises et intenter des poursuites, le cas échéant, afin d'empêcher la récidive.

Les médicaments d'ordonnance peuvent apporter de grands bienfaits, mais aussi provoquer des effets nocifs graves. Ils jouent un rôle trop important pour que nous acceptions de laisser circuler à leur sujet une information fausse qui préconise des usages inefficaces et non sécuritaires. La population canadienne mérite beaucoup mieux en matière de protection de la santé.

Ce billet est cosigné par Barbara Mintzes, professeure à la School of Population and Public Health de l'Université de la Colombie-Britannique, et Joel Lexchin, conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca, et professeur en politique de la santé à l'Université York et médecin au service des urgences du Réseau universitaire de santé.

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