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Lettre à madame la ministre de l'éducation

Je parle rarement de politique publiquement. Mais les événements des dernières semaines, liés à l'annonce par votre gouvernement d'une augmentation brutale des frais de scolarité au Québec me mettent dans une rage folle. Non, je ne suis plus étudiant. J'ai même foulé les bancs des HEC, là ou le mot grève ne franchit que rarement la porte d'entrée. Aujourd'hui, je n'écris pas par solidarité. Ni par compassion. J'écris parce que je suis en colère. L'éducation n'est pas une marchandise.
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Je parle rarement de politique publiquement. Mais les événements des dernières semaines, liés à l'annonce par votre gouvernement d'une augmentation brutale des frais de scolarité au Québec me mettent dans une rage folle. Non, je ne suis plus étudiant. J'ai même foulé les bancs des HEC, là ou le mot grève ne franchit que rarement la porte d'entrée. Aujourd'hui, je n'écris pas par solidarité. Ni par compassion. J'écris parce que je suis en colère. L'éducation n'est pas une marchandise. Et les universités ne sont pas des marques qu'il convient de rendre toujours plus compétitives. Voici pourquoi.

J'ai deux frères. L'un d'eux s'appelle Vincent. Il a 21 ans et étudie la philosophie. Il habite en Argentine, et est attaché à une université française. J'ai eu avec lui, il y a quelques semaines, une discussion animée sur l'éducation. Je me suis réveillé ce matin avec dans ma boite courriel un nouveau message intitulé: "Viser haut pour évoluer vers le meilleur". J'ai pensé le partager, tant il résume bien, selon moi, la nature du débat que les étudiants souhaitent avoir avec vous. Voici son contenu:

La hausse des frais de scolarité dans les universités, plus qu'une froide mesure économique qui répondrait à des nécessités purement économiques, représente avant tout un basculement politique majeur dans l'image que souhaite véhiculer le gouvernement de son système universitaire. Doubler les tarifs et rendre la sélection par le revenu plus drastique, en prônant notamment la meilleure insertion des universités québécoises sur le marché de la concurrence universitaire canadienne est un changement qui sort largement du domaine des finances publiques. La CLASSE l'a bien compris, et, contre la marchandisation de l'université, est en juste droit de réclamer la gratuité totale comme idéal vers lequel il faudrait pouvoir tendre. La puissance indéniable de toute contestation étudiante ne réside pas dans la teneur de l'argumentation des manifestants, que l'on présente souvent de façon burlesque: de fait, et nous l'avons tous bien remarqué, les propos scandés vont souvent de pair avec un gout prononcé pour la fête, l'alcool, et ne sont jamais très précis, très informés, bien au contraire.

L'université, en tant qu'institution, n'est pas seulement un lieu de transmission de savoir, mais le lieu même de sa production et de sa conservation

Cependant ne nous méprenons pas. Mettre en avant un idéal n'est pas seulement, comme l'affichent certains medias, prôner une utopie. La représentation même de l'idéal permet à la pensée d'être critique. L'image que l'on se fait du meilleur possible met en relation toute idée et toute action avec ce qui pourrait être le plus bénéfique à une classe d'individus. Une telle revendication dans une manifestation politique rend la contestation étudiante très concrète, et en même temps très humaine.

C'est le désir presque passionnel et acharné du meilleur possible qui anime et fait raisonner les voix des insurgés.

Dénigrer cela, c'est avant tout oublier ce qu'est la politique dans son principe le plus fondamental. Puisque le bonheur individuel ne saurait exister sans celui de la société qui nous voit grandir et que nous faisons nous même évoluer, il ne faut jamais oublier que la politique est avant toute chose la recherche du bien le plus élevé pour les membres de son corps.

Nous avons raison de nous indigner d'une hausse si brutale des frais qui implique un changement de la manière de concevoir l'éducation

Dans les moyens dont dispose l'Etat pour y tendre, l'université, en tant qu'institution, n'est pas seulement un lieu de transmission de savoir, mais le lieu même de sa production et de sa conservation. C'est par là qu'elle voit naître le débat et s'entrechoquer les valeurs. Elle n'est alors jamais un simple augmentateur de connaissances. L'étudiant y découvre certes une charge théorique, matérialisée par des textes d'auteurs (à disposition dans ses bibliothèques), ou produite par les mêmes intellectuels chargés de sa diffusion, mais réalise aussi que les sciences politiques et l'économie, la médecine et la physique, ne sont pas de simples théories qui décrivent le monde.

L'université fabrique et transmet cette dose de savoir nécessaire pour agir en vue du bien commun de la société et de l'individu, par le biais de la formation de l'esprit à la critique.

C'est grâce au savoir qui s'y crée, s'y transforme et s'y transmet qu'un Etat acquiert sa richesse culturelle. Elle est le lieu de la culture générale au sens fort, et non du simple savoir-plus : elle aide à agir avec recul et intelligence. Et cela parce qu'elle est une des composantes de l'éducation. Voilà quelle est sa seule raison d'être. L'expérience de la vie passe par une remise en question constante de la part des hommes, qui jugent avec plus de rigueur lorsqu'ils ont une certaine connaissance de l'objet dont il est question. En bref, l'université éduque, et ne peut être en cela être pensée sans un rapport direct avec l'éthique.

C'est grâce au savoir qui s'y crée, s'y transforme et s'y transmet qu'un Etat acquiert sa richesse culturelle

Parce que la nature de l'homme est incomplète, il doit s'éduquer et être éduqué : il désire en permanence son bien et tente de l'atteindre par des actes très concrets qui ne sauraient se réduire à une acquisition de connaissance. Puisque l'Etat politique ne vise pas seulement la survie, mais la vie bonne pour ses membres et pour lui même, il doit être le moteur d'une éducation permettant à chacun de donner du sens à la distinction entre le bien et le mal. C'est ainsi que la culture et l'apprentissage s'impriment en nous comme des habitudes : il s'agit de soumettre le mode d'agir humain à des critères, et de lui permettre dans une situation donnée d'opter pour une vertu plutôt que pour un vice.

L'université n'est pas un musée du savoir mais une propédeutique à l'éducation qui permet à l'individu de se former comme acteur moral, comme défenseur de son propre bien, qui est en même temps le bien de la société.

L'Etat, en réduisant l'accès aux études par la sélection économique, y perd plus qu'il y gagne

L'Etat moderne démocratique, pour sa propre sécurité, doit favoriser le développement de l'esprit critique créateur de valeurs, de critères de mesure du juste. Mais parler de l'Etat en ne parlant que de ses propres intérêts revient à aseptiser la teneur du sujet. Risquons-nous à le dire : il doit voir en l'institution universitaire un moyen concret de faire accéder la société à son propre bonheur.

Nous avons raison de nous indigner d'une hausse si brutale des frais qui implique un changement de la manière de concevoir l'éducation. Les revendications de la CLASSE, lorsqu'elles portent sur la gratuité scolaire, suivent un procédé tout à fait normal de la pensée, et de la politique elle même. Viser haut pour évoluer vers le meilleur. Sans cela, le mouvement étudiant n'aurait pas cette force. L'Etat, en réduisant l'accès aux études par la sélection économique, y perd plus qu'il y gagne. En faisant de l'éducation un bien marchand, il réduit le développement éthique de l'individu à une marchandise. Et pose lui-même des obstacles à sa propre conservation".

Voila, madame la ministre, pourquoi il est essentiel d'ouvrir le dialogue avec les voix qui s'élèvent. De se prononcer sur une vision claire de l'éducation. De cesser de la réduire au financement de leurs centres de recherches, et de penser à l'accessibilité aux élèves. De réfléchir, ensemble, à ce que le gouvernement du Québec souhaite pour l'éducation de ses citoyens. Et contrairement à ce qui a été dit par certains éditorialistes ces dernières semaines, ce qui ne coûte rien devrait valoir beaucoup lorsque l'on parle de l'avenir de notre province, et plus largement de notre pays.

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