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Chronique d'un massacre annoncé

Après l'épouvantable massacre de Newtown dans le Connecticut ce vendredi, l'un des plus atroces commis dans un établissement scolaire aux Etats-Unis, les larmes essuyées par Obama au coin des yeux, loin de m'émouvoir, m'ont indignée, comme la marque de la plus grande hypocrisie qui soit. On savait en effet qu'une tuerie semblable ou pire se reproduirait sur le sol américain.
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Après la tuerie d'Aurora au Colorado, en juillet dernier, (avant celle du temple sikh d'Oak Creek dans le Wisconsin en août, et qui ne représentent que deux des treize mass shootings qui ont eu lieu dans la seule année 2012), Barack Obama avait dit avoir "le cœur brisé" et déclaré qu'un "examen de conscience" était nécessaire sur la manière de réduire la violence dans son pays. Une de nos blogueuses, spécialiste des Etats-Unis, Célia Belin, avait dénoncé alors les "larmes de crocodile" que versait l'Amérique à chacune de ces tragédies.

Après l'épouvantable massacre de Newtown dans le Connecticut ce vendredi, l'un des plus atroces commis dans un établissement scolaire aux Etats-Unis, les larmes essuyées par Obama au coin des yeux, loin de m'émouvoir, m'ont indignée, comme la marque de la plus grande hypocrisie qui soit. On savait en effet qu'une tuerie semblable ou pire se reproduirait sur le sol américain.

Ce Président, qui a tout pour être un grand chef d'Etat, s'honorerait de ne pas se contenter de déplorer ce carnage, ou d'appeler à des "mesures significatives", alors qu'il n'a pas osé prononcer le mot "armes à feu", pas plus qu'il n'avait évoqué le sujet lors de sa campagne électorale, en dehors de propos généraux sur le gun control, c'est-à-dire la régulation des ventes d'armes selon les antécédents de l'acquéreur.

Que risque-t-il, lui, homme désormais libre de toute contrainte électorale, à prendre la tête d'une croisade contre le lobbying meurtrier de la NRA, de se battre pour faire voter par le Congrès une loi fédérale interdisant ces armes à feu, bref à modifier ce sacro-saint 2nd Amendement que la Cour Suprême n'a d'ailleurs jamais renoncé à transformer, mais la plupart du temps en le durcissant ?

Cet amendement, incompréhensible pour nous, avait un sens lors de l'indépendance Etats-Unis. En effet, "le droit du peuple [américain] de détenir et de porter des armes" est inscrit dans le second amendement de 1787, qui fait partie du Bill of Rights ratifiés en 1791, appelant à la constitution de milices pour s'opposer à toute tentative des Britanniques pour entraver la Révolution toute neuve : A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed. Traduisez, "une Milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne peut être transgressé."

Cette interprétation historique avait d'ailleurs été celle de la Cour Suprême en 1939, qui n'a malheureusement pas cessé, depuis, de transformer l'esprit de ce Second Amendement, en en faisant un droit imprescriptible et individuel au port d'arme. On attend avec impatience qu'Obama, alors que la possibilité lui est donnée de nommer deux juges à la Cour Suprême, permette de renverser cette toute puissante juridiction aujourd'hui à majorité conservatrice.

Mais elle n'est pas la seule responsable. Derrière la question des armes à feu se cache en effet un véritable marché, un commerce rentable. Au premier rang, bien sûr la sur-puissante NRA - National Rifle Association qui, à coups de millions de dollars (c'est, aux USA, le lobby le plus puissant - 4,3 millions de membres - et le plus riche - 202 millions de dollars de dons), a fini par imprégner les mentalités. Le Washington Post estimait il y a deux ans que la NRA, qui distribue, à chaque campagne, des soutiens financiers considérables, avait réussi en moyenne à faire élire 4 candidats sur 5 parmi ceux qu'elle avait soutenus lors des élections pour la Chambre des Représentants !

Plus profondément, la culture américaine est devenue de plus en plus individualiste; la révolution ultra-conservatrice a gagné du terrain ; la croyance dans le self-reliance - ne compter que sur soi et surtout pas sur l'Etat - est désormais un mantra incontournable dans une société qui cultive le fantasme exacerbé d'une liberté sans limites.

Comment dans la série Desperate housewives peut-on montrer une des héroïnes trouvant un moment de détente en tirant sur des boîtes de conserve au fond de son jardin, entre une tarte aux noix de pecan et une partie de poker avec ses voisines ?

Comment surtout - et cet exemple est authentique - un professeur d'université peut-il raconter sans frémir à ses étudiants qu'il dégomme les lapins qui gambadent à la lisière de son terrain dans une banlieue résidentielle chic de Virginie?

Les assassins ne sont pas pour autant plus nombreux aux USA qu'ailleurs - même si on peut regretter que tous ceux qui auraient besoin de soins psychiatriques très lourds soient moins bien dépistés et suivis - mais ils ont la possibilité de s'équiper facilement de revolvers, de fusils de chasse et même de fusils d'assaut, en vente libre aux comptoirs de la chaine de supermarchés de Walmart !

Pire : après chaque bain de sang, les ventes d'armes augmentent, y compris dans l'Etat même où a été commis l'hécatombe. Ce fut le cas dans l'Arizona après la tuerie de Tucson qui a failli coûter la vie à la Représentante démocrate Gabrielle Giffords. Au nom d'une logique folle : si les gentils Américains avaient des armes, ils pourraient les retourner contre les méchants qui en font usage ! C'est ainsi que des voix osent dire depuis trois jours que si les armes étaient permises dans les écoles, elles auraient permis de se défendre face à Adam Lanza, auteur de l'horreur de Newtown. Autrement dit, encourageons la folie pour répondre à la folie !

On sait qu'aucun président ne sera élu en faisant campagne pour l'interdiction des armes à feu. Aucun gouverneur non plus. Et il est vain de croire, comme le voudrait la presse du monde entier que "le débat va enfin s'ouvrir sur le port d'armes aux Etats-Unis". Il ne se passera rien... jusqu'au prochain massacre qu'on déplorera avec autant de chagrin que celui-ci, qui a visé principalement des enfants de 6 ans, et a rendu humides les yeux du président américain. Il doit s'exprimer cette nuit. Si c'est pour réclamer un renforcement de plus du gun control si peu efficace, ce sera décevant. On attendrait de lui un courage historique pour aller jusqu'au bout et souhaiter l'interdiction des armes à feu en vente libre sur le territoire américain. Peut-être l'aura-t-il ce soir ?

PS, Lundi matin : Obama est resté au bord du chemin : "Nous ne pouvons pas accepter que des tels événements deviennent la routine. Sommes-nous prêts à dire que nous sommes impuissants face à de tels carnages? Que la situation politique est trop difficile?". Allusion plus que prudente au sujet brûlant. Et pas d'annonce de mesures - fussent-elles de contrôle renforcé. Timide approche. Réelle déception.

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