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MSF bombardé de l'Afghanistan au Yémen, mais pourquoi?

Pensons également à la suite, car il y aura d'autres Kunduz et Haydan. Ne laissons pas s'installer le silence ni se banaliser ces actes criminels indignes.
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Après la destruction de l'hôpital de MSF à Kunduz par l'aviation américaine le 3 octobre, voilà maintenant la destruction le 26 octobre de l'hôpital du district de Haydan au Yémen. L'Arabie Saoudite mise en cause nie l'avoir bombardé. Pourtant, l'hôpital a bien été rasé.

Alors, erreur ou acte délibéré, puisque dans les deux cas MSF avait pris le soin de communiquer les coordonnées GPS aux acteurs concernés.

À Kunduz, dans le nord de l'Afghanistan, ce sont les autorités afghanes qui auraient demandé aux Américains le bombardement de l'hôpital en évoquant la présence de taliban, ce qui a été démenti par les témoins sur place. En revanche, il y avait bien 105 patients et 80 membres du personnel de MSF à l'hôpital quand les frappes ont commencé. Ces frappes se sont répétées à 4 à 5 reprises et 30 patients et membres de MSF ont été tués, sans compter les nombreux blessés.

À Haydan au Yémen, le bombardement a d'abord détruit le bloc opératoire miraculeusement vide, ce qui a laissé le temps aux personnes présentes de se mettre à l'abri avant, selon les témoignages, que 5 frappes successives ne détruisent la maternité, la salle des urgences, le laboratoire et les services de consultation.

Quatre à cinq bombes successives, à Kunduz comme à Haydan, ça ressemble à un acharnement.

Aussi, quand les pays responsables revendiquent la maîtrise qu'ils ont de leurs missions aériennes, des protocoles de tir et de leur grande précision, on comprend pourquoi la présidente de MSF internationale, la Dre Joanne Liu, a immédiatement parlé de "crime de guerre" à Kunduz. En ajoutant que "même les guerres ont des règles" et que les hôpitaux sont protégés par les Conventions de Genève et le Droit humanitaire international. Et la Tribune de Genève de titrer justement "Pour MSF, le bombardement contre l'hôpital de Kunduz est une attaque contre les conventions de Genève" !

La destruction manifestement délibérée de ces deux hôpitaux humanitaires ne doit pas nous faire oublier celles qui se produisent régulièrement en Syrie, en Irak, au Soudan ou ailleurs. Bien au contraire, ces destructions d'hôpitaux doivent secouer notre conscience et notre indignation pour n'omettre aucun de ces crimes passés le plus souvent sous silence.

Quelles sont les conséquences humanitaires de ces bombardements ?

Rappelons que l'hôpital de traumatologie de Kunduz était le seul de ce genre à fournir gratuitement des soins chirurgicaux dans le nord-est de l'Afghanistan. En 2014, plus de 22 000 patients ont été soignés et plus de 5900 interventions chirurgicales ont été effectuées.

Après les bombardements, MSF a dû quitter Kunduz. Était-ce l'objectif que de priver les populations de cette région de cet hôpital? S'agit-il d'une technique de guerre machiavélique?

De même, à Haydan, ou depuis l'installation de cet hôpital en mai dernier, 3 400 patients ont été soignés, avec une moyenne de 200 blessés de guerre par mois reçus dans la salle d'urgence. La destruction de cet hôpital laisse 200 000 personnes privées d'accès à des soins médicaux vitaux dans cette région.

Et il y a cette information publiée dans Le Monde du 29 octobre qui ajoute que "c'est le 39e centre de soins touché au Yémen depuis le début de l'offensive aérienne conduite par l'Arabie saoudite au mois de mars". Et le CICR recense précisément ces violations du droit humanitaire international. Cela signifie qu'il ne s'agit pas de regrettable erreur, mais d'une véritable stratégie.

Très vite, après la destruction de l'hôpital de Kunduz, le Président Barak Obama a présenté "Ses plus profondes condoléances", confirmant ainsi la responsabilité des États-Unis, mais sans que les autorités afghanes ne s'expriment sur leur propre rôle dans ce "crime de guerre". Je me souviens que déjà, dans les années quatre-vingt, déjà les troupes soviétiques avaient elles-mêmes bombardé des hôpitaux de campagne tenus par MSF, MDM et AMI en Afghanistan, sans s'excuser ensuite.

C'est l'humanitaire même qui est visé.

Ceci est grave pour les humanitaires dans leur mission d'accès aux populations en danger pour leur porter secours de manière impartiale. Impartiale signifie que ces secours sont basés sur les seuls besoins vitaux, sans aucune discrimination ethnique, religieuse, politique. C'est ce que l'on nomme l'espace humanitaire pour lequel l'indépendance des ONG humanitaires est au service de l'impartialité.

Aujourd'hui, à Kunduz, à Haydan, mais aussi en Syrie, en Irak et au Darfour cet espace est menacé, sans oublier les exécutions sommaires d'humanitaires par Daesh, l'État islamique. En général, moins il y a d'humanité et plus on s'approche de la terreur.

Par expérience, les humanitaires connaissent les dangers de la guerre et ils doivent affronter les risques inhérents à celle-ci pour accomplir leur devoir d'assistance à une personne ou une population en danger. Mais c'est une chose de recevoir une balle perdue, d'être malmené à un check-point, voire d'être rançonnés et c'est autre chose de détruire des hôpitaux ou des infrastructures ou vivent des civils, des écoles, des stations de traitement de l'eau ou des récoltes.

Il s'agit là alors d'une stratégie qui porte le nom de politique de la terre brûlée selon laquelle "qui n'est pas avec nous est contre nous". Celui qui n'est pas avec est alors traité comme un ennemi, sans respect pour le droit de la guerre, des prisonniers et des civils non combattants !

Les bombardements de Kunduz et de Haydan, comme ceux dont les médias ne parlent pas ou si peu, constituent ni plus ni moins des attaques délibérées contre l'humanitaire et la protection des populations en danger.

Ne pas laisser faire, ne pas laisser passer.

Comme le dit très justement Mégo Terzian, président de MSF France, "nous n'avons pas toujours été à la hauteur des faits". Nous devons "résister, faire preuve de solidarité, dénoncer... brandir les règles de droit international..." Ne pas le faire reviendrait simplement à démissionner de nos responsabilités du devoir humanitaire que nous avons choisi de servir.

C'est notre existence même, notre raison d'être et d'agir, qui est menacée d'une certaine manière. C'est précisément ce que j'ai dit à Annick Girardin, Secrétaire d'État au Développement et à la Francophonie, le 16 octobre lors de la réunion du Conseil National du Développement et de la Solidarité Internationale (CNDSI). Tant il est vrai que, à part l'ONU qui a qualifié le bombardement de Kunduz d' "inexcusable", nous n'avons pas entendu grand monde s'émouvoir de ce "crime de guerre" ni en France ni ailleurs.

C'est pourquoi, dans l'immédiat, nous devons soutenir la demande de MSF d'une enquête internationale indépendante sur ces bombardements à Kunduz, mais aussi maintenant à Haydan. Dans ce but, nous pouvons signer la pétition sur le site de MSF pour réunir 500 000 signataires. Soyons également solidaires de la journée internationale de MSF le 3 novembre pour stopper le bombardement des hôpitaux, "stop bombing hospitals" !

Pensons également à la suite, car il y aura d'autres Kunduz et Haydan. Ne laissons pas s'installer le silence ni se banaliser ces actes criminels indignes. Il y a des rendez-vous à venir qui sont autant de tribunes, qu'il s'agisse de la prochaine "Conférence nationale humanitaire" en février prochain à Paris ou du "Sommet humanitaire mondial" à Istanbul en mai 2016. Prenons date dès aujourd'hui.

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