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11 millions pour la fugue... oui, mais...

Aujourd'hui, je dis merci, mais je suis déçue.
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kieferpix via Getty Images

À la veille d'une campagne électorale, devant un Québec indigné par la réalité choquante d'une télésérie sur une ado qui se retrouve en fugue dans un réseau d'exploitation sexuelle, on annonce un investissement de 11 millions pour contrer la fugue et l'exploitation sexuelle.

Et moi, je suis déçue.

Imaginez ceci: votre maison nécessite beaucoup de rénos. Elle est chambranlante, bien que la structure soit solide, les planchers craquent, les fenêtres s'embuent, la peinture s'écaille. Elle est grande, mais les divisions ne répondent plus à vos besoins, et le développement de vos enfants est compromis. Votre plus vieux de 6 pieds dort en boule dans un petit lit et vous voudriez prévenir ses maux de dos, le bébé, quant à lui, est toujours dans son berceau faute de place, il est un peu négligé. Vos deux jumelles partagent la même chambre et n'ont pas d'endroit pour étudier. Il n'y a pas d'ordi, qu'un seul bain, votre conjoint s'endort sur le divan devant le seul téléviseur auquel il accède seulement quand les enfants sont couchés et ce n'est pas très bon pour votre relation.

Bref, espérant sauver la situation, vous faites une demande de subvention, et quelque part, on reconnait que votre maison est inadéquate et on vous propose un investissement.

Espérant sauver la situation, vous faites une demande de subvention, et quelque part, on reconnait que votre maison est inadéquate et on vous propose un investissement.

Ainsi, on vous annonce en grande pompe que votre demande est reconnue afin de prévenir le mauvais développement de vos enfants. Content, vous imaginez déjà la chambre de l'ainé au sous-sol avec un beau grand lit, et au moment même ou vous croyiez avoir gagné à « Décor ta vie », après avoir imaginé chacune des pièces nouvellement aménagées, on vous informe que l'argent tant attendu se répartit comme suit.

Une partie sera remise à un entrepreneur qui s'assurera que la charpente ne risque pas de s'effondrer, une autre partie se retrouvera entre les mains d'un plombier en cas de dégât d'eau et un physio sera engagé pour vous enseigner comment prévenir les courbatures de votre ado. On vous offrira la liste des ressources pour l'aide au devoir afin que vous puissiez accompagner vos jumelles dans les cours de science et d'histoire et on informera votre conjoint des dangers du manque de sommeil. Une autre personne devra s'assurer que l'entrepreneur, le plombier et le physio et tous les autres spécialistes se parlent régulièrement afin que l'un n'entrave pas le travail de l'autre. On s'assurera également de bien superviser chaque étape, et de bien supporter tous ces professionnels afin qu'ils soient confiants dans leur décision.

Dans le journal du quartier, on informera tout le voisinage de la contribution qui vous a aidé à tenir votre famille loin des dangers en investissant dans votre maison. On dira que grâce à tout cet argent, votre couple restera fort et votre famille unie et en santé.

Vous direz merci, bien sûr, merci de donner si généreusement bien que la somme annoncée devra être partagée avec tous vos voisins dans votre situation, vous direz merci pour tous ses spécialistes mis à votre disposition, mais ce soir dans votre maison toujours chambranlante, votre géant prendra deux comprimés pour son dos courbé, votre mari s'endormira devant la télé, bébé sera incapable de se retourner dans son berceau et vos jumelles tenteront de bien retenir chacune des capitales de notre beau pays.

Aujourd'hui, je dis merci, mais je suis déçue. J'aurais voulu l'argent pour mes jeunes directement, j'aurais voulu qu'ils voient la différence en rentrant, qu'ils me disent « wow c'est super qu'on puisse maintenant avoir tout ça. » J'aurais voulu ce lit plus grand, ce long sofa et que dire d'une seconde télévision.

Je n'ai pas cela.

J'ai toutefois quelqu'un de plus pour me dicter quoi faire, de nouveaux programmes de sensibilisation à enseigner et quelqu'un qui s'assurera du bon fonctionnement de ma maison malgré un petit lit, un frigo restreint et même pas d'ordi. Un investissement de 11 millions dans les fugues et oui je suis un peu déçue.

J'aurais souhaité qu'on puisse accompagner les fugueuses dans leur déplacement au centre-ville quand elles ont peur et qu'elles sont fragiles, j'aurais voulu plus de temps pour les encourager, les accompagner dans les dénonciations, dans la guérison, j'aurais tellement voulu avoir moins souvent le nez dans les papiers.

Rassurez-vous, l'investissement dans les fugues annoncé, c'est 63 postes de superviseurs cliniques pour surveiller le travail des intervenants, c'est 17 agents de liaison entre les différents établissements pour assurer la complémentarité des services, c'est un support aux nouveaux employés quand ils ont juste envie de s'en aller, c'est aussi l'implantation de nouveaux programmes et le maintient des anciens.

Je dis merci, mais ce que je comprends, c'est que les fenêtres de ma maison sont toujours embuées et la peinture est encore défraichie. En fait, cet investissement dans la fugue c'est comme prévenir les maux de dos de mon ado en m'offrant quelqu'un qui va évaluer si sa couchette est bien assemblée au lieu de me donner un lit assez grand, et du temps pour le masser, Miss Rebelle !

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