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Crises meurtrières: la coupable indulgence de l'Occident

Le rôle ambigu que joue l'Occident dans le dossier rwandais pourrait, à terme, se transformer en boulet si, à l'instar de ce qui s'est passé en Tunisie comme en Egypte et, dans une certaine mesure en Libye, les Rwandais prenaient leur destin en mains pour exiger le départ du général Kagame.
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Après la Tunisie, l'Égypte et la Libye, voilà que la Syrie traverse une tempête de révolte, qui s'est heurtée à une répression sanglante depuis plus de trois ans. Sans parler du conflit israélo-palestinien qui, à cause des extrémistes de deux côtés, risque d'entrer dans une troisième intifada. Hier, comme aujourd'hui, la diplomatie des pays occidentaux, l'Europe en tête, semble aux abonnés absents. Dans le dossier syrien, comme dans la crise israélo-palestinienne, les marques d'« indignation » se succèdent face à une « répression parfaitement inacceptable ». Et les appels à la « fin immédiate de la violence » se multiplient. Mais c'est surtout Paris qui semble payer le prix le plus élevé de l'indulgence que l'Occident a longtemps affichée vis-à-vis de la terreur, surtout celle des régimes africains. Deux exemples pour illustrer ce « cafouillage » diplomatique: la Libye et le Rwanda.

On se souviendra de cette visite que l'ancien dictateur libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, avait effectuée à Paris, le 10 décembre 2007, date qui coïncidait avec la Journée internationale des droits de l'homme et que les autorités françaises avaient choisie pour dérouler le tapis rouge à M. Kadhafi. À l'époque, ce geste avait été dénoncé par l'opposition socialiste, mais aussi par quelques voix de la majorité, dont Rama Yade, alors secrétaire d'État aux Droits de l'homme: « Notre pays, n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits », avait-elle déclaré.

Ces propos avaient valu à la secrétaire d'État un sévère recadrage de la part de l'Élysée. Un an plus tard, l'ancien ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait choisi la même date, le 10 décembre 2008, le jour où Rama Yade remettait le Prix des droits de l'homme de la République aux victimes des régimes autoritaires, pour, en une phrase, décider d'écarter les droits de l'homme de la politique étrangère française : « J'ai eu tort de demander un secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme. C'était une erreur. Car il y a contradiction permanente entre les droits de l'homme et la politique étrangère d'un État », disait alors le ministre Kouchner.

C'est le même Kouchner qui a poussé la diplomatie française à opérer un virage spectaculaire dans le dossier rwandais, dans une tentative de normaliser les relations diplomatiques distendues entre Kigali et Paris. On se rappellera que le gouvernement rwandais avait pris l'initiative de rompre les relations diplomatiques avec la France, suite à la décision du magistrat anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière, d'émettre des mandats d'arrêt internationaux visant l'entourage du président rwandais Paul Kagame. C'était au terme d'une enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion de l'ancien chef de l'État rwandais Juvénal Habyarimana. Cet attentat a été l'étincelle qui mit le feu aux poudres dans le déclenchement du génocide rwandais.

Le 25 février 2010, M. Sarkozy débarque à Kigali, s'affichant aux côtés de M. Kagame en signe de réconciliation. C'était du pain béni pour M. Kagame qui n'en demandait pas tant ! Pourtant, à la veille du 12e Sommet de la Francophonie tenu à Québec du 17 au 19 octobre 2008, Kigali avait rayé d'un seul trait de plume plus de cent ans du fait français au Rwanda en érigeant l'anglais au rang de la langue d'enseignement et d'administration au détriment du français. Le silence des pays de la Francophonie avait répondu ! Mais la réaction la plus étonnante était cette fois-là venue d'Ottawa qui avait accordé un appui sans équivoque à la demande d'adhésion du Rwanda de Paul Kagame au Commonwealth sans se soucier le moindrement du monde de l'avenir des élites rwandaises - enseignants, avocats, médecins et j'en passe - formées en français...

En avril dernier, à la veille des commémorations du 20e anniversaire du génocide rwandais, on a assisté à nouveau à un refroidissement des relations franco-rwandaises. Paul Kagame a accusé la France de « participation directe » dans le génocide de 1994. En réaction, Paris a annulé la venue à Kigali de sa délégation aux cérémonies commémoratives. Dans la foulée de cette escalade diplomatique, Kigali a démoli le bâtiment qui abritait les services du centre culturel franco-rwandais.

Le 1er octobre 2010, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme publiait un rapport accablant - le rapport « Mapping » - sur les crimes sans précédent commis à l'endroit des réfugiés rwandais, majoritairement Hutu, et des milliers de Congolais, sur dix ans de guerre en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) par les hommes du général Kagame. Ce rapport parle de « crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, voire de génocide ». La voix de la France, comme celle du Canada d'ailleurs, au nom d'une certaine Realpolitik, est restée aphone. Pourtant, ces deux pays sont des patries historiquement reconnues pour les valeurs des droits et libertés, inscrites en lettres d'or dans leurs textes constitutionnels.

« L'amour est à la fois une joie et une souffrance », disait Gérard Depardieu à Catherine Deneuve dans Le Dernier métro de François Truffaut. C'est un peu la même chose pour l'Occident et le gouvernement rwandais de Paul Kagame. Les grands pays donateurs du Rwanda - les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada - ont longtemps soutenu le régime rwandais, malgré de sérieuses mises en garde que des organisations de défense de droits de la personne - notamment Human Rights Watch et Amnesty International -, n'ont eu de cesse de formuler au sujet de la dérive singulièrement répressive de M. Kagame.

Le rôle ambigu que joue l'Occident dans le dossier rwandais pourrait, à terme, se transformer en boulet si, à l'instar de ce qui s'est passé en Tunisie comme en Egypte et, dans une certaine mesure en Libye, les Rwandais prenaient leur destin en mains pour exiger le départ du général Kagame. Quant à la crise syrienne, on est en droit de se demander qui répondra à l'Histoire. Le dossier syrien reste dans l'impasse puisque la communauté internationale peine à s'entendre sur l'attitude à adopter en Syrie: le président Bachar al-Assad ne vient-il pas de faire mentir les Occidentaux qui pariaient sur son départ rapide alors qu'il a été investi pour un nouveau septennat ce mercredi 15 juillet 2014? Aveuglement volontaire ou complaisance coupable des Occidentaux? Allez savoir!

Les exemples tunisien et égyptien sont une source d'inspiration pour les citoyens du monde épris de liberté. Ces révolutions ont fracassé la barrière psychologique qui poussait les populations à se résigner à vivre sous des régimes de terreur. Les Rwandais devraient tôt ou tard s'en inspirer. Mais ils auront besoin du soutien de l'Occident. Or, ce soutien suppose une remise en question de l'indulgence, sinon de la complaisance, vis-à-vis de la dictature sanguinaire au Rwanda. Le voudrait-on ? Le pourrait-on ?

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