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Y aurait-il un point commun entre la chimie des rêves et celle des drogues?

Quelle est la biologie des rêves? Leur fonction relève-t-elle du simple défoulement imaginaire de l'esprit? Ou bien les rêves rejouent-ils des émotions, voire des traumatismes?
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Quelle est la biologie des rêves? Leur fonction relève-t-elle du simple défoulement imaginaire de l'esprit qui sommeille? Ou bien les rêves rejouent-ils des émotions, voire des traumatismes, qu'ils font tourner à vide comme pour les digérer ou les évacuer? Prenons les drogues d'abus par exemple (cocaïne, heroïne , etc.): il se peut que le manque physique d'une drogue puisse se retrouver signifiée dans les rêves.

Bref, y aurait-il un point commun entre la chimie des rêves et celle des drogues?

Réponse: oui. Entretien avec Jean-Pol Tassin, directeur de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médical [NDLR: Inserm, France], spécialiste des addictions et des monoamines.

Présentons quelques éléments sur les monoamines, les drogues et les rêves. Les monoamines (dopamine, noradrénaline et sérotonine) jouent chacune un rôle différent dans le contrôle de l'humeur, des envies, du plaisir et de l'adaptation à l'environnement. C'est sur les monoamines qu'agissent tous les produits qui modifient le psychisme: antidépresseurs, antipsychotiques ou drogues. On peut dire aujourd'hui que:

• la dopamine (DA) déclenche le plaisir et active la mémoire associée à ce plaisir;

• la noradrénaline (NE) a pour fonction de mettre en valeur l'environnement lorsqu'il est nouveau;

• enfin la sérotonine (5-HT) participe aux contrôle des impulsions: chaque fois qu'on a très envie de quelque chose, elle sert à contrôler cette envie et à réguler les réponses.

Puisque les monoamines peuvent modifier les états de conscience, d'humeur et de perception de l'environnement et qu'elles jouent un rôle dans les processus d'apprentissage, il semble naturel de penser qu'elles influencent la formation et le contenu des rêves.

Mais avant toute chose, quelle est l'origine biologique des rêves? Il existe plusieurs écoles de pensées qui débattent de ce sujet. «En ce qui me concerne», nous dit Jean-Pol Tassin, «je pense que les rêves sont à l'interface entre le sommeil (lent ou paradoxal) et les micro-éveils que nous faisons tous au cours de la nuit (entre 10 et 15 micro-éveils par nuit pour un bon dormeur). L'endormissement s'accompagne d'un ralentissement de l'activité des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques, les neurones dopaminergiques ne diminuant leur activité que de 10 à 20%. En sommeil paradoxal les neurones noradrénergiques et sérotoninergiques sont pratiquement arrêtés, il n'y a plus accès à la conscience. Or la conscience est indispensable pour qu'il y ait rêve. Le rêve a donc lieu au moment de ces micro-éveils qui correspondent à une réactivation brutale des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques.»

Ainsi le rêve aurait pour fonction d'éviter le réveil malgré cette activation brutale, physiologique et indispensable (un neurone inactif meurt) des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques. Comme nous l'explique le Pr. Tassin: «Il y aurait rêve pendant ces périodes de transition.» Ce dernier rejoint la psychiatrie: «Freud avait sans doute raison lorsqu'il écrivait que "le rêve est le gardien du sommeil". Quand le rendormissement est très rapide, le rêve n'est pas mémorisé, ne peut pas être raconté et ne donne pas lieu à un rêve.» Ce sont effectivement les moins bons dormeurs qui rapportent le plus de rêves. Qu'en est-il du rôle du neuromodulateur associée au plaisir et à l'apprentissage du plaisir, la dopamine? «Au moment du micro-éveil, et donc de l'activation des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques, la dopamine est, elle aussi, activée et participe sans doute à la formation des représentations conscientes et du rêve», ajoute notre spécialiste.

Ainsi, en plus d'être activées lors d'une prise de cocaïne, les monoamines sont aussi activées lors de la formation des rêves. La cocaïne a un impact sur les taux de monoamines et sur l'état émotionnel ressenti quelques jours après la prise. Quelques jours après une grosse prise, le sujet se calme, retrouve ses esprits, sa motivation, sa concentration, mais ses rêves eux transforment l'expérience et se «mettent à parler»: grandes angoisses, voire panique chez certains, rêves très précis, obsessionnels. L'inquiétude trouve alors une acuité nouvelle dans les rêves, un peu comme pour signaler une cicatrice faite au centre de l'humeur ou de la conscience.

On peut se demander si le cerveau travaillerait à combler le manque lorsqu'il rêve en fournissant des scenarios où le drogué en manque trouverait, en rêve, des quantités astronomiques de cocaïne et se satisferait à nouveau. En somme, le manque serait-il aussi quelque chose qui impliquerait, et épuiserait le subconscient? D'après le Pr. Tassin, «il est clair que le rêve dépend du vécu à l'état d'éveil sans que cela ait nécessairement à voir avec l'action pharmacologique de la drogue. Ainsi, un fumeur de tabac qui a arrêté de fumer il y a quelques mois et qui espère maintenir son sevrage pourra rêver qu'il fume sans que cela soit dû à un réel manque physiologique (qui a disparu au bout de quelques jours) mais plutôt à l'effort psychologique (conscient mais aussi inconscient) qu'il est en train de fournir depuis quelques mois.»

Cependant, en qui concerne la cocaïne, le Pr. Tassin nous explique qu'«il y a peu de données sur le rôle de la cocaïne sur les rêves d'autant plus que les rêves des cocaïnomanes sont vraisemblablement variables car en lien avec leurs ressentis éveillés (en état de manque ou sans problème d'approvisionnement). D'une façon générale on peut prédire qu'un cocaïnomane aurait un sommeil plus agité et rêverait plus qu'un patient non dépendant. Il ne faut pas oublier que le (ou les rêves) ne sont que l'expression des événements qui ont été perçus dans les heures, les jours les mois ou les années qui précèdent. Ainsi une expérience de cocaïne ne va vraisemblablement pas changer la réactivité des neurones à monoamines quelques jours après la prise. En revanche, le vécu induit par la prise de cocaïne sera nécessairement intégré dans les rêves qui auront lieu dans les jours qui suivent, pouvant expliquer ainsi des rêves dont la nature a changé par rapport à ce qu'ils étaient avant la prise. Il n'empêche que si ces prises sont répétées, la dérégulation chronique des neurones monoaminergiques apparaît et les rêves peuvent changer, voire se multiplier, car les neurones monoaminergiques ne peuvent plus rester silencieux le temps qui leur est habituellement imparti. Dans ce cas, il y aura donc à la fois le fond du rêve qui sera modifié (expérience diurne en présence de cocaïne) mais aussi la forme, due à la dérégulation des neuromodulateurs.»

L'euphorie engendrée par la cocaïne a plusieurs retours de bâton... Dont l'un viendrait en rêve, par la même route: les monoamines.

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