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Le Yémen, ou le Vietnam de l'Arabie saoudite

Le Yémen, avec une population de 28 millions, est historiquement l'Arabie heureuse qui n'est pas près d'oublier les souffrances qu'on lui impose. Elle est triste aujourd'hui cette Arabie.
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Deux mois à peine après le début de la guerre aérienne saoudienne au Yémen, on vient d'apprendre le déploiement de troupes saoudiennes au sol à Aden.

Ainsi donc, à peine trois mois après son accession au trône, le nouveau roi Salman marque de son sceau un nouveau chapitre dans la politique étrangère saoudienne. Un chapitre hasardeux s'il en est, et ce, d'autant qu'il coïncide avec un remaniement complet de la ligne successorale de la maison des Saouds. Cette aventure yéménite sera donc indissociablement associée, qu'elle qu'en soit l'issue, au remaniement qui vient de s'opérer, et ce, pour le meilleur et surtout pour le pire.

La genèse du conflit yéménite est ancienne. Riyad essaie de véhiculer l'idée que cette guerre trouve sa raison d'être dans la volonté de l'Arabie saoudite de contenir l'essor de l'Iran qui, par l'intermédiaire de ses prétendus alliés, les rebelles houthis, essaierait de conquérir le Yémen. Cependant, la réalité est toute autre.

Certes, les Houthis appartiennent à une école chiite, d'ailleurs largement distincte de la version pratiquée en Iran, mais cette similarité dans les croyances ne suffit pas pour faire d'eux des agents à la solde de l'Iran. Rappelons que la version zaydite du chiisme, celle pratiquée par les Houthis, remonte au 8e siècle de notre ère et que celle qui prévaut en Iran, dans sa version duodécimaine, très différente, ne date que du 14e siècle.

Rappelons également que jusqu'en 1962, il existait un royaume chiite zaydite au Yémen, et que le combat des Houthis pour plus de participation dans le pouvoir yéménite n'a cessé depuis lors. Les Zaydites, d'ailleurs, dont sont issus les Houthis, représentent plus de 40% de la population yéménite. C'est dire que nous sommes bel et bien devant un conflit puisant ses racines dans une histoire ancienne. N'en déplaise à certains, le problème au Yémen, est un problème qui n'est qu'interne à ce pays, et le territoire de ce pays est loin de représenter un champ de bataille entre l'Iran et les pays arabes sunnites. En effet, s'il est vrai que des champs de conflits irano-arabes existent ailleurs, en Syrie ou en Iraq par exemple, le Yémen, pour le coup, n'en est pas un.

Cependant, prétextant, en dépit du bon sens, d'une similitude dans les croyances entre Houthis et l'Iran, le saut dans l'amalgame a été vite fait par Riyad, qui a rapidement expédié ses canons à la rencontre du peuple yéménite.

Or, une intervention militaire, au mépris du droit international et du principe de la souveraineté des États, qui ne devait durer que quelques semaines, va bientôt entamer son troisième mois. Pire, on n'est pas près de voir ni la fin des opérations, ni le recul des rebelles houthis qui contrôlent la quasi-totalité des centres urbains du pays. En revanche, ce qui est certain, ce sont les 50 morts et les 200 blessés que les bombardements saoudiens entraînent de manière quotidienne. Ces morts et ses blessés sont pour la plupart des civils. Cette guerre a également réduit en miettes les infrastructures de ce pays qui est le plus pauvre de l'ensemble des pays membres de la ligue arabe.

Ce conflit, mené par le plus riche des pays arabes contre le plus pauvre, est aussi une guerre sans fin. Les Saoudiens en s'y embarquant essaient, ni plus ni moins, d'imposer par la force un changement de régime politique, et ce, sur un fonds de guerre sectaire menée sur les ruines d'un Printemps arabe inachevé.

Or, de l'issue de ce conflit dépendra la pérennité de la maison des Saouds, même s'il serait davantage pertinent, au vu des derniers changements dynastiques, de parler de la maison de Salman, qui y joue toute sa crédibilité, tant sur le plan domestique qu'international.

D'ores et déjà, Riyad commence à en payer le prix : d'abord par l'isolement diplomatique grandissant que cette guerre a créé pour l'Arabie saoudite, ensuite par l'absence total de tout résultat tangible sur le terrain. Cette guerre qui s'intitule «Tempête décisive» n'a eu de décisive que les souffrances subies par le peuple yéménite. Sur le plan international, le Pakistan, allié traditionnel et fortement dépendant financièrement des largesses saoudiennes, a décliné toute participation dans l'effort militaire. Le refus de participation pakistanaise, et c'est là un fait qui mérite d'être souligné, a même fait l'objet d'un vote parlementaire qui, à l'unanimité de ses membres, a rejeté la demande de collaboration saoudienne. C'est dire à quel point la rupture saoudo-pakistanaise est profonde. La bombe nucléaire saoudienne que l'on disait pakistanaise ne l'est peut-être plus. Même l'Égypte du maréchal Sissi qui doit sa présidence au coup d'État financé par Riyad, y est allée à reculons et refuse encore aujourd'hui de faire intervenir ses soldats.

Sur le plan domestique yéménite, le constat est également accablant. En effet, l'ancien président incompétent Hadi, en fuite en Arabie saoudite, n'est pas près de revenir comme cela avait été annoncé initialement comme étant l'objectif principal. Pire, Al-Qaeda en la péninsule Arabique, l'organisation terroriste qui aussi dangereuse que le prétendu État Islamique en Syrie et en Iraq, y sévit maintenant sans restriction et donne libre cours à ses phantasmes de califat avec la prise de contrôle récente du gouvernorat de Hadramaout. Comme si l'Iraq, la Syrie et la Libye ne suffisait plus, voici que le Yémen vient de se rajouter à cette liste grandissante d'État réduit à néant!

Or, le Yémen, avec une population de 28 millions, presque le double de celle de l'Arabie Saoudite, quoi qu'en dise les démographes saoudiens, est historiquement l'Arabie heureuse qui n'est pas près d'oublier les souffrances qu'on lui impose. Elle est triste aujourd'hui cette Arabie. Elle se fâchera demain!

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