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Centralisation financière à Toronto: coûts du fédéralisme pour Montréal

Un des coûts pour le Québec de faire partie du Canada, un des coûts du fédéralisme, c'est d'être secondarisé, régionalisé en fonction des priorités centralisatrices du gouvernement fédéral du Canada.
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Lundi 8 mai, le Fédéral annonçait qu'il installerait la Banque d'infrastructure du Canada (BIC) à Toronto, au grand dépit des milieux d'affaires et politiques québécois.

L'implantation de la BIC à Montréal aurait renforcé le secteur des services financiers qui emploie déjà 100 000 personnes et dynamisé celui des grandes entreprises d'ingénierie et d'infrastructures. Doté d'un capital de 35 milliards au départ, il est estimé qu'elle générera près de 200 milliards d'investissements au cours de la prochaine décennie.

La même semaine, une Cour majeure statuait à nouveau que le projet de Commission des Valeurs mobilières pancanadienne était inconstitutionnel, et que Québec a le pouvoir de réglementer les marchés financiers. Néanmoins, le Fédéral entend poursuivre ses efforts pour implanter une Commission pancanadienne malgré ce jugement de la Cour d'appel du Québec. Dans ce dossier, que les gouvernements à Ottawa soient conservateurs (Harper) ou libéraux (Trudeau), ils poursuivent la même logique d'un fédéralisme centralisateur.

Faiblesse de la représentation du Québec au sein du gouvernement Trudeau?

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, s'est dit «profondément déçu» de la décision fédérale d'implanter la BIC à Toronto.

Leblanc estime que cette décision est due au fait que personne ne semble défendre le Québec au sein du gouvernement Trudeau. Paul Journet pose le même diagnostic (La Presse, 13 mai, Toronto aspirateur financier).

Tant Leblanc que Journet ou Castonguay attribue ces décisions centralisatrices à un facteur conjoncturel, un phénomène passager, soit l'actuelle faiblesse de la représentation du Québec au sein du gouvernement Trudeau. Mais cette analyse ne tient pas la route.

En premier lieu, les Québécois ont envoyé 40 députés libéraux à Ottawa, dont six sont ministres, sans compter le premier ministre Trudeau lui-même qui représente une circonscription montréalaise. Que font-ils des dossiers du Québec? L'argument que le PM se devrait d'être non partisan est inapproprié, quand on sait jusqu'à quel point le précédent PM, Harper, ne s'est jamais gêné pour prendre des décisions favorables à l'Alberta qu'il représentait. En second lieu, la faiblesse du Québec n'est pas due à un phénomène passager, mais à un facteur structurel.

Fédéralisme et régionalisation de Montréal et du Québec

Comme l'a bien montré l'économiste et urbaniste torontoise Jane Jacobs, qui s'est attachée à étudier les rapports entre Montréal et Toronto dans ses Massey's lectures, Montréal et le Québec, en demeurant au sein de la fédération canadienne serait placée inévitablement sur la voie de la régionalisation. Montréal souffrirait de la tendance inévitable d'un pays à créer un centre métropolitain. Pour le Canada, c'est Toronto. Montréal serait transformée en centre de service pour Toronto.

Pour le Canada, c'est Toronto. Montréal serait transformée en centre de service pour Toronto.

La logique du fédéralisme canadien favorise le développement de boucles amplificatrices: cycles vertueux d'un développement qui s'accélère pour Toronto et l'Ontario; cercles vicieux de la transformation en centre régional de service pour Montréal et le Québec, en satellite au service de Toronto.

Plus Montréal est transformé en centre de service régional, plus les emplois de qualité s'installent à Toronto et plus les jeunes Québécois diplômés universitaires sont et seront amenés à déménager à Toronto pour obtenir ces emplois de qualité ou spécialisés, en commerce, en finance, en droit et dans d'autres domaines (Décarie, 10 mai 2017, La Presse, Le Torontocentrisme fédéral).

En résumé, la faiblesse de la défense des dossiers du Québec à Ottawa, contrairement à ce qu'indiquent Journet, Castonguay, Leblanc... n'est pas un phénomène passager, mais bien un facteur structurel inhérent au fédéralisme canadien et à sa dynamique de fonctionnement.

Que faire suite aux décisions centralisantes du Fédéral ?

Le Québec assiste, impuissant, semble-t-il, face aux décisions du gouvernement fédéral menant à une concentration de l'industrie financière à Toronto. Quelles stratégies s'offrent à lui?

1-Se contenter des miettes que voudra bien lui laisser le régime fédéral. C'est ce que font les fédéralistes canadiens inconditionnels, tels que le maire de Montréal, Denis Coderre et le PM du Québec, Philippe Couillard. Le premier est resté muet dans ce dossier et n'est pas intervenu pour défendre sa ville, même s'il a des contacts majeurs au sein du gouvernement Trudeau. Le second s'est dit déçu, mais il ne fera rien.

Mais miettes, il y aura: Montréal accueillera un Institut de financement du développement (dont le capital sera cent fois moins important que la BIC).

2-Réagir. Le Québec pourrait boycotter la BIC et créer sa propre Banque d'infrastructure du Québec, comme l'a suggéré le chroniqueur Michel Girard. Le 17 mai, le Parti Québécois a demandé au gouvernement de créer une Banque d'infrastructure du Québec.

Sans oublier de continuer à contester jusqu'en Cour Suprême le projet fédéral de Commission des valeurs mobilières.

3- Suivre la voie que recommandait Jane Jacobs en 1980 dans son livre The Question of separatism: Quebec and the struggle over sovereignty. À savoir que le plus tôt le Québec deviendrait indépendant le mieux, ce serait pour Montréal, le Québec et le Canada. Sinon, une érosion dans tous les domaines économiques, culturels... affecterait le dynamisme de Montréal et du Québec. Cette érosion est un des coûts du fédéralisme canadien pour le Québec.

ÉPILOGUE

Montréal de 1800 à aujourd'hui

La dynamique centralisatrice repérée par Jane Jacobs n'est pas récente. Elle est à l'œuvre depuis deux siècles au Canada.

La présence de rapides sur le fleuve Saint-Laurent a fait de Montréal un point de portage, de rupture de charge, puis un port de transbordement entre l'Europe et le centre du continent nord-américain.

De 1800 à 1954, d'énormes investissements ont été faits afin développer les réseaux d'échange de l'Ontario vers les Grands Lacs par la construction de canaux et d'écluses en amont de Montréal.

La construction de ces canaux a même mené le Haut-Canada (Ontario) à une quasi-faillite vers 1838-39. Les banques de Londres ont fait pression pour que les dettes soient absorbées par le Bas-Canada (Québec): l'Union Act de 1840 a regroupé le Haut et le Bas-Canada. Parallèlement, le fleuve en aval de Montréal a été creusé périodiquement afin de permettre à des bateaux toujours plus grands de se rendre de l'Europe jusqu'à Montréal.

Puis, les pressions de l'Ontario, de l'Ouest et du Middle West ont amené Ottawa à faire sauter le «verrou montréalais» par la construction de la Voie maritime des Grands Lacs et du St-Laurent de 1954 à 1959. Cette Voie maritime a permis à des transocéaniques de se rendre directement à Toronto, favorisant son développement. Après 1959, «Montréal a perdu sa place de premier port céréalier du monde et a dû renoncer à la rupture de charge qui avait fait sa fortune (Lasserre, 1980)».

La Voie maritime a favorisé le développement de Toronto et du centre du continent (sidérurgie et automobile) et concrétisé le déclin de Montréal (migration des sièges sociaux vers Toronto). Par la suite, le Fédéral a continuellement amplifié la concentration de l'industrie sidérurgique, puis automobile en Ontario.

Un des coûts pour le Québec de faire partie du Canada, un des coûts du fédéralisme, c'est d'être secondarisé, régionalisé en fonction des priorités centralisatrices du gouvernement fédéral du Canada. Le cas de la BIC et de la Commission des valeurs mobilières en sont les exemples les plus récents.

Le cas de la Série C de Bombardier, où le fédéral a refusé il y a quelques mois d'y investir 1 milliard $US, comme l'y invitait le Québec en est un autre (comme je l'ai montré dans une analyse). Le fédéral a créé de l'incertitude et a nui à l'aéronautique en majeure partie localisée dans la région montréalaise. Pourtant quelques années plus tôt il avait allègrement allongé près de 8 milliards pour renflouer l'industrie automobile ontarienne.

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