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25 ans après, un autre mur s'érige entre le monde occidental et la Russie

J'avais 13 ans lorsque j'ai vu à la télé les images du mur de Berlin s'effondrer lors de l'euphorie de novembre 1989. J'étais un jeune garçon, vivant loin de là, dans l'extrême-est de l'URSS, mais l'importance historique du moment ne m'a pas échappée.
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VLADIVOSTOK, RUSSIE - J'avais 13 ans lorsque j'ai vu à la télé les images du mur de Berlin s'effondrer lors de l'euphorie de novembre 1989. J'étais un jeune garçon, vivant loin de là, dans l'extrême-est de l'URSS, mais l'importance historique du moment ne m'a pas échappée - c'était bien plus que la réunification de l'est et de l'ouest de l'Allemagne. Cela voulait dire que la guerre froide était proche de la fin. La nouvelle ère de paix et de collaboration mondiale pouvait commencer: Moscou allait se joindre à Washington et d'autres capitales du monde. Tel était le message de Mikhaïl Gorbatchev et des dirigeants occidentaux, le discours dominant des médias et des experts en politique étrangère; tout cela, en tant que gamin politisé, je l'ai suivi avec avidité - et j'y ai cru.

Il est vrai que ce sentiment d'optimisme était teinté d'une inquiétude persistante. Même si les médias soviétiques montraient les événements d'Europe de l'Est sous un angle positif, on voyait bien que l'empire était en train de perdre ses satellites. Était-ce une bonne chose ?Est-ce que cela pouvait affaiblir le statut dont notre nation avait fièrement bénéficié, partageant avec l'Amérique le statut de superpuissance? Après tout, comme la plupart de mes compatriotes, j'avais baigné dans les récits de la grandeur russe, et même la "nouvelle pensée" de Gorbatchev ne pouvait pas changer cette mentalité profondément ancrée. Pourtant cette crainte était éclipsée par l'ambiance générale d'espoir.

Vingt-cinq années ont passé depuis que le mur a été démoli. L'OTAN estime que la Russie est la principale menace à la sécurité de l'Occident, avec l'État Islamique et Ebola, et s'apprête à déployer une force de réaction rapide près des frontières russes pour dissuader une possible agression de l'Est, tandis que l'Union Européenne et les États-Unis renforcent les sanctions économiques contre la Russie. Moscou est engagée dans une provocation nucléaire afin de rappeler aux pays occidentaux ce que coûterait une action militaire contre la Russie, tout en s'efforçant de former une grande alliance anti-américaine avec la Chine. Et les deux camps de cette nouvelle guerre froide sont impliqués dans une bataille idéologique intense, bien que, cette fois, elle ne soit pas centrée sur l'opposition entre communisme et capitalisme, mais plutôt sur l'opposition entre démocratie et autocratie, entre droits de l'homme et valeurs traditionnelles. Refermant le cercle symbolique, l'Ukraine, qui a remplacé l'Allemagne de la guerre froide sur la première ligne, est en train de construire un vrai mur à la frontière pour se protéger de la Russie.

Comment sommes-nous arrivés à la triste situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement? Comment avons-nous raté l'occasion de construire un ordre international plus sécurisé après la fin de la guerre froide? En 1997, Paul Keating, l'ancien Premier ministre d'Australie, visionnaire, avait déclaré: "La grande question pour l'Europe n'est plus d'intégrer l'Allemagne en Europe - cela a été réalisé - mais d'impliquer la Russie de manière à ce que le continent soit sécurisé pour le prochain siècle."

Malheureusement, les avertissements de Keating, de même que d'autres appels similaires, n'ont pas été pris en compte. La fin de la guerre froide, parfaitement illustrée par la destruction du mur de Berlin, a rapidement été vue par l'Occident comme sa seule victoire triomphante et comme la capitulation inconditionnelle de l'URSS/la Russie. La Russie devait donc être traitée en conséquence, c'est-à-dire comme un pays de second rang, au mieux une puissance régionale, dont on espérait qu'elle obéisse à toute direction prise par Washington ou Bruxelles.

LE "TROISIEME MUR" : ISOLER LA RUSSIE

Le problème, c'est que les Russes ne partageaient pas cette vision d'eux-mêmes, celle d'une nation vaincue obligée d'accepter les termes de la victoire. Au début, Moscou espérait qu'elle resterait un partenaire plus ou moins égal dans la construction du nouvel ordre international. Ces espoirs ont été très vite anéantis. Non seulement les pays occidentaux ont refusé que la Russie ait une part significative dans la gouvernance mondiale, mais ils ont continué à la traiter en ennemi potentiel, ce qui s'est manifesté le plus radicalement par l'élargissement de l'OTAN à l'Est, s'étendant vers les zones que la Russie a toujours considérées comme des zones cruciales pour sa sécurité. La réaction de la Russie, quand elle a commencé à se remettre du choc de l'effondrement de l'Union soviétique, a été puissante, comme l'on pouvait s'y attendre. Tout d'abord, en 2007, il y a eu le discours de Poutine à Munich, où, s'adressant aux pays occidentaux, il a défini les lignes rouges de Moscou. Puis il y a eu la guerre avec la Géorgie, en 2008. Et maintenant, la crise en Ukraine se développe, accompagnée de l'annexion de la Crimée et la guerre du Donbass. Ce cycle de confrontation ne se terminera sûrement pas avec l'Ukraine. La Moldavie, les pays baltes et le Caucase sont autant de poudrières potentielles.

Durant les cent dernières années, la construction de "murs" est devenu un business bien établi dans les relations entre la Russie et le reste de l'Europe. En 1919, Vittorio Orlando, le Premier ministre italien et Georges Clémenceau, le Premier ministre français, ont vivement encouragé les états d'Europe de l'Est nouvellement indépendants à former un cordon sanitaire, une alliance défensive contre la Russie bolchévique, afin de contenir l'expansion du communisme en Europe occidentale.

En 1961, Moscou et son régime communiste clientéliste à Berlin-Est se sont résolus à ériger une barrière pour isoler la RDA (République Démocratique Allemande) et tout le bloc de l'Est de la subversion occidentale. A présent, le "troisième mur" en Europe est construit par les deux camps avec le même zèle. L'Occident essaie d'isoler la Russie de Poutine économiquement et diplomatiquement pour en faire un état paria. Le Kremlin fait la chasse aux ONG libérales, rompt les liens avec les programmes d'échange humanitaire et exacerbe l'hystérie anti-occidentale.

Dans un retour aux batailles idéologiques entre l'Ouest capitaliste et l'Est communiste, la Russie de Poutine peut compter sur ses admirateurs en Europe et aux États-Unis. La plupart se trouve parmi les éléments les plus extrêmes, l'extrême droite sympathisant avec Poutine pour son crédo nationaliste et son soutien aux valeurs chrétiennes conservatrices, et la gauche radicale saluant Poutine pour son anti-américanisme. Cependant, les élites occidentales dominantes ont l'air en colère contre Poutine et prêtes à s'attaquer à une Russie renaissante. Après tout, Moscou n'était-elle pas la grande perdante de la rivalité bipolaire? "La Russie n'a pas accepté l'issue de la guerre froide. Tout part de là", avance Anders Rasmussen, l'ex-chef de l'OTAN, qui a récemment pris sa retraite, faisant référence à l'origine des tensions entre la Russie et le monde occidental.

Regarder le troisième mur s'ériger en Europe ne peut que réveiller des souvenirs de mon enfance. J'ai grandi dans une ville côtière qui abritait une base navale importante où les sous-marins stratégiques de la Flotte du Pacifique étaient réparés et entretenus. Presque tous les enfants ici savaient que notre ville était l'une des premières cibles de l'Amérique. C'était l'apogée de la guerre froide qui est désormais connue sous le nom de "crainte nucléaire". Je me souviens encore très bien de cette peur obsédante d'une attaque nucléaire imminente. Je me souviens aussi de l'abattage d'un Boeing sud-coréen qui s'était aventuré dans l'espace aérien soviétique, en septembre 1983 - on peut alors faire d'inquiétants parallèles avec un autre avion asiatique dont le vol s'est tragiquement terminé à l'Est de l'Ukraine en juillet 2014. Et je me souviens encore des mots de Ronald Reagan qui appelait mon pays "l'empire du mal".

Aujourd'hui, les historiens nous disent qu'à l'époque, le monde était plus près d'une apocalypse nucléaire que ce que la plupart des gens croyait. Nous avons probablement juste eu de la chance d'éviter un anéantissement mutuel à l'ère du mur de Berlin. Serons-nous aussi chanceux à l'âge du troisième mur?

9 novembre 1989

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