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La cohérence obligée du pape François

Après l'élection du pape, bien des observateurs n'ont cessé de désigner chez le pape François un contraste criant: entre d'une part des positions «progressistes» sur le plan social sinon politique, et de l'autre des déclarations «conservatrices». L'on peut et même l'on doit s'inscrire en faux contre ce constat dualiste, reflet flagrant d'une méconnaissance totale de ce qu'est l'Église.
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In this image made from video provided by CTV, Pope Francis celebrates his inaugural Mass with cardinals inside the Sistine Chapel at the Vatican, Thursday, March 14, 2013. As the 266th pope, Francis inherits a Catholic church in turmoil, beset by the clerical sex abuse scandal, internal divisions and dwindling numbers in parts of the world where Christianity had been strong for centuries. (AP Photo/CTV)
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In this image made from video provided by CTV, Pope Francis celebrates his inaugural Mass with cardinals inside the Sistine Chapel at the Vatican, Thursday, March 14, 2013. As the 266th pope, Francis inherits a Catholic church in turmoil, beset by the clerical sex abuse scandal, internal divisions and dwindling numbers in parts of the world where Christianity had been strong for centuries. (AP Photo/CTV)

Après l'élection du successeur de Benoît XVI, bien des observateurs ou commentateurs n'ont cessé de désigner chez le pape François un contraste criant: entre d'une part des positions "progressistes" sur le plan social sinon politique, et de l'autre des déclarations "conservatrices" voire, traditionalistes" dans le domaine éthique. L'on peut et même l'on doit s'inscrire en faux contre ce constat dualiste, reflet flagrant d'une méconnaissance totale de ce qu'est l'Église.

L'Église, du grec ekklèsia, "assemblée", est un corps institué, une organisation à la fois sociale et, disons, mystique, où peuples et langues ne connaissent ni limites ni hiérarchie ; une entité non pas "séparée" mais "provisoire" dans l'attente qu'adviennent l'ère et l'aire de la Cité céleste qu'elle a pour mission de préparer et déjà de signifier. Elle est donc à la fois réalité et utopie. Comme telle, il lui revient d'œuvrer pour la fraternité universelle des hommes, pour l'amélioration concrète de leurs conditions de vie ; et s'il le faut, de s'engager dans la lutte idéale pour qu'injustice et pauvreté régressent. La contribution du pape François fut jusqu'ici exemplaire, et l'on ose attendre de lui de grandes choses. Son nom, celui du "pauvre" d'Assises, constitue de soi un saisissant programme.

Dans l'Église, réalité et utopie - utopie pour ainsi dire jouée dans le culte -, reposent de concert sur un corps de doctrines et de rites dont le Christ "confessé" et "annoncé" demeure "le centre", ce que le nouveau pape vient de rappeler. L'Église a pour base pérenne un solide système dogmatique. Celui-là même qu'a défini et promulgué le Concile de Trente au XVIe siècle, avec des compléments uuultérieurs,mais jamais de correctifs formels. Et elle est la seule institution ou société religieuse à posséder un Code de droit interne, dit "canonique". Le tout se trouve repris, sans altération ni inflexion, dans le fameux Catéchisme de l'Église catholique publié sous Jean Paul II.

Il est impensable qu'un pape, quelles que soient ses ouvertures et ses audaces, touche aux éléments constitutifs de l'édifice dont il garantit au sommet la maintenance et le maintien. À la rigueur, par exemple, et c'est le souhait de quelques évêques européens dits "conciliaires", il pourrait laisser ordonner prêtres des hommes mariés (non pas des femmes, ce qui est exclu par le Code de droit canonique de 1983, promulgué par Jean Paul II) ; mais l'on ne saurait envisager que des prêtres aient la liberté de convoler tout en restant en exercice (on confond trop souvent les deux sujets). En principe du moins, l'institution d'un sacerdoce célibataire n'exclut pas la possibilité de l'autre. Mais elle a sa place nécessaire dans la représentation prophétique de la Cité céleste dont l'Église est pour l'heure la vision terrestre. Telle est la doctrine.

Sitôt élu, le 13 mars au soir, le nouveau pape se présenta comme l'évêque de Rome, et de saluer son prédécesseur comme l'"évêque émérite" de la ville. Le lendemain, il circulait dans une voiture banalisée et non dans le véhicule officiel immatriculé CV 1, "Citta del Vaticano 1". Tout cela est fort, plus fort qu'il n'en paraît. François ira-t-il jusqu'à se départir du titre de Pontifex Maximus, "Souverain Pontife", celui du grand prêtre de l'Urbs dont Léon le Grand se para au milieu du Ve siècle ? Et dans son sillage, les hauts responsables ecclésiastiques renonceront-ils aux désignations aussi pompeuses qu'anachroniques d'"Éminence", d'"Excellence" ou de "Monseigneur"? Avec une simplification sensible de l'apparat vestimentaire ? Tout cela est désormais possible.

D'abord la fumée blanche de la cheminée de la chapelle Sixtine

Le nouveau pape François

À sa façon, Rome a les caractéristiques d'une vaste garnison ecclésiastique, avec l'équipement propre à toute ville de garnison. Par certains côtés, la métropole ainsi qualifiée évoquerait la Moscou de l'ère soviétique. Lieu bureaucratique de centralisation universelle, à commencer par la formation des cadres (il y a à Rome l'équivalent des grandes écoles françaises, de l'ÉNA en particulier avec l'Académie pontificale ecclésiastique où sont formés les futurs diplomates) ; lieu où se révèlent et se préparent, se font et s'épanouissent les carrières. Car on est carriériste également dans l'Église, ne serait-ce qu'implicitement.

Voilà la Ville dont le pape François se retrouve l'évêque. On désigne volontiers la curie comme la cible première des réformes urgentes et vitales à opérer dans l'Église. Sans doute a-t-on raison. Mais ne manquons pas de resituer cette dernière dans le cadre d'une vie romaine avec ses réseaux incrustés, ses milieux protégés et ses mœurs séculaires. Le message d'authenticité et de pauvreté du pape François aura-t-il le dessus sur la perversité instituée d'une situation où le mondain sert trop souvent d'excipient au spirituel ? Ce sera dur, très dur même.

On ne peut douter que le nouveau pape soit, à Rome et dans le monde, l'inspirateur et le promoteur d'un vrai renouveau dans l'Église. Cette dernière a pour objectif le salut des hommes, en chair et en os, où qu'ils vivent et quoi qu'ils pensent. François a très largement montré ses capacités à lui rappeler sa mission de service, auprès des pauvres d'abord, ce qui exige d'elle-même qu'elle redevienne pauvre. Mais il reste la vision ultime de la mission, autrement dit l'utopie. Et c'est ici qu'interviennent l'âme et l'esprit d'un message au caractère absolu.

Nous voilà en présence d'un système doctrinal dont la forme ou l'expression implique une anthropologie et une philosophie dont, certes, on peut discuter les sources et les principes. Pour autant, dans son contenu et sa finalité, le message lui-même est conçu comme le fruit d'une révélation divine avec ses témoins, ses médiateurs et ses relais. Le corps humain, et plus encore le fait de l'Incarnation divine sont centraux. Aussi, tout ce qui concerne la vie, à son principe comme à sa fin, ne saurait souffrir de concessions. Sinon, plus rien ne tient. On ne peut attendre du pape qu'il contrevienne à l'équilibre de cet idéal visionnaire, idéal visant à présenter dans une radicalité prophétique le sens même de la vie. La vie considérée sous son aspect bbiologique,,mais aussi social. À ce niveau de sublimation, il s'agit de deux phases d'un même combat.

Mais le lien parfois douloureux demeure toujours à faire ou à refaire entre l'absolu du message et l'existence concrète. C'est là qu'intervient ce qu'en langage ecclésiastique on appelle l'acte "pastoral". Comment aider au mieux, dans le plus grand respect de leur conscience individuelle, les personnes qui y adhèrent, à saisir sereinement les retombées dudit message ? Dans les critiques comme dans les attentes, n'y a-t-il pas confusion entre les deux plans, celui de l'absolu visionnaire et celui de l'éthique existentielle ? Plans à distinguer pour ensuite les articuler.

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