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Le Canada n'est pas bilingue, seule sa fonction publique est supposée l'être

J'ai observé de 1980 à 2000 que la gestion de la fonction publique fédérale a perverti le bilinguisme.
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J'ai observé de 1980 à 2000 que la gestion de la fonction publique fédérale a perverti le bilinguisme en s'en servant comme outil de gestion des ressources humaines défaillantes.

Anecdote

En acceptant un nouveau poste, mon nouveau patron unilingue m'informe que sa division de breffage de la haute gestion travaille uniquement en anglais. J'acquiesce humblement, mais puisque ma langue maternelle n'est ni l'anglais, ni le français et que je parle quatre langues, il me serait difficile de ne pas respecter la langue maternelle de la personne à qui je fournis un bref. Il fut d'accord après un long moment de réflexion pendant lequel il a dû se demander à qui j'écrirais en français: personne, naturellement.

Je remets donc la note de bref en français. Rouge de colère, il vient dans mon bureau pour me rappeler sa directive. Je lui rappelle l'exception décidée de concert. Comme il ne voyait toujours pas, je lui rappelle le nom de son sous-ministre adjoint : Jean-François...

Pendant toutes ces années, il ne s'est jamais arrêté à penser que son patron était francophone et que peut-être il aurait pu le servir dans sa langue. J'ai rapporté l'anecdote à qui de droit, et mon boss est parti en cours de français pendant un an pour lui apprendre à être moins raciste, surtout que Jean-François venait d'être remplacé par une Michèle moins tolérante pour ce genre de comportement.

À son retour, un an plus tard, je le rencontrais dans l'ascenseur bondé et j'en ai profité pour lui demander - en français naturellement - si le cours de français lui avait fait du bien. Pas de réponse, ni en anglais, ni en français.

Le Canada a une langue officielle et une officieuse

Ces jours-ci, le bilinguisme des juges de la Cour suprême fait du tapage. Pour le Canada, un juge devra comprendre le français, pas nécessairement bien non plus, et on y tient pour acquis qu'il sera anglophone. Le Canada préfère, et de loin, un juge compétent unilingue anglais à un juge qu'il voit moins compétent, mais qui parlerait français.

Et si ce juge était unilingue français avec une connaissance minimale en anglais?

Ce questionnement et ces perceptions se retrouvent dans la fonction publique fédérale. En 23 ans, je n'ai rencontré que deux anglophones qui ont appris le français. La Loi sur les langues officielles ne prend pas dans cette institution, au grand dam de chaque commissaire qui y use son fond de culotte.

Ils constatent, mais ne comprennent jamais la raison de l'échec de tous les efforts consentis: une année à étudier le français aux frais de la reine, plein salaire, et dans un lieu bucolique. Je ne traite que de l'apprentissage du français, puisque je n'ai jamais vu un poste unilingue français à Ottawa, même pour un poste de rédacteur français.

Je me suis toujours demandé comment il était possible pour un anglophone de ne pas apprendre le français.

Voici ma conclusion fondée sur mes observations de 1980 à 2000 : la gestion de la fonction publique fédérale a perverti le bilinguisme en s'en servant comme outil de gestion des ressources humaines défaillantes. Est-ce que la situation a changé depuis?

En effet, la gestion a de la difficulté à déplacer un employé unilingue dans un poste bilingue qui est jugé incompétent, parce qu'il lui faut monter un dossier bien documenté et ensuite le défendre, potentiellement jusqu'au tribunal administratif du travail. Pour couper court à cela, la gestion envoie la personne en cours de français pendant un an, ce qui lui donne la possibilité de combler son poste avec une autre. Habituellement, la personne ne retrouve jamais son poste.

Sachant cela, comment pensez-vous que l'employé reçoit la nouvelle d'un apprentissage en langue française? Elle déclare son amour inconditionnel pour sa nouvelle langue? Elle se dit que c'est une occasion toute spéciale que la gestion lui offre? Ou elle se dit «they will never shove French down this throat»?

Non seulement l'employé n'a rien appris, mais la gestion a préféré gaspiller l'argent des contribuables au lieu de faire son boulot.

Ne cherchez pas plus loin le ressentiment des fonctionnaires fédéraux pour l'usage du français.

«Si les francophones veulent le bilinguisme, qu'ils en assurent le service eux-mêmes»

C'est effectivement ce que se disent nos compatriotes. Le bilinguisme repose donc sur les épaules des francophones qui doivent nécessairement être bilingues. Les personnes occupant un poste bilingue reçoivent - je ne pense pas que cela ait changé - un dédommagement de 800 $ par année. Sauf que les employés unilingues anglophones qui occupent un poste bilingue le reçoivent également sans garantir le service.

Comme certains le disent, il n'est pas question qu'un francophone reçoive quelque avantage que ce soit qu'un anglophone ne recevrait pas. Un type m'a dit cela sans aucune gêne devant sa femme franco-ontarienne. Je lui ai demandé s'il considérait cela comme étant de la fraude? Cette fraude est à grande échelle, elle est connue dans la fonction publique, mais encore là, la gestion préfère fermer les yeux puisque cela lui permet d'obliger ces employés à quitter leur poste pour un an le cas échéant, la personne ayant empoché le supplément frauduleusement. Naturellement, cela me vient de mes observations et je n'espère aucunement que le président du Conseil du Trésor corrobore celles-ci.

Je ne tomberai pas dans les Speak White et insultes du genre, l'article serait trop long.

Le français est vu comme une langue de traduction

L'original est anglais ; tout se fait originellement en anglais ; la créativité est anglaise et la traduction française. Dans la fonction publique fédérale, il est commun de demander à n'importe quel francophone de traduire en vue de publication des textes. Pour les anglophones, les fautes en français ne sont pas graves, d'où l'état actuel des textes émanant du gouvernement. Comme je me le suis fait dire, ce n'est jamais que pour le quart de la population. L'important, c'est la version anglaise, bien que de l'aveu de mes gestionnaires d'une direction des communications, les Canadiens anglais n'ont aucune tendance à prendre le temps de lire un texte qui émane du gouvernement, alors pourquoi les rédacteurs en français prennent la qualité tellement au sérieux? De fait, il fallait une ou deux semaines pour produire l'adaptation en français. Ils ont été interloqués par la réponse : les Canadiens de langue française s'attendent du gouvernement une qualité exemplaire, puisqu'ils s'éduquent en lisant ses publications, prenant pour acquis que c'est d'une exactitude sans reproche, tout comme Radio-Canada a joué le rôle de phare pour le français au début de la Révolution tranquille et jusqu'à maintenant.

Parler en anglais, c'est mal parler le français

Je me suis toujours demandé comment il était possible pour un anglophone de ne pas apprendre le français. Souvent, ils sont sûrs que le français découle de l'anglais. Je leur faisais remarquer que : la famille royale parle le français, les armes royales portent l'inscription Dieu et mon droit, et l'ordre de la Jarretière - très british - porte «Honni soit qui mal y pense».

Et je prenais le temps de leur expliquer qu'il leur était facile d'apprendre le français, puisque 15 000 mots de la langue anglaise sont français et 1 700 autres sont de vrais amis.

Ils croient que William the Conquerer était anglais et qu'il avait conquis la France ; ils ne croient nullement que Guillaume le Conquérant a conquis l'Angleterre et que les Normands ont donné plus de 10 000 mots en français à la population, dont environ les trois quarts sont en utilisation constante.

Je leur disais de regarder le logo de The Times ; de rechercher sur internet «the importance of French in the English Language». Rien n'y faisait, une fermeture totale frisant la haine.

Naturellement, ils revenaient d'un cours d'un an de français et comprenaient donc qu'ils avaient été punis. Ils peuvent bien trouver que le bilinguisme coûte cher et ne comprennent pas qu'ils sont à la base du gaspillage éhonté des fonds publics.

Le Canada a bien changé: «Je parle anglais et chinois, je suis bilingue»

Curieusement, les fonctionnaires d'origine asiatique se disent incapables d'apprendre le français. Je dis «curieusement», parce que le Vietnam fait partie de la Francophonie. En fait, j'essaie de retracer auprès du Commissariat des langues officielles le programme qui exempte les fonctionnaires d'origine asiatique et qui retire, du même coup, le droit fondamental des francophones d'être dirigés dans leur langue. [J'ai déposé une demande le jour même où j'ai commencé à écrire cet article et je n'ai toujours pas de réponse, alors ce sera le sujet du prochain billet que je proposerai au Huffington Post, avec la version anglaise de celui-ci.] J'ai causé tout un émoi lors de l'annonce du programme en relevant ce léger détail. En revanche, tout employé d'origine haïtienne que j'ai connu était capable de traiter en anglais mieux qu'un anglophone de naissance, et ce, sans avoir pris un an de cours d'anglais intensif aux frais des contribuables.

Je terminerais en vous laissant un lien internet qui vous donnera un aperçu de ce que l'avenir réserve au Québec et a sa langue.

Dans ces conditions, nous verrons si les juges seront obligatoirement bilingues ou reconnus bilingues s'ils réussissent à comprendre la langue parlée et écrite. Ce qui dans la fonction publique serait un niveau linguistique inusité, puisque la compréhension de l'écrit est plus difficile à obtenir que le parler. Ils nous expliqueront peut-être que beaucoup de mots sont communs aux deux langues et que cela rend possible la compréhension de l'écrit.

Merci de m'avoir lu jusqu'ici.

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