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Rétablissez le financement de Cochrane Canada, madame la ministre

La Collaboration Cochrane fournit aux patients, aux médecins et aux décisionnaires partout dans le monde une information indépendante et essentielle. Il est indispensable que le Canada continue d'en faire partie.
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Imaginez, Madame, que vous êtes dans la peau de notre premier ministre Justin Trudeau. Malgré une campagne électorale éreintante, vous débordez d'énergie et d'idéalisme, dans un pays où il est «toujours possible de faire mieux». Accroître la prospérité constitue l'une des grandes priorités, mais les engagements sont nombreux: protéger l'environnement, améliorer l'infrastructure et l'éducation, sauvegarder le système de santé.

Imaginez maintenant que vous venez d'accéder au poste de ministre fédéral de la Santé. M. Trudeau vous remet une nouvelle liste de priorités : améliorer la santé des Premières nations; élaborer une stratégie nationale sur la santé des aînés; faire avancer les dossiers touchant la démence, le diabète, la marijuana et l'aide médicale à mourir. Ah! Et il ne faudrait pas oublier non plus que les provinces réclament de plus gros budgets en matière de santé et la population, un programme d'assurance-médicaments.

Nul doute, vous voudrez disposer, pour relever tous ces défis, de l'information la plus fiable, complète et objective possible, plutôt que de vous laisser influencer par des lobbyistes qui ont le bras long. En supposant que vous êtes persuadée qu'il faut s'appuyer, pour adopter des politiques saines et instaurer des programmes coûteux, sur les meilleures données probantes qui soient, afin de déterminer quels sont les traitements ou les interventions les plus utiles, les plus sûrs et les plus efficients, vers quelle source vous tourneriez-vous pour les obtenir?

Depuis 1993, nous pouvons compter sur un organisme de renommée internationale, qui réunit certains des plus grands scientifiques au monde et quelque 40 000 bénévoles qui s'emploient à systématiser, à passer au crible et à synthétiser des données en matière de santé. Il s'agit de la Collaboration Cochrane. Parmi ses éminents fondateurs figure le Dr David Sackett de l'Université McMaster, aujourd'hui décédé, que l'on considère aujourd'hui comme le parrain de la médecine fondée sur les données probantes. Comme d'autres chercheurs scientifiques réputés, le Dr Sackett a vu la nécessité de cesser d'exercer la médecine à l'aveuglette; il s'est employé inlassablement à élaborer des méthodes d'évaluation scientifique afin d'éclairer la pratique médicale et l'améliorer.

La toute première étude Cochrane portait sur l'utilité d'administrer, pour favoriser le développement des poumons du bébé et prévenir les complications après la naissance, des corticostéroïdes aux femmes qui entrent en travail prématuré. Certaines études étaient concluantes, d'autres pas. Un examen systématique des données obtenues dans le cadre de sept essais cliniques sur les corticostéroïdes prénataux avait permis d'arriver à une conclusion qu'une seule étude n'aurait pu tirer. Comme l'a affirmé Sir Iain Chalmers, lui aussi fondateur de la Collaboration Cochrane : «Nous avons démontré que des dizaines de milliers de nourrissons avaient souffert et étaient morts inutilement (et que cela avait coûté beaucoup plus cher que nécessaire aux services de santé), les données recueillies jusque-là n'ayant jamais fait l'objet d'une revue systématique et d'une méta-analyse aussi révélatrices.»

Aujourd'hui, la Collaboration Cochrane compte un grand nombre de scientifiques qui préparent des examens systématiques dans un vaste éventail de domaines, allant des produits pharmaceutiques et des traitements chirurgicaux aux interventions en soins infirmiers, en physiothérapie et en éducation. La Bibliothèque Cochrane réunit des milliers d'examens systématiques et organise méticuleusement les données de façon à permettre aux patients, aux professionnels de la santé et aux décisionnaires de prendre des décisions judicieuses en matière de santé.

Au fil des ans, le Canada a toujours appuyé Cochrane Canada, qui s'est démarqué notamment dans des domaines comme l'hypertension, les douleurs lombaires, l'arthrite et la santé de l'enfant. Son travail a une portée considérable : depuis cinq ans seulement, l'organisme a réalisé ou actualisé plus de 300 revues systématiques et formé près de 3 000 personnes à ses méthodes d'examen. Même s'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, 10 % des auteurs affiliés à la Collaboration Cochrane sont Canadiens.

Le coût? Un modeste deux millions de dollars par an, soit en deçà d'une erreur d'arrondi dans le budget global des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui finançait l'initiative depuis dix ans.

D'où l'énorme surprise causée par l'annonce, en septembre 2015, du retrait de la subvention accordée à Cochrane Canada par les IRSC. Voilà un autre coup bas porté à la recherche au terme d'une décennie considérée internationalement comme bien sombre pour l'indépendance scientifique dans notre pays. Partout ailleurs, les Collaboration Cochrane au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, au Danemark et dans des dizaines d'autres pays ont toujours compté sur les gouvernements nationaux, car ces derniers ont reconnu la valeur des synthèses scientifiques indépendantes et objectives.

La Collaboration Cochrane fournit aux patients, aux médecins et aux décisionnaires partout dans le monde une information indépendante et essentielle. Il est indispensable que le Canada continue d'en faire partie. Récemment, le Journal de l'Association médicale canadienne a réclamé qu'on rétablisse le financement des activités de base de Cochrane Canada, rappelant qu'il s'agit d'une source de renseignements incontournable pour nos médecins. Nous sommes parfaitement d'accord. Elle est essentielle non seulement pour la recherche, mais aussi pour la gouvernance en matière de santé.

En rétablissant le financement de Cochrane Canada, la nouvelle ministre de la Santé ferait preuve de prudence. Elle et ses homologues provinciaux pourraient continuer à compter sur des données fiables, équilibrées et exhaustives pour soupeser les nombreuses décisions qui les attendent. Ce serait une honte d'écarter les scientifiques canadiens de la scène alors qu'on nous a fait miroiter une ère de véritable changement. Nous en subirions tous et toutes les répercussions.

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