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Rachel Dolezal, transracialisme ou imposture?

Suscitant perplexité et controverses, l'histoire de Rachel Dolezal est fascinante. En effet, si nous en ignorons les motivations morales, ce mensonge confronte notre a priori sur l'identité raciale jusqu'à remettre à l'avant-plan certaines de ses implications pratiques notamment son lien avec le militantisme.
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Présidente d'une section locale de l'Association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP) et professeure d'Études africaines à l'Université de l'Eastern Washington, Rachel Dolezal a menti sur ses origines en prétendant être afro-descendante par son père. Suscitant perplexité et controverses, son histoire est, toutefois, fascinante. En effet, si nous en ignorons les motivations morales, ce mensonge confronte notre a priori sur l'identité raciale jusqu'à remettre à l'avant-plan certaines de ses implications pratiques notamment son lien avec le militantisme.

Même s'il est d'usage de considérer la race (1) et le genre, comme des constructions sociales, le mensonge de la professeure Dolezal nous rappelle que loin d'être figée ou sclérosée, l'identité raciale est, au contraire, d'une grande labilité. Jusqu'à une date récente, l'« être au monde » de Rachel Dolezal était celui d'une femme noire ayant eu recours à une forme de « transracialisme ». Si la société connaît - sans hélas toujours la reconnaître socialement - l'existence des transgenres, le «transracialisme» reste quant à lui inhabituel pour ne pas dire inexistant (2), notamment dans le cas d'un individu blanc et éduqué par des parents blancs c'est-à-dire par les membres d'un groupe disposant de privilèges socialement avérés. Il est, en effet, assez rare qu'un tel individu puisse se définir publiquement comme étant afro-descendant jusqu'à accéder à une position privilégiée dans des domaines réservés aux membres de cette communauté.

À supposer que le « transracialisme » existe, il est douteux que le cas Dolezal s'y réfère. D'abord, parce que Dolezal ne se trouvait pas dans une indifférenciation raciale ou culturelle comme le sont parfois, les enfants d'une culture différente de celle de leurs parents adoptifs. Ensuite, parce qu'en admettant que le « transracialisme » soit envisageable pour ceux qui considèrent ne pas appartenir à leur culture raciale d'origine, encore faudrait-il que le fait d'avoir eu recours à un processus de modifications physionomiques volontaires suffise pour correspondre à celle psychiquement projetée. Une telle assignation resterait, toutefois, réductrice. On le sait, comme pour le genre, l'appartenance ethnoculturelle ne se réduit pas aux enjeux du corps et de l'apparence physique. Enfin, le cas Dolezal rappelle une question plus fondamentale trop vaste et complexe pour être traitée dans ce texte : celle de la signification d'un « être Noir » et de ce que cela recoupe du point de vue social et historique.

L'appartenance raciale permet l'accès à un ensemble de privilèges ou en bloque les possibilités. Rachel Dolezal peut-elle prétendre être Noire sans avoir faire l'expérience socio-historique en lien avec les inégalités systémiques et historiquement ancrées dans le vécu des membres de la communauté afro-américaine ? Une femme noire expérimente très jeune une double oppression de race et de genre laquelle s'inscrit dans un processus de développement psychologique, moral, intellectuel et socio-économique. C'est-ce que souligne, le titre d'un des ouvrages fondateurs du Black Feminism : "Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses" (3). Dans les États-Unis d'aujourd'hui, la race et le genre affectent encore les opportunités sociales et le regard porté sur l'individu. Aussi, que l'on soit indulgent ou non à l'égard de son mensonge, Rachel Dolezal n'est pas et ne sera jamais une de ces « courageuses ». Force est de reconnaître que même si la volonté peut être présente, il est impossible de devenir une femme noire alors que l'on est dans la vingtaine. Aussi, Dolezal est blanche au sens de son identité biologique et par le fait qu'elle a grandi, dans une famille WASP sans être en mesure de faire, dès son plus jeune âge, les mêmes expériences que les autres femmes noires de sa génération. En ce sens, Dolezal n'a pu ressentir certains des enjeux qui concourent à vouloir aspirer à cette sororité si fondamentale dans la constitution de l'identité culturelle, politique et économique si chère aux militantes afro-américaines (4).

Cependant, que la professeure Dolezal puisse se sentir plus noire que blanche ne saurait en soi être un problème, pas plus que son mensonge n'est un crime. La difficulté réside plutôt dans ce à que quoi il a contribué c'est-à-dire à la construction d'une carrière universitaire et militante au cœur même des bastions généralement réservés aux Noirs. En tant que Professeure d'Études africaines et membres du NAACP, Dolezal est au fait de ces débats. Elle sait que dans les mouvements de luttes pour le droit des minorités culturelles ou de genre, les postes les plus avancés sont généralement réservés aux personnes qui en sont issues. C'est pourquoi comme l'a écrit un éditorialiste du Washington Post: " Qu'une personne blanche dirige une section de la NAACP ne pose pas de problème non plus. (...) Mais qu'une personne blanche prétende être noire et dirige une section de la NAACP, c'est très problématique".

Depuis la fondation du NAACP, en 1909, la représentation n'a pas toujours été descriptive. Des Afro-Américains n'ont pas toujours été à la tête des sections locales. Cependant, les mouvements de lutte pour les droits civiques se sont forgés sur le refus d'une représentation substantive. Et, s'il est évident que les Blancs ont le droit de défendre la cause noire comme les hommes peuvent défendre celle des femmes, il y a bien des raisons de réclamer le recours systématiquement à une représentation descriptive plutôt que substantive dans les organisations de luttes pour le droit de ces groupes historiquement dominés. Toutes ces réclamations ne sont pas que symboliques. Ce type de représentation reste un puissant levier contre les effets de marginalisation dans les processus décisionnels et garantit que les décisions puissent refléter l'expérience et les besoins réels des personnes principalement concernées.

Au-delà de la question identitaire, la présidence par Rachel Dolezal d'une section locale du NAACP pose donc plus fondamentalement la question de l'usurpation d'une position d'autorité et celle d'une possible récupération de la lutte par le groupe dominant. Par son mensonge, Dolezal a-t-elle contribué, bien malgré elle, au maintien de la domination blanche dans un des bastions du militantisme noir ? Comme le soulignent ses propres parents, n'aurait-elle pas été plus utile à la cause, qu'elle prétendait défendre, si elle avait milité sous couvert de sa véritable identité biologique ? Ces interrogations seront encore longtemps débattues.

(1) Bien que préférant les termes de culture ou d'origine, je choisis dans ce texte d'utiliser celui de race bien que je le juge négativement connoté.

(2) Pour une analogie entre transracialisme et transgenderisme, voir les travaux de la philosophe Cressida Heyes.

(3) Gloria HULL, Patricia BELL SCOTT, Barbara SMITH (1982), All the Women are White, All the Blacks are Mem but some of Us are Brave : Black Women Studies, Old Westbury, New York, Feminist Press.

(4) Michèle WALLACE (1975), « Une féministe Noire en quête de sororité. » in Black Feminism, anthologie du féminisme africain américain, 1975-2000, (dir. E.Dorlin), Paris, L'harmattan, p.45-57, 2008.

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Avril 2018

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