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Qui a peur du transhumanisme? Avant tout, ceux qui le connaissent mal

Issu des milieux anglo-saxons, le transhumanisme suscite aujourd'hui un intérêt croissant dans le monde francophone, où il est l'objet de nombreux articles, documentaires et débats. Toutefois, la réaction véhiculée par les médias francophones est souvent celle de la méfiance, voire de la condamnation radicale.
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Source de l'image: http://www.mesacosan.com/sciences-et-technologies/le-transhumanisme-en-france-a1835.html

L'organisation internationale transhumaniste Humanity+ définit le transhumanisme comme « le mouvement culturel et intellectuel qui affirme qu'il est possible et désirable d'améliorer la condition humaine par l'application de notre raison, en particulier en développant et en disséminant largement des technologies visant à éliminer le vieillissement et à augmenter de manière significative les capacités intellectuelles, physiques et psychologiques des êtres humains » (Transhumanist FAQ; ma traduction). Issu des milieux anglo-saxons, le transhumanisme suscite aujourd'hui un intérêt croissant dans le monde francophone, où il est l'objet de nombreux articles, documentaires et débats. Toutefois, la réaction véhiculée par les médias francophones est souvent celle de la méfiance, voire de la condamnation radicale. Le philosophe Jean-Michel Besnier y qualifie ainsi le mouvement d' « ambition mortifère ». En France comme au Québec, le transhumanisme est régulièrement dépeint comme l'expression d'une idéologie néo-libérale radicalement individualiste, obsédée par la maximisation de la productivité et de la performance et prétendant résoudre tous les maux par le recours à la technologie. À en croire ses opposants, le projet transhumaniste négligerait dès lors les questions de justice sociale et les solutions politiques aux problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui. Ultimement, il ne profiterait qu'aux tenants du Grand Capital et mènerait à un accroissement des inégalités socio-économiques existantes.

Bien qu'elles soient compréhensibles, ces critiques reposent néanmoins sur une vision réductrice et inadéquate de la pensée transhumaniste. Ainsi, il est faux de penser que le transhumanisme, tel que le caractérise Humanity+, implique en lui-même l'adhésion à un système politique ou économique particulier. Des opinions très différentes dans ces deux domaines sont compatibles avec les thèses centrales du transhumanisme concernant le développement et l'utilisation des technologies amélioratrices, ce qui se reflète d'ailleurs dans l'évolution récente du mouvement. Il est vrai que certains transhumanistes, se décrivant souvent comme « libertariens », ont bien été influencés par les penseurs du néolibéralisme comme Ayn Rand (prêtresse d'une « éthique » égoïste). C'est notamment le cas de Peter Thiel, le co-fondateur de PayPal, qui finance des recherches sur l'extension radicale de la durée de vie, mais également le « seasteading » (projet de créer des colonies autonomes, organisées selon des principes libertariens, sur des îles artificielles). Toutefois, ces convictions libertariennes ne font pas partie de l'essence du transhumanisme, et sont loin d'être partagées par tous ses défenseurs. Le mouvement n'est pas un monolithe : la décennie écoulée a ainsi vu l'essor du « techno-progressisme », promu par le sociologue américain James Hughes (directeur exécutif de l'Institute for Ethics and Emerging Technologies) et adopté notamment par l'Association française transhumaniste Technoprog. Cette variante du transhumanisme, tout en soutenant le développement et l'utilisation des technologies amélioratrices, insiste également sur l'importance cruciale d'institutions démocratiques garantissant que tous puissent, autant que possible, bénéficier également de ces nouvelles technologies.

Les transhumanistes d'orientation libertarienne semblent compter sur les seules lois du marché, dont la tendance qu'ont les prix des nouvelles technologies à chuter avec le temps, pour résoudre les questions de justice distributive. Rien ne nous oblige à partager leur optimisme : plusieurs économistes, comme Erik Brynjolfsson du MIT, considèrent ainsi que le développement technologique est un facteur décisif dans l'accroissement des inégalités de revenus aux États-Unis et en Europe au cours des dernières décennies. Le libre marché n'est pas une panacée. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous faisions face à un dilemme binaire entre renoncer complètement au progrès technologique (un projet qui de toute façon serait peu réaliste) et abandonner tout espoir de mitiger les inégalités. Des interventions comme la promotion de l'éducation, ou la redistribution des richesses (même s'il faut accorder aux libertariens que celle-ci tend, au-delà d'un certain degré, à freiner l'innovation), restent à notre disposition pour trouver un juste milieu entre ces extrêmes.

Quant à la critique suivant laquelle les transhumanistes prétendraient résoudre tous les problèmes par le recours à la technologie, elle n'est pas toujours applicable non plus. Plusieurs figures majeures du transhumanisme comme James Hughes ou Nick Bostrom considèrent ainsi explicitement des interventions de type non technologique, telles l'élimination des carences en iode et la promotion d'une alimentation adéquate (en particulier chez les enfants), dans la poursuite de leurs buts, dont l'amélioration des capacités cognitives humaines. En fait, on peut soutenir que certains critiques du transhumanisme se rendent eux-mêmes coupables de l'excès inverse de celui qu'ils dénoncent, à savoir qu'ils ignorent le rôle indispensable de la technologie dans la promotion du bien-être humain et le combat contre les différentes afflictions auxquelles nous faisons face, notamment dans le domaine médical. Repenser notre structure sociale et politique, quels que soient les bénéfices potentiels d'un tel procédé, n'aurait pas suffi à éradiquer la variole et ne suffirait pas non plus à vaincre le cancer ou la maladie d'Alzheimer.

L'évolution rapide de la technologie, et notamment les progrès en intelligence artificielle, justifient sans aucun doute une réflexion approfondie, et critique si besoin est, sur le projet transhumaniste. Cela dit, pour être constructive, une telle réflexion doit se fonder sur une représentation adéquate du mouvement, et non pas sur une caricature de celui-ci. Étant donné les multiples facettes du mouvement et sa continuelle évolution, il convient de le juger à l'aune de ses variantes les plus prometteuses (peut-être encore à construire !), et pas seulement sur la base de ses dérives potentielles.

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Mai 2017

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