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Entente Netflix: ceci n’est pas une politique sur la fiscalité

Le Québec et le Canada ne peuvent plus se contenter d’être des incubateurs de talents pour des productions étrangères prestigieuses.
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L'entente Netflix est opportune sous deux conditions : que les accords avec les multinationales de distribution directe portent sur des contenus dont la propriété intellectuelle réside au Canada, et qu’ils contiennent des mesures incitatives particulières à l’égard des contenus francophones.
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L'entente Netflix est opportune sous deux conditions : que les accords avec les multinationales de distribution directe portent sur des contenus dont la propriété intellectuelle réside au Canada, et qu’ils contiennent des mesures incitatives particulières à l’égard des contenus francophones.

Ceci n'est pas une politique sur la fiscalité, mais plutôt une politique sur le développement d'une économie forte de la création au Canada. Peut-être camoufle-t-elle un éléphant... Mais dont la puissance pourrait être salutaire.

Les multiples interventions auxquelles a donné lieu la récente politique culturelle annoncée par la ministre Mélanie Joly ont été à l'origine d'une phénoménale méprise, tant elles ont été dominées par une question de justice dans l'application des taxes à la consommation. Sans rien enlever aux mérites de cette discussion, au demeurant juste et fondamentale, on doit tout de même admettre que cette politique n'en est pas une sur la fiscalité. En conséquence, il y aurait aussi intérêt à examiner de plus près les répercussions qu'elle prévoit engendrer sur l'avenir de nos industries créatives dans un monde de plus en plus numérique et global.

L'Angleterre, les Pays-Bas, la Corée du Sud, Israël, sont aujourd'hui reconnus parmi les chefs de file mondiaux de la création et ont pu constituer des patrimoines nationaux significatifs, basés la détention et la maitrise de la propriété intellectuelle.

La politique de madame Joly se fonde principalement sur l'affirmation et le développement d'une économie nationale de la création, se répercutant dans plusieurs sphères de l'activité culturelle. Les pays qui l'ont fait en ont récolté les fruits, parfois abondants et juteux. L'Angleterre, les Pays-Bas, la Corée du Sud, Israël, sont aujourd'hui reconnus parmi les chefs de file mondiaux de la création et ont pu constituer des patrimoines nationaux significatifs, basés la détention et la maitrise de la propriété intellectuelle. Il s'agit là d'un atout inestimable dans l'établissement d'une valeur culturelle et économique forte et durable, dont la mesure sera la diffusion et l'exploitation de la création canadienne sur les plateformes numériques existantes et émergentes à l'échelle de la planète.

Afin de saisir la portée éventuelle d'une politique orientée vers la création, il faut peut-être se pencher, par exemple, sur la situation dans laquelle s'enlise la production d'émissions dramatiques au Québec. En raison de facteurs historiques, la volonté de harnacher le potentiel créatif qui est le nôtre, et conséquemment de prendre d'assaut le monde avec nos idées, souffre d'une affligeante timidité. La position concurrentielle du Québec sur les marchés de la fiction internationale est faible par rapport à des pays de démographie comparable, et elle ne reflète surtout pas le talent de nos auteurs, réalisateurs, artistes et artisans. Quoiqu'on en dise parfois, l'économie de la création préconisée par la ministre Joly pourrait s'avérer dans les circonstances d'un précieux secours et aider au relèvement de nos ambitions.

Reconnaissons d'abord le constat suivant : dans le domaine particulier de la création et de la production d'émissions dramatiques francophones, un secteur où le Québec excelle depuis toujours, les conditions se dégradent lamentablement. De Lance et compte, au milieu des années 80, à Blue Moon aujourd'hui, les budgets consacrés aux séries dites lourdes ont diminué de 400% si on applique le taux d'inflation qu'a connu le Canada entre ces deux périodes. Cette dégradation effrénée des ressources de production n'est pourtant pas attribuable à un désengagement financier des États, mais bien davantage à la diminution constante de la capacité de payer des chaines de télé, aux prises avec la transformation du marché publicitaire et les affres d'une démographie restreinte. En ce sens, toutes contributions significatives à l'ouverture des marchés peuvent à coup sûr redonner de la hauteur budgétaire et de l'envergure à nos séries dramatiques. À défaut, il faudra peut-être se résigner et ranger sous le tapis les aspirations légitimes de nos talentueux créateurs.

Le Québec et le Canada ne peuvent plus se contenter d'être des incubateurs de talents pour des productions étrangères prestigieuses.

Sous réserve des précisions qui doivent y être apportées, la fameuse entente Netflix dévoilée par madame Joly risque ainsi de faire partie de la solution bien plus que du problème. Si le diffuseur mondial ouvre ses portes à la création et au savoir-faire des producteurs d'ici, plusieurs idées originales de séries pourraient être libérées de leurs entraves, s'exprimer avec des moyens appropriés et être appréciées partout dans le monde. Le Québec et le Canada ne peuvent plus se contenter d'être des incubateurs de talents pour des productions étrangères prestigieuses. Il faut applaudir fortement à la réussite des Denis Villeneuve et Jean-Marc Vallée, mais l'économie de la création prendra tout son sens lorsque l'imaginaire de nos scénaristes et de nos réalisateurs pourra se déployer dans toutes leurs dimensions. Netflix, tout comme les autres géants de la distribution directe aux consommateurs, tels Amazon et bientôt Apple, permettent de franchir un pas important dans la bonne direction.

La justice fiscale demeure un enjeu fondamental, c'est entendu. Mais l'équilibre entre l'économie de la production et celle de la création est tout aussi important. Les industries qui se sont érigées aux services des productions étrangères prennent de l'ampleur au pays et c'est tant mieux pour l'emploi, les infrastructures et l'affirmation d'une expertise solide. Mais encore là, les politiques de nos gouvernements, particulièrement dans le domaine fiscal, doivent reconnaitre les enjeux de l'ère numérique et déployer tous les efforts requis pour que le pays soit autre chose qu'une terre d'accueil pour la concrétisation d'œuvres dont la propriété intellectuelle échappe à ses artistes et à ses entrepreneurs culturels.

Dans cette perspective, l'entente Netflix est opportune sous deux conditions : que les accords avec les multinationales de distribution directe portent sur des contenus dont la propriété intellectuelle réside au Canada, et qu'ils contiennent des mesures incitatives particulières à l'égard des contenus francophones. Dans ces termes, les séries dramatiques relèveront leur niveau d'ambition et pourront démontrer à la face du monde la richesse et la qualité de nos talents.

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