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Il était une fois en Égypte

Cinq ans après la révolution qui a arraché Hosni Moubarak du pouvoir, le retour des touristes se fait toujours attendre.
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Adossé à son taxi au milieu de la cacophonie habituelle des rues du Caire, Mina Asmar, 28 ans, surveille patiemment son cellulaire en attente de son prochain client. Mais aujourd'hui, comme hier et avant-hier, le téléphone ne sonnera pas.

Cinq ans après la révolution qui a arraché Hosni Moubarak du pouvoir, le retour des touristes se fait toujours attendre, au grand dam des milliers d'Égyptiens oeuvrant dans l'industrie du tourisme.

Autrefois une destination prisée par les curieux du monde entier, l'Égypte peine maintenant à attirer les visiteurs, malgré la richesse inestimable de son patrimoine culturel. Avec 14,1 millions de visiteurs en 2010, le tourisme représentait 15% du PIB et employait 12% de la population active. En 2014, 8 millions de personnes ont visité le pays, ce qui représentait une baisse de 43% ainsi que des dizaines de milliers de licenciements économiques dans ce secteur.

L'afflux touristique étant directement influencé par les tractations politiques qui secouent le pays (et ses voisins) depuis quelques années, l'Égypte n'a jamais pu retrouver ses chiffres prérévolutionnaires.

Une stabilité qui ne tient qu'à un fil.

Lorsque questionné sur la révolution de 2011, Mina semble mal à l'aise. «Ça ne me dérange pas d'en parler, c'est juste que c'était une période vraiment difficile», évoque-t-il dans un anglais impeccable. Comme des milliers d'Égyptiens, le jeune homme a pris part aux protestations quotidiennes sur la place El-Tahrir, lieu maintenant mythique.

«Au plus fort du mouvement, le gouvernement a voulu nous «casser», se souvient Mina. Pendant quelques jours, il valait mieux rester enfermé chez soi pour protéger sa famille.» S'il a été épargné, plusieurs de ses amis n'ont pas eu cette chance. Mais comme plusieurs Égyptiens, il préfère délibérément oblitérer ces mauvais souvenirs de son esprit et se concentrer sur le futur. Un avenir qui n'a rien de rose, selon le principal intéressé.

«Bien que la paix soit revenue en Égypte, la situation est encore difficile», explique-t-il. Diplômé de l'Université publique du Caire en administration, Mina doit offrir ses services de chauffeur pour assurer trois repas par jour à son fils de trois ans et sa femme. «Il n'y a pas d'emplois pour les jeunes, qui doivent se rabattre sur l'industrie du tourisme, ajoute l'Égyptien. Le problème est que ce secteur est en chute libre.»

Les statistiques parlent d'elles-mêmes, selon le département des affaires étrangères du Canada, plus du quart des Égyptiens sont âgés de 15 à 24 ans et au moins 90 % des chômeurs ont moins de 30 ans. Même la grande pyramide de Gizeh, seule survivante des 7 merveilles du monde antique et pierre angulaire de l'économie locale, est maintenant désertée par les touristes d'outre-mer.

Mina croit que le gouvernement actuel, dirigé par Abdel Fattah al-Sissi, est de plus en plus autoritaire (en muselant l'opposition par exemple) et ne cache pas son inquiétude pour les prochaines années. «J'espère seulement que mon fils pourra grandir dans un monde meilleur que celui que j'ai connu, conclut-il.»

Avant de se quitter, Mina pose une question lourde de sens dans cette Égypte où la liberté d'expression est un droit trop souvent bafoué.

«Mes propos seront-ils publiés en Égypte?», demande-t-il avant de décliner poliment de se faire photographier.

En souvenir des gloires passées.

À 848 kilomètres plus au sud, les dommages collatéraux de cette instabilité politique sont tout aussi perceptibles. Assouan, la dernière grande ville égyptienne avant le Soudan, a longtemps été une destination à la mode chez les Occidentaux . On y allait pour profiter des splendeurs du Nil et pour se reposer après un long voyage. Même l'illustre écrivaine Agatha Christie y avait ses appartements dans l'hôtel Old Cataract.

La réalité en 2015 est bien différente. Les touristes ne pullulent plus autant qu'autrefois et les acteurs du tourisme local doivent se battre pour attirer les voyageurs. Les hôtels de luxe sont souvent à moitié vides et n'hésitent pas à descendre leurs prix de 70% pour rivaliser avec leurs voisins.

Depuis 2011, une série d'incidents a miné la confiance des touristes envers la sécurité du pays. Ces violences, que le gouvernement décrivait comme « cas isolés », se sont multipliées dans les dernières années. L'écrasement de l'avion russe dans le Sinaï en octobre dernier, revendiqué par le groupe Daesh, a été perçu par plusieurs experts comme le coup de grâce.

Mohamed Mamdouh, 52 ans, est une des victimes de ce boycottage généralisé du pays. Celui qui offre des balades de felouque (bateau à voile) depuis une vingtaine d'années avoue être désespéré. «Dans les bonnes années, je sortais sur le Nil une douzaine de fois par jour, se rappelle-t-il. Maintenant, c'est une excellente journée si je le fais à deux reprises.»

De plus, comme la plupart des capitaines du coin, Mohamed n'est pas propriétaire de l'embarcation. Pour chaque promenade offerte aux touristes, il doit remettre la quasi-totalité de l'argent à l'hôtel qui s'est chargé de lui trouver des clients. «Je dois me remettre aux pourboires (qu'on appelle ici bakchich) que les voyageurs me donnent pour survivre», poursuit le père de six enfants.

Mohamed retrouve le sourire lorsqu'il parle de son plus jeune fils, qui, il l'espère, deviendra lui aussi capitaine de felouque. Parce que malgré tous les problèmes économiques qui affligent les Égyptiens, ce peuple millénaire est toujours aussi fier et tenace, à l'image de Mohamed qui continuera à voguer contre vents et marées.

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