Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

D'une Convention à l'autre

À quoi sert une Convention? D'abord à rappeler aux électeurs qu'ils voteront dans deux mois, ce dont ils n'ont pas toujours pris conscience, malgré l'interminable campagne qui, aux Etats-Unis, entre les primaires et l'élection elle-même, s'étale au moins sur un an. La grand-messe d'une Convention a pour objet officiel de dévoiler le programme du candidat qu'elle intronise. Mais en réalité, c'est le moment où jamais pour modeler, voire modifier son image.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
CINCINNATI, OH - SEPTEMBER 01: Republican presidential candidate, former Massachusetts Gov. Mitt Romney speaks during a campaign rally at Union Terminal on September 1, 2012 in Cincinnati, Ohio. Mitt Romney will hold campaign events in Ohio and Florida. (Photo by Justin Sullivan/Getty Images)
Getty Images
CINCINNATI, OH - SEPTEMBER 01: Republican presidential candidate, former Massachusetts Gov. Mitt Romney speaks during a campaign rally at Union Terminal on September 1, 2012 in Cincinnati, Ohio. Mitt Romney will hold campaign events in Ohio and Florida. (Photo by Justin Sullivan/Getty Images)

La semaine qui vient de s'écouler aux Etats-Unis a commencé dans la crainte d'un ouragan imprévisible nommé Isaac, et s'est terminée dans un regret, avec la prestation déroutante de L'inspecteur Harry (1).

A quoi sert une Convention ? D'abord à rappeler aux électeurs qu'ils voteront dans deux mois, ce dont ils n'ont pas toujours pris conscience, malgré l'interminable campagne qui, aux Etats-Unis, entre les primaires et l'élection elle-même, s'étale au moins sur un an. La grand-messe d'une Convention a pour objet officiel de dévoiler le programme du candidat qu'elle intronise. Mais en réalité, c'est le moment où jamais pour modeler, voire modifier son image.

Ces gigantesques meetings, étalés sur plusieurs jours et dont on connaît bien les images des ballons qui s'envolent, les ardeurs de la foule et les ovations qui montent vers le héros de la fête, sont des shows calibrés - théoriquement - à la seconde près, qui ont pour but de mettre en lumière la personnalité d'un homme, plus encore que son programme de gouvernement. C'était l'objectif de Mitt Romney la semaine passée à Tampa, en Floride, avant que Barack Obama, à son tour, n'entre en scène dès mardi, à Charlotte, en Caroline du Nord.

J'ai assisté il y a quatre ans à la fin de la Convention Démocrate, le 28 août 2008, celle qui intronisa Obama. Elle reste, pour moi, un souvenir mémorable.

Il faisait une chaleur écrasante, et, à quelques-uns, nous avions décidé de nous rendre à Denver où avait lieu la Convention, munis seulement de deux précieuses invitations pour cinq personnes, ce qui était un peu hasardeux, tant la demande était forte et les contrôles - soi-disant - sévères.

Imaginez une longue, une très longue file de supporters serpentant sur deux ou trois kilomètres dans la banlieue de Denver. Alors que les grilles du stade restaient fermées, tout le monde est resté sur place quatre heures sans broncher, sous le soleil brûlant du Colorado, et sans une goutte d'eau à l'horizon.

Le soulagement quand, enfin, la foule se mit à bouger ; la débrouillardise un peu honteuse, pour parvenir à entrer à deux avec la carte d'invitation ; la combine, bien française, quand l'un de nous ressortait chercher un à un nos compagnons... Dans les foules américaines, la resquille, comme devant un cinéma du Quartier Latin, n'existe pas : personne ne proteste, tout le monde patiente, personne ne se faufile, "you just follow the rule", on applique la règle, non écrite mais convenue, de la bienséance, qui rend un peu confus des Français mal élevés, mais contents quand même d'être entrés dans le Saint des saints.

Oppressante, l'immensité du cirque, envahi par 85.000 personnes ! Un Stade de France en plus grand, avec une scène monumentale tendue de bleu, parsemée de colonnes égypto-gréco-romaines comme pour une représentation d'Aïda. Steevie Wonder pour faire patienter et faire rocker sagement les spectateurs, des célébrités à photographier comme Oprah Winfrey ou Al Gore, et des intervenants, tous choisis avec soin, anonymes ou célèbres, que ce soit la chanteuse pop Beyoncé, un animateur de quartier de Chicago, ou cette femme, ancien commandant d'une unité ayant sauté sur une mine en Afghanistan, et dont les deux jambes étaient remplacées par des prothèses, entrant sous les acclamations du public ému.

Tous, avaient la même minute et demie de temps de parole, écrite et lue sur prompteur, pour dire tout le bien qu'ils pensaient du candidat Démocrate. Les textes avaient été écrits bien sûr par le staff d'Obama, rien n'était improvisé. Certes, le son était médiocre, mais il était réglé non pas pour le confort de l'écoute dans le stade, mais pour être entendu des 40 millions de téléspectateurs qui suivaient la Convention en direct.

Les pancartes qui devaient ponctuer le discours des intervenants les plus marquants, comme Joe Biden, le colistier d'Obama, comme Hillary, ralliée avec panache à son rival de la primaire, ou comme Bill Clinton lui-même, étaient distribuées avec méthode par des centaines de militants, qui envahissaient les travées une minute avant que l'orateur ne prononce la phrase-slogan attendue et qu'on voulait voir soulignée.

C'est ainsi que l'on voit, lors des retransmissions télévisées de ces grandes célébrations américaines, les mots-clés préparés par l'équipe de communication du candidat, fleurir à la même seconde dans le stade, qui semble alors onduler sous l'effet d'une houle bleue, blanche ou rouge, faite, elle aussi pour l'image.

Enfin, dans cette scénographie très au point, vient le discours espéré par la foule et relayé par les énormes écrans tout autour de l'arène. Obama, élancé, gracieux, mais le menton légèrement levé de celui qui se sait le chef, s'est installé au pupitre. Pas un mot prononcé hors de ceux écrits sur le prompteur, pas un tremblement devant cette marée humaine, soignant même en péroraison, l'arrivée de Michelle, belle et triomphante pour l'ovation finale. Dans une Convention réussie, le discours du candidat intronisé doit être le point d'orgue de ces journées, le moment où l'orateur doit enflammer le stade, dont la clameur, espère-t-on, perdurera jusqu'au premier mardi de novembre, jour de l'élection du Président des Etats-Unis.

Obama, ce 28 août 2008, fit donc un grand et beau discours sur l'espoir - "Hope" - et le changement - "Change" - qui furent ses deux slogans de 2008. Celui de 2012 - "Forward" - veut donner l'impression de continuer de l'avant, et ne pas ralentir le mouvement. Il sera sûrement la ponctuation de la Convention de Charlotte, mais il est probable qu'il fera moins vibrer la foule inquiète des classes moyennes.

Au terme de ce discours d'il y a quatre ans, après l'image des couples Obama et Biden enlacés ; après la bénédiction du pasteur qui suivit - à la stupeur des étrangers habitués aux messes politiques laïques - la foule debout, silencieuse et recueillie, pria pour demander au Ciel ses faveurs pour le candidat, et tout le monde s'en fut. Sans bousculade, à travers un terrain vague, le long d'un petit goulot d'étranglement, entre deux rangées de barbelés, la foule s'écoula paisiblement en cette nuit de fin d'été, sûre de tenir sa victoire deux mois plus tard.

POUR LIRE LA SUITE DE L'ARTICLE, CLIQUEZ CI-DESSOUS :

La partie sera plus difficile cette année pour Barack Obama et chacun pense que le scrutin sera serré. Tout se jouera comme d'habitude dans les "swing states", les Etats qui changent souvent de vote d'une élection à l'autre (ainsi, la Floride, où tout se jouera, comme souvent). Certes, la popularité du Président reste grande, sur les côtes Est et Ouest de l'Amérique, les terres les plus peuplées et les plus progressistes, chez les femmes (54% des Américains pensent qu'il défendra mieux le droit des femmes que son adversaire), et dans les minorités gays, latinos ou noires. Mais 20 millions de ses compatriotes sont sans travail ou sous-employés, sa laborieuse réforme de la santé est tout juste validée par la Cour Suprême après 4 ans de bataille, le déficit des comptes publics est immense, les dépenses toujours plus attendues et onéreuses, et les Américains, impatients comme tous les peuples plongés dans la crise, pourraient bien avoir envie de changer la tête de l'Etat.

Il va donc lui falloir qu'il donne le meilleur de lui-même et de ses talents d'orateur hors pair - et bien sûr qu'il utilise Michelle, extrêmement populaire, qui sait bien, elle, parler du droit des femmes, de l'égalité des salaires, de l'accès à la santé - pour remobiliser des électeurs qu'il avait su faire voter massivement en 2008, tant ils étaient désireux de voir disparaître l'ère de George Bush.

Voilà pourquoi la Convention Républicaine de Tampa espérait prendre de l'avance, construire ce "momentum", cet élan, dont Romney et ses conseillers souhaitent qu'il balaie l'actuel locataire de la Maison Blanche, en butte à la difficulté de gouverner.

Si, en France il y a quelques mois, les propositions de François Hollande avaient presque disparu derrière ce fameux mot de "normal", répété jusqu'à la lassitude, ce grand bourgeois riche et distant qu'est Mitt Romney a choisi de se montrer "humain" en effaçant toute aspérité, et notamment son programme et sa vision d'une Amérique toujours en crise.

L'on n'en saura guère plus qu'avant Tampa sur ses choix budgétaires, ni sur son programme fiscal, finalement le même que celui de Bush, dont les Démocrates disent et redisent qu'il a conduit à des déficits records, à une économie en détresse, à l'augmentation de la pauvreté et des inégalités. Non, pas un mot là-dessus ou presque, sinon un déluge d'idées générales, très marquées à droite, sous l'influence du Tea Party, cette frange du parti républicain qui a tant pesé jusqu'ici. A l'image du présentateur très populaire Rush Limbaugh, idéologue d'extrême droite, qui a accusé Obama d'avoir sciemment demandé aux météorologues d'affoler les populations en prévoyant que le cyclone Isaac risquait de frapper la Floride, alors qu'il s'est finalement orienté encore une fois vers la Nouvelle-Orléans, décidément damnée par les ouragans!

Donc, pas de plan dévoilé pour réussir là où il estime qu'Obama a échoué, sinon, la volonté de reprendre à son compte la promesse de l'actuel Président d'un avenir meilleur et de "restaurer l'Amérique".

On aura même vu à cette Convention, un défilé d'orateurs plus brillants que le candidat lui-même : le colistier de Romney, le très conservateur Paul Ryan, hostile à l'avortement et favorable à l'amputation des budgets sociaux, incontestablement le tribun le plus applaudi de ce show Républicain ; des intervenants stars comme Chris Christie, le gouverneur du New Jersey ; des trouble-fêtes comme Todd Akin candidat dans le Missouri, auteur d'une phrase scandaleuse sur le viol qui, même s'il s'avérait "véritable" comme il a osé le dire, ne devrait pas donner lieu à un avortement ; une "Desperate Housewive", une "Bree" (2) plus vraie que nature, en la personne d'Ann Romney venue avec assurance et maîtrise "parler d'amour" à un public féminin pâmé d'avance et leur criant - moins joliment que Julien Clerc, mais avec le talent de celles qui osent tout - "Femmes, je vous aime" ; et enfin le malheureux Clint Eastwood dont l'intervention devait être le clou du spectacle et qui, auteur de son propre texte, fit un bide retentissant. S'adressant à une chaise vide, que, sûr de son effet, il avait, à la dernière minute, fait apporter sur scène pour représenter un Président inexistant, il livra un discours long, improvisé et confus. Pour les politologues qui s'intéressent au moment où le sort peut faire basculer une machine bien huilée et prévue pour réussir, cette fausse note est d'ailleurs un instant plein d'enseignements.

Ce ne fut pas un cadeau que fit Romney au grand acteur : il faudra se dépêcher d'oublier cette image pénible, qui ne doit pas ternir celle du comédien hors pair, ou du réalisateur de films classiques, certes, mais de belle facture.

En tout cas, ce ne fut pas l'allumette qui enflamma un stade qui n'attendait que cela. Le discours de Romney qui suivit, fut vide et plat, malgré l'enthousiasme de la foule venue pour l'adouber et les sondages qui devraient quand même indiquer une inflexion en sa faveur après ces journées où l'on ne parla que de lui.

Certes ce sera à l'Amérique profonde de se prononcer, à cette "middle class" mise à mal par la crise, et non pas aux éditorialistes du très libéral (au sens américain du terme, c'est-à-dire de gauche) New York Times. Toutefois, je ne peux pas résister à vous donner quelques extraits de l'article, publié il y a trois jours par David Brooks, éditorialiste politique de premier plan, toujours acéré. Il incarne pourtant le conservateur modéré, souvent critique envers Barack Obama, mais cette fois sans pitié pour Romney dont il a fait une biographie imaginaire, ironique et au vitriol pour les lecteurs de son journal, et intitulée: "Le vrai Romney":

"Romney fut un enfant précoce et doué. Il a prononcé ses premiers mots 'J'aime virer les gens' à 14 mois, et a fait sa première gaffe à 15 (...) A l'Université, sa matière principale fut la musique et il a su retranscrire l'intégralité de l'œuvre de Mozart sous forme de Power Point (...) Il fut élève à Harvard, où certes, il étudia les affaires, le droit, les lettres et la philosophie, même si intellectuellement, sa matière préférée fut l'évasion fiscale (...) Certains ont dit qu'il était un privilégié car il avait un ascenseur à voitures dans le garage de sa maison de San Diego. Ce n'est pas juste : il possède beaucoup de maisons où il n'y a pas d'ascenseurs et où les voitures prennent l'escalier", etc, etc..."

La presse dite "de référence" en Amérique, comme l'est le New York Times, est libre, très libre de ton. Elle est sans complaisance pour les politiques proches de ses propres engagements, elle sait reconnaître les mérites du camp d'en face, ne manie pas la fausse insolence ni ne s'attarde sur les anecdotes ou les petites phrases qui font le délice de notre presse hexagonale. Elle est souvent juste, mordante, acide. Au tour du Président sortant d'essuyer critiques ou louanges dans les jours qui viennent où tout va se jouer pour lui. Barack Obama sera-t-il le seul dirigeant occidental à échapper à la malédiction de la crise ? Début de réponse cette semaine à Charlotte.

(1) "L'inspecteur Harry" - en anglais, "Dirty Harry" - est l'un des rôles les plus connus incarné par Clint Eastwood, invité surprise de Mitt Romney.

(2) L'une des héroïnes les plus populaires et caricaturales de la série à succès "Desperate Housewives".

La convention républicaine en photos, par nos collègues du HuffPost américain:

Republican National Convention 2012

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.