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Réponse à Johann Hari: vos 5 erreurs fatales sur l'addiction aux drogues

Quand quelqu'un clame «j'ai découvert la vérité que tout le monde cherche depuis un siècle», on se demande si on est pas en train de lire un vieux Tintin ou une publicité glanées dans les zones obscures d'Internet.
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Quand quelqu'un clame "j'ai découvert la vérité que tout le monde cherche depuis un siècle" on se demande si on est pas en train de lire un vieux Tintin ou une publicité glanée dans les zones obscures d'Internet à propos d'une décoction d'herbes magiques. Johann Hari est l'auteur du livre Chasing the Scream et rapporte dans le Huffington Post sa "découverte" sur les mécanismes de l'addiction, parti à la rencontre du monde. Selon lui, c'est très simple. Ce qui nous rend accros à la drogue, ce n'est pas la chimie mais le manque de lien social. Non seulement une telle idée est 1. fausse 2. a déjà été explorée 3. est dangereuse à clamer sur le ton du sensationnalisme et des bons sentiments. À la lecture de son article, voici les 5 erreurs fatales que j'ai décelées.

Erreur 1: Le manque de lien social est un facteur favorable à l'addiction.

Certaines personnes vivent très bien la solitude, et inversement de nombreuses personnes très entourées, connectées, successful en un mot, deviennent cocaïnomanes, par exemple. Ceci dit, un état dépressif peut favoriser le développement d'une addiction. Or le lien social joue vraisemblablement contre l'état dépressif. Mais alors dans ce cas, ce qu'étudie Johann Hari, ce ne sont pas des toxicomanes, mais des personnes dépressives qui s'abiment.

Erreur 2: Les bons sentiments remplacent le besoin du rush.

Même avec toute la générosité et la chaleur du monde, on ne peut pas empêcher un toxicomane de rechuter. Cette envie irrépressible s'allume dans le cerveau de ce dernier comme les panneaux d'une fête foraine, et il lui faut son ticket pour le triplé "grande roue/train fantôme/barbe-à-papa". Lui prendre la main et lui chanter des chansons d'amour risquent de l'agacer plutôt qu'autre chose.

Erreur 3: Le besoin de drogue s'estompe lorsqu'on retrouve du lien social.

Le problème technique FATAL de cet article réside dans le fait qu'il compare des environnements qui ne sont pas neutres: la guerre du Vietnam, la chambre d'hôpital, avec en face le retour chez les siens. Hari rapporte le fait que beaucoup de personnes revenant d'un séjour sous héroïne (opération à l'hôpital ou front de guerre) n'ont pas de mal à se détacher de la drogue. Et de conclure que c'est grâce au lien social retrouvé, à un environnement enrichi enfin regagné. C'est inexact. Un lendemain d'opération ou un retour du front vietnamien n'est pas exactement une journée comme les autres. Hari oublie - ou ignore - que la drogue agit sur la mémoire associative. Ainsi, l'expérience de la drogue est associée à un événement traumatisant (la guerre, l'opération). C'est pour cette raison que le soldat, ou le patient, n'a aucun de mal à renoncer à la drogue: l'utiliser reviendrait à revivre un événement traumatisant. Un vétéran qui reprendrait de l'héroïne prise au front aurait la sensation physique de revivre une nuit au front - c'est en cela que la drogue agit sur la mémoire associative. Ce n'est pas le fait de retrouver du lien social qui fait arrêter la drogue, c'est le fait de vouloir sortir d'un événement traumatisant auquel la drogue est organiquement associée.

Erreur 4: Internet participe aux mécanismes de l'addiction.

Hormis les inexactitudes dangereuses de son article, Johann Hari nous sort des clichés du genre : la solitude croit avec internet. Or, comme d'après lui la solitude est le terrain propice des addictions, Internet doit influencer les comportements addictogènes. Peut-on affirmer une telle idée uniquement avec des citations d'activistes qui veulent arrêter Toni Blair? Hari agite des fantômes d'opinions, avec l'émotionnel, pas vraiment avec des faits scientifiques.

Erreur 5: La dépendance existe indépendamment de la prise de drogue.

Et pour démontrer cela, Hari prend l'exemple des jeux de hasard à Las Vegas. Pas de chance! Il a été démontré depuis longtemps, que le mécanisme à l'œuvre lors de l'addiction aux jeux, est le même que celui pour les substances addictogènes... Il s'agit de la prédiction de récompense (système dopaminergique). Enfin, Hari prétend que "l'addiction n'a pas de causes chimiques", et il s'étonne que joueurs et toxicomanes soient... tous aussi dépendants. Ils sont tous aussi dépendants justement parce que c'est bien la même chimie qui est à l'œuvre.

Johann Hari n'a rien découvert, on savait déjà que plus on est malheureux plus on se détruit. Mais ce qui est plus gênant, c'est qu'il défigure le message scientifique que des milliers d'équipes ont mis des décennies à construire: la drogue agit par surprise, et se substitue à votre environnement par association, elle devient la raison de votre joie, votre joie elle-même, solitude ou pas. Etre entouré depuis l'enfance ne va pas vous prémunir de la toxicomanie, et c'est bien le drame.

Mais, je suis d'accord avec Hari sur au moins un point: la drogue finit par devenir votre seul - et donc votre meilleur - ami. Pas un ami par chimie de l'amour, mais par amour de la chimie.

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