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Censure et «censure»

La «censure» qu'ont subi Ward et Nantel n'est pas une censure venant de la société, mais une censure venant de ceux qui possèdent les billets de banque.
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Malheureusement, oui, cette chronique en sera une énième portant sur la «très intéressante» affaire de censure du Gala Les Olivier. Je sais, vous êtes tannés d'entendre des références à «Je suis Charlie», de voir partout des écrits disant que la censure c'est pas gentil ou des analogies poches avec la loi 78 qui avait empêché les étudiants de s'exprimer en 2012.

Tout le monde est écoeuré d'entendre parler de Guy Nantel, cet humoriste qui fait des «blagues intelligentes» (c'est le terme utilisé dans ce fameux sketch censuré), ressortant les mêmes préjugés politiques poches depuis genre 1995 («Québec Solidaire ne connaissent rien à l'économie, Pauline Marois ressemble à la Castafiore, les politiciens sont tous des crosseurs, hahaha»). Tout le monde a envie d'arrêter de baigner dans un climat où l'imbécillité humaine semble devenir de plus en plus grande à chaque chronique écrite sur le sujet.

Censure systémique?

Mais il y a néanmoins une question qui n'a, à ma connaissance, pas été posée depuis le début de ce «scandale»: pourquoi y a-t-il eu censure pour ce numéro?

Avant que des bien-pensants se mettent à accuser le «politiquement correct», le «marxisme culturel», l'Islam, les droits humains ou une quelconque théorie de l'aseptisation des discours, réfléchissons quelques secondes sans agir comme des complets idiots. Mike Ward devrait être le premier à le savoir: il n'y a pas de censure systématique de l'humour. La preuve réside dans l'existence du podcast Sous écoute (excellent podcast, par ailleurs), fait par Ward lui-même, qui, si on était dans une société qui censure tout ce qui n'est pas «politiquement correct», aurait depuis longtemps fait fusiller tout le monde qui y participe, tellement la sacro-sainte liberté d'expression y règne.

Pourtant, Sous écoute est diffusé sur YouTube et il n'y a pas de problèmes... De même, dans les soirées d'humour plus « underground», on peut voir un éventail de numéros n'étant pas «politiquement corrects» (pensons seulement au duo Les Pics-Bois qui jouent souvent avec la nudité dans leurs numéros). Et au final, Mike Ward, il peut les faire ses «blagues méchantes» dans ses spectacles, non?

Finalement, la TV serait le gros méchant?

Si quelques personnes cessaient quelques secondes de se comporter comme l'auditeur moyen de Radio X, si Guy Nantel utilisait un peu son gros QI qui fait de lui un Mensa au lieu de confondre la censure sous le tsar et la censure au Québec, peut-être que quelqu'un réaliserait que, en humour, ce qui est censuré l'est par de grosses institutions pleines de cash qui télédiffusent de l'humour. Ce n'est pas la population québécoise, ce n'est pas le gouvernement, la police, les FEMEN ou Dieu qui «censurent», ce sont des compagnies qui, en bonnes compagnies, pensent de manière managériale. Le quota risque/profit est évalué, et s'il est trop élevé, on coupe, tout simplement.

L'humour mainstream, l'humour consensuel de jokes de couple et de pointes politiques ne volant pas plus haut qu'un coq, se trouve effectivement à la merci de cette «censure», pour la bonne raison qu'il est un humour servant à rapporter du cash. S'il risque de faire perdre de l'argent, un numéro n'a pas sa raison d'être là où le profit règne. Juste pour rire, Radio-Cadenas, ComédieHa!, TVA et les autres grosses machines à vente de billets n'en ont rien à chier de la qualité de l'humour qu'ils présentent, de l'art humoristique et d'autres préoccupations politiques et culturelles, ils veulent que les matantes et les mononcles puissent venir oublier leur vie plate en regardant Dominique Paquet faire des drôles de faces et en écoutant Patrick Huard parler de pain tranché.

Le prix du succès

Bien sûr, il est toujours plaisant dans la vie de ne pas mourir de faim et donc, éventuellement, un humoriste n'aura d'autre choix que de participer à ses grands festivals du médiocre pour vivre de l'humour, mais il reste quand même que lorsque Ward et Nantel, ainsi que tous les autres qui ont défilé pour critiquer la méchante censure, crient au meurtre parce qu'un numéro sans originalité a été coupé par une grosse business qui récompense l'humour consensuel, il faut peut-être regarder d'où provient cette censure et pourquoi elle peut exister. Les humoristes québécois sont soumis à ces compagnies encourageant l'humour qui fait vendre plutôt que l'humour en soi, et les rares initiatives visant à s'en éloigner (comme le Bordel Comédie Club) ne suffisent pas. Les grandes chaînes de télé, qui font de l'humour absurde un genre de numéro de clowns de cirque et de l'humour politique une variante de l'humour de mœurs, sont les seules plateformes de diffusion qui semblent valides pour nombre d'humoristes, mais personne ou presque n'en parle en dehors des humoristes de la relève.

La «censure» qu'ont subi Ward et Nantel n'est pas une censure venant de la société, mais une censure venant de ceux qui possèdent les billets de banque. La censure étatique, elle existe, elle a été décriée par Pierre Falardeau toute sa vie, par les étudiants, par les journalistes d'enquête, par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en 2012 (oh, ironie du sort), par les communistes, mais elle est politique et beaucoup plus pernicieuse que cette «censure» qui empêche des comiques de faire des jokes sur Marie-Hélène Thibert. La vraie censure, elle n'en a rien à crisser du Petit Jérémy, des blackfaces, de Jean-François Mercier ou de Guy Nantel.

L'humour n'est pas censuré par le «politiquement correct», mais par le conformisme des humoristes à succès qui restent embourbés dans la gimmick de Juste Pour Rire et des galas plates.

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