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Charité, Gravol et esprit de Noël

J'haïs Noël. C'est viscéral. La musique à grelots, aux paroles vides de sens et pourtant chantée avec une passion extrémiste, me donne envie de vomir. Les décorations m'agressent.
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J'haïs Noël. C'est viscéral. La musique à grelots, aux paroles vides de sens et pourtant chantée avec une passion extrémiste, me donne envie de vomir. Les décorations m'agressent. Pourtant, je suis de celles qui s'enthousiasment, décorent et exagèrent un peu, joyeusement, à toutes les autres fêtes. Pourquoi Noël est-il différent?

Noël, après tout, c'est supposé être l'amour et le partage. Je passerai sur la récupération capitaliste et consumériste de la fête, tout comme sur la gastro que j'attrape systématiquement et très symboliquement à chaque année. Je crois que ma haine de Noël s'est développée en même temps que ma haine de la charité, qu'on a tendance à voir avec attendrissement comme le remède à notre individualisme et qui n'en est pourtant qu'un symptôme de plus.

J'ai travaillé pendant des années, le 25 décembre. C'était à la fois la fête, et la journée la plus triste qui soit. Tout le monde célébrait, le cœur lourd et les yeux rougis, cette journée ou la solitude pèse plus qu'à l'habitude. La majorité des femmes avec qui je travaillais avaient des enfants qu'elles ne voyaient plus. Noël marquait au trait rouge et vert leur isolement, leur marginalité douloureuse, ainsi que l'image et la position qu'elles occupaient dans notre société.

Dans un refuge pour sans-abri, Noël est une blessure, après quelques semaines où on a eu droit à un rôle social dans l'imaginaire collectif de Noël : celle du pauvre, du déshérité, de l'exclu, qui permet aux autres de donner, de se sentir encore plus chanceux et fiers. Noël marque l'injustice des disparités sociales et en fait une chose romantique. Pourtant, ce qui reste, année après année, dans cette période supposée de partage, d'amour et d'entraide, c'est que noël est souffrant et stigmatisant pour celles et ceux qui sont exclus de l'image du bonheur idyllique qu'on se vend.

Je n'ai rien contre la reconnaissance de l'aspect égoïste de l'altruisme. Donner fait du bien. Partager donne de la valeur à ce qu'on a. La solidarité est une source d'épanouissement pour laquelle il est difficile de distinguer qui donne et qui reçoit. Chacun y retire quelque chose, et c'est sur elle que se bâtissent les sociétés les plus évoluées, celles où on rapporte les plus hauts taux de bonheur.

J'en ai contre la charité, qui ne considère pas les gens à qui elle s'adresse comme des personnes qui ont, comme tout le monde, une fierté, des rêves et une volonté d'appartenance. La charité rabaisse, met en position d'infériorité. Je me souviens de ces femmes qui venaient « aider » au refuge, dans leurs plus beaux habits, et dont nous avions pourtant besoin des dons pour arriver à offrir un strict minimum, bien insuffisant pour se sortir de la rue. Je me souviens de leurs regards inquisiteurs et dédaigneux pour les femmes de notre organisme, proportionnel à la fierté qu'elles portaient pour leur «beau geste». Je me souviens aussi des cadeaux qui étaient offerts par nos âmes charitables à des femmes qu'elles savaient sans logis. La dernière année, elles ont reçu des mitaines de four. Des hosties de mitaines de four.

L'esprit de Noël qu'on se vend reconnait l'existence de la misère sans la volonté de la soulager toute l'année, dans un voyeurisme qui n'a rien à faire de la vulnérabilité des gens qui souffrent. J'en ai contre ces cœurs qui font mine de s'ouvrir pour se refermer aussitôt les lumières décrochées, et ainsi mieux regarder « les pauvres » de haut, comme s'ils étaient personnellement responsables de la place qu'ils occupent dans un système qui admet la pauvreté, en profite et l'entretien.

La charité est dégradante. La charité passe inévitablement par un jugement de valeur entre les méritants et les autres. La charité abaisse ceux qui sont déjà vulnérables et nourrit ceux qui sont déjà gorgés. On se sent bon, alors qu'on a donné des biens en attaquant la dignité de ceux qui n'ont pas d'autres choix que de les recevoir. Et on se trouve tellement beaux, tellement bons. Mais est-ce qu'on a aidé autant qu'on a nui?

J'aimerais voir émerger une attitude de partage et de solidarité, plus que de charité. Si Noël est un esprit, il faudrait revoir la manière dont on donne plutôt que ce qu'on donne, et ce, toute l'année. Certaines personnes ont été contaminées par un esprit de Noël plus vrai, plus profond, et dont ils ne sont pas guéris dans la nuit du 2 janvier. Revoir l'esprit de ce partage pour soi même rendrait impossible de se refermer le cœur et de laisser notre conscience sociale gavée de dinde et de biens se rendormir jusqu'à l'année prochaine.

La magie de Noël, c'est surtout le miracle d'un peuple qui pourrait s'éveiller. Ça implique d'accepter de vivre avec le malaise qui découle de la conscience de l'injustice. Ça implique de passer un peu de son énergie à se battre. Ça implique surtout la possibilité d'un monde plus humain pour tout le monde, toute l'année, en profondeur.

All I want for christmas is que le le petit goût de vomi qui commence à remonter dès l'Halloween passée fasse place à un peu de sens et de compassion. Et je ne crois ni au père Noël ni au petit Jésus pour m'apporter ça. Je ne crois qu'en nous. Et si on pouvait collectivement commencer à y croire, on aurait plus besoin de miracle. Il serait là.

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