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Savez-vous être moins touriste et plus voyageur?

J'ai du sable dans la tête, et le monde dans les idées. Je reviens de Maui, ou l'île magique, comme la considèrent les Hawaiiens. Ne me faites pas cette expression de jalousie! J'y suis allée au rabais. Et j'ai plus pensé à vous que vous pourriez le croire. C'est sur fond de carte postale décousue que Dany Laferrière est apparu dans mon imagination, sur la plage de Black Rock. « Le Québec a besoin de sortir du Québec. »
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J'ai du sable dans la tête, et le monde dans les idées. Je reviens de Maui, ou l'île magique, comme la considèrent les Hawaiiens. Ne me faites pas cette expression de jalousie! J'y suis allée au rabais. Et j'ai plus pensé à vous que vous pourriez le croire.

C'est sur fond de carte postale décousue que Dany Laferrière est apparu dans mon imagination, sur la plage de Black Rock. « Le Québec a besoin de sortir du Québec. » Oui, oncle Dany. Tu as raison. Mais parles-tu de la version touristique du sortage, ou de l'autre? Parce que l'un nous rendrait plus con, et l'autre non.

Le touriste prend et paie, le voyageur gagne et donne. Je sais, je suis remplie de préjugés. C'est le côté touriste en moi qu'il faut blâmer. La voyageuse est au courant de tout ça.

On rencontre des touristes partout. Ils sont aussi présents dans les villégiatures des grands hôtels que dans une modeste auberge de jeunesse. Ce n'est pas une question de circuits, c'est plutôt une question de courts-circuits. Prenez en exemple ce couple d'hommes gais de Vancouver que j'ai rencontré dans la salle commune à Wailuku, loin des plages à gougounes. Mes nouvelles amies américaines m'avaient parlé en bien d'eux, alors j'étais enthousiaste de les connaître « By the way, I'm Annie. What's your name? » Le premier me répond alors dans son meilleur français, avec le même air moqueur qu'un enfant du primaire dans un cours de langue seconde obligatoire : « Je m'appelle Pierre. »

S'en suit un long rire hilare généralisé de mes deux compatriotes touristes.

Coudonc, ils me niaisent-tu eux autres? C'est une question de feeling...

Je retourne à mon portable sans trop me poser de questions, quoi qu'en m'en posant beaucoup quand même.

Le deuxième explique soudainement sa théorie comme quoi il est inutile d'apprendre certaines langues puisqu'elles ont une valeur marchande moins grande que d'autres. Les biens cotées en bourses seraient le mandarin, l'espagnol et l'anglais, alors que le français ne sert qu'à quelques Européens, 3-4 Canadiens et un nombre négligeable d'Africains.

Ça m'a giflée comme une brise de sable venant de la serviette secouée brusquement du voisin. Je t'offre mes condoléances pour ta vision du monde, ai-je dit. Puis j'ai compris, en observant le spécimen quelques instants, que ce gars là n'avait aucune idée de son insolence. Qu'il ne disait pas ça pour être volontairement méchant. Qu'il allait probablement revenir à la maison, et parler de la légende de cette Québécoise à l'épiderme fragile, des décennies durant, sans jamais soupçonner l'insulte inconsciente à laquelle il venait de donner naissance. J'ai compris que j'avais à faire à un citoyen-touriste du monde, victime de ses propres oeillères. Le fruit fraichement cueilli de l'ignorance. Que pouvais-je faire d'autre que de le prendre en pitié, et de demander au prochain pasteur qui me parlerait de Jésus en fumant une cigarette dans un parking de prier pour lui à ma place?

Ne brûlez pas de drapeau à ce sujet. Il y a une chose dont je suis certaine : le Canadien anglais vient aussi en modèle voyageur. Je l'ai vu de mes yeux: j'vous l'jure.

On vit dans une énorme manufacture globale à touristes. Il y a des touristes partout. Et ils sont plus que jamais dans le confort de notre foyer québécois.

Décider de ne plus être touriste chez soi, c'est voir à plus long terme, à plus grande échelle. C'est de décider où on va tout à l'heure avec notre carte dans une main, les brochures touristiques dans l'autre pour se ventiler le visage de temps en temps. Mais c'est avant tout une perspective de responsabilisation, de se rendre compte que notre venue a des conséquences même si on ne fait que passer en bermudas fleuris le temps d'une photo.

Le voyageur, tel que je le conçois dans mon utopie réaliste, est un explorateur éthique, qui n'ira pas acheter des colonies de condos hors de prix pendant que les aborigènes sont à l'autre extrémité du rêve américain pour la plupart, dans ce système brisé qui ne fut jamais tout à fait le leur. Un voyageur n'ira pas exploiter les richesses d'un pays. Il pensera plutôt à les cultiver.

Le voyageur québécois trouve qu'une brochure sur le Plan Nord, c'est beaucoup de vent... Le touriste, lui, attend le départ dans la navette climatisée et se dit « on verra ».

C'est partout pareil, mais c'est différent.

...

Je pensais à ça, comme ça, l'autre jour. Si Gandhi avait raison quand il disait qu'« on peut juger de la grandeur d'une nation par la façon dont les animaux y sont traités », imaginez que le même baromètre soit disponible via la mesure du traitement fait aux Amérindiens de ce monde, par exemple. Ou les peuples polynésiens. J'aimerais donc profiter de ce premier billet pour consacrer une nouvelle expression qui m'est venue entre deux coups de soleil : On peut juger de la valeur du Québécois au sein du reste du monde à la façon dont les Hawaiiens doivent se Walt-Disney-ifier pour conserver sa cote enviable sur le marché des valeurs boursières culturelles.

(Vite de même, vous aimeriez un exemple de Walt-Disney-ification? Pensez aux distributrices à désinfectant pour les mains en authentique et légendaire faux-fini de bois de la jungle, qui entourent les buffets all-you-can-eat, par exemple. )

Pendant ce temps, le véritable fléau du Crystal Meth prend d'assaut les rues des habitants.

Anecdote! Quand j'étais enfant, durant la crise autochtone, suite à ce que j'avais entendu dire par les médias et les adultes, j'ai été convaincue que les Amérindiens étaient des criminels intoxiqués contents de l'être. Je trouvais ça un peu drôle, même. Puis j'ai ouvert mes horizons, j'ai lu l'Histoire du monde, j'ai voyagé, et soudainement, je me suis entendu dire d'une voix stupide « Je m'appelle Pierre ».

On s'appelle tous Pierre un jour ou l'autre.

Était-ce Cabrel qui chantait « Un peu plus d'Aloha que d'ordinaire »? C'est ce que je nous souhaite à tous, afin de vivre dans un Québec et un univers un peu moins touristique que d'ordinaire, mais encore mieux visité. Parfois sans même avoir à bouger de chez nous. Et des fois en se grouillant le cul.

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