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Je suis allé en Ukraine (et je n'ai pas trouvé de Femen)

Je pense à l'alphabet cyrillique, une Lada dans la neige, des cols roulés moulants, des bagarres au Parlement, Ioulia Timochenko, Andreï Shevchenko, et les Femen... L'aventure en ex-URSS s'annonçait excitante. Je serai déçu...
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Dans un avion pour un voyage de presse à Kiev, capitale ukrainienne de 5 millions d'habitants dont je ne sais rien ou presque. Je pense à l'alphabet cyrillique, une Lada dans la neige, des cols roulés moulants, des bagarres au Parlement, Ioulia Timochenko, Andreï Shevchenko, et les Femen... L'aventure en ex-URSS s'annonçait excitante. Je serai déçu...

Oui, les Ukrainiens font partie de ceux qui applaudissent le pilote quand l'avion se pose. La longue attente pour le contrôle des passeports nous rappelle que nous ne sommes pas dans l'Union européenne: les casquettes des douaniers sont aussi grandes qu'ils sont lents.

Des quelques journalistes qui doivent participer au voyage, je suis le premier à atterrir cet après-midi. Une jeune femme me mène au minibus qui nous conduira à l'hôtel et me présente à Vitaly, un costaud aux paluches d'agriculteur qui nous servira de chauffeur pendant deux jours. La jeune femme est l'ancienne assistante d'un parlementaire ukrainien et travaille désormais à Kiev pour le ECFMU (European Centre for a Modern Ukrain), une Organisation non-gouvernementale basée à Bruxelles et constituée par des proches du président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Financée par des businessmen -dans un pays ou affaires et politiques ne font qu'un- l'ONG œuvre au rapprochement de l'Ukraine et de l'Union européenne. C'est elle qui m'invite à Kiev.

Les autres journalistes arrivent au compte-goutte, je patiente en fumant aux côtés de Vitaly. Il ne parle pas un mot d'anglais. Une heure plus tard, nous entrons à l'hôtel Natsionalny, un quatre étoiles au centre de Kiev, à deux pas du Parlement ukrainien et du Dniepr, le fleuve qui coupe la ville en deux. De l'extérieur, le bâtiment ressemble davantage à la sinistre ambassade de Russie à Paris qu'à un hôtel de luxe.

Au rez-de-chaussée, quelques gros bras équipés d'oreillettes surveillent les allées et venues. D'autres patientent tranquillement à mon étage. Je les retrouverai le lendemain matin et les jours suivants à la même place. Nous prenons possession de nos chambres puis nous dirigeons vers un restaurant à deux pas de l'hôtel. Nous nous installons autour d'une large table ronde pour le dîner et écoutons une courte présentation du président de l'ONG. Notre accompagnatrice nous traduit le menu. Ce sera un bortsch.

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Le hall de l'hôtel

JOUR 2 :

Nous n'aurons pas besoin de prendre le minibus aujourd'hui, tous nos rendez-vous ont lieu à, proximité de l'hôtel. Nous commençons par la commissaire des droits de l'Homme du Parlement ukrainien, pas très convaincante.

Nous poursuivons par deux parlementaires de l'opposition. L'un d'eux porte un polo rouge sur lequel est écrit en lettres blanches "l'Ukraine c'est l'Europe". Cela fait plusieurs semaines que les représentants du parti UDAR -créé par Vitali Klitschko, champion du monde de boxe et peut-être futur président ukrainien- arborent ce polo en public. L'entretien s'achève, les deux hommes ont défendu l'accord d'association que doivent signer l'Union européenne et l'Ukraine le 29 novembre à Vilnius. Le sujet fait consensus parmi la classe politique.

Direction le Cabinet des ministres pour rencontrer un des vice-premiers ministres ukrainiens (ils sont quatre). Il a cette étrange manie qu'ont certains personnages publics de vous fixer dans les yeux avec un air de tueur à gages.

Nous partons pour les bureaux du Parti des Régions, celui du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, où nous rencontrons le chef du groupe au Parlement. Plutôt roublard.

Nous marchons quelques mètres pour atteindre un restaurant où nous attendent trois autres parlementaires, spécialistes du budget, des taxes et de fiscalité. Un peu de légèreté pour mettre fin à une journée épuisante... Devant le restaurant, d'autres gorilles patientent aux côtés de grosses berlines. Nos hôtes ont privatisé une grande salle chauffée au feu de bois. Poissons fumés, lapin cuit au vin blanc. La traductrice qui nous a suivi toute la journée a l'air épuisée et est à peine audible entre bruits de fourchette et conversations parallèles.

Je dîne en prenant quelques notes sur mon téléphone, mais commence à piquer du nez.

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Le Cabinet des ministres ukrainiens

JOUR 3 :

Nous avons rendez-vous à 08h avec le ministre des Affaires étrangères, plus affable que son collègue rencontré la veille. Nous le quittons 45 minutes plus tard, pour rejoindre plusieurs experts issus de la société civile à l'institut Gorshenin, un des principaux think tanks d'Ukraine. Certainement le plus intéressant de nos entretiens. En tout cas le moins formel.

Fin de matinée, nous reprenons nos visites au pas de course. Il est 11h40 et nous devons encore nous soumettre à un minutieux contrôle de sécurité avant de rencontrer à midi le premier ministre. Premier contrôle, ascenseur, couloir, deuxième contrôle, couloir, ascenseur, troisième contrôle. Je parviens à garder mon téléphone pour enregistrer la conversation. Entourés d'attachés de presse et d'agents de sécurité, nous entrons dans une large salle qui sert parfois au Conseil des ministres.

Le premier ministre arrive, fait un tour de table pour serrer les pognes. Je suis enthousiaste et au fond plutôt fier, c'est le premier premier ministre que je rencontre. Il prend la parole et perd un temps précieux (nous n'avons qu'une petite heure devant nous) pour dire ce que nous avons déjà entendu à maintes reprises.

À des questions courtes, il offre des réponses longues. Arrivé au cas Ioulia Timochenko. Mykola Azarov se lance dans une interminable démonstration pour dire à quel point -selon lui- les dirigeants européens, et notamment Pat Cox et Aleksander Kwaśniewski, émissaires du Parlement européen en Ukraine, sont désormais convaincus de la culpabilité de l'ancienne première ministre. Il poursuit en disant notamment que le dossier est sur le point d'être réglé. Nous comprenons que l'ancienne égérie de la révolution orange, dont la libération est un préalable à la signature de l'accord de Vilnius, sera bientôt sortie de prison, probablement pour aller se faire soigner en Allemagne.

Le temps passe, l'assistante du ministre commence à s'agiter en montrant sa montre et je n'ai toujours pas posé la question que j'ai en tête. Je m'apprête à demander au premier ministre comment il comparerait l'influence de l'Allemagne et de la France dans la perspective de l'accord d'association. Question intéressante selon moi, dans la mesure où on a peu entendu le quai d'Orsay et l'Élysée sur le sujet, au contraire de Berlin, notamment quand la Russie a imposé des sanctions sur les exportations ukrainiennes en juillet et août derniers. J'appuie sur le bouton et ai à peine le temps de me présenter avant d'être interrompu. Fin de la discussion. Merci au en revoir.

Nous quittons les lieux un peu frustrés. J'envoie toutefois quelques citations sur le cas Timochenko à ma rédaction, publiées quelques minutes plus tard.

Nous rejoignons les locaux d'Interfax, une agence de presse russe qui dispose de bureaux à Kiev. La discussion avec un journaliste ukrainien et le directeur de l'agence est riche d'enseignement et assez effrayante.

Toujours sans une minute de répit, nous arrivons au siège du Parti communiste ukrainien. Un portrait de Lénine nous accueille. C'est très surprenant -nous disent nos accompagnateurs- que le Parti ait accepté de nous recevoir. La rhétorique est bien huilée, le discours bien rodé, mais c'est appréciable d'entendre un point de vue réellement différent de ceux entendus jusqu'alors. Les communistes, s'ils sont favorables à l'accord d'association, émettent de sérieuses réserves sur les réformes menées pour contenter l'Union européenne.

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Lénine au siège du Parti communiste

Sur les rotules, nous nous traînons jusqu'au ministère "de l'Énergie et de l'Industrie du Charbon". Le ministre entame la table ronde en souhaitant un échange "dynamique", c'est aujourd'hui l'anniversaire de son fils... Le rendez-vous sera vite expédié.

SUR LES TRACES DES FEMEN

J'indique à nos accompagnateurs que je n'assisterai pas au dîner prévu le soir. J'ai à peine quelques heures de temps libre pour découvrir Kiev.

Je décide de partir sur les traces des Femen, j'ai repéré avant de partir un bar où les féministes se réunissaient avant de s'installer à Paris. Je monte dans un taxi en direction du Café Cupidon. Arrivé devant l'établissement, je descends les quelques marches qui mènent au sous-sol. Je commande une bière au comptoir.

J'accoste comme une adolescente un peu gauche la seule personne non accompagnée, un barbu chevelu vêtu d'une veste en cuir. Je l'interromps entre deux beignets au fromage. Il me répond qu'il parle anglais après une longue hésitation. Je m'assoie à ses côtés. Je lui explique avoir lu qu'il s'agit d'un endroit à voir à Kiev, l'endroit où les Femen se réunissaient avant de devoir quitter la capitale ukrainienne, et plus généralement un lieu de rencontres des artistes et intellectuels bohèmes de la capitale (c'est en tout cas ce que j'ai lu sur le web).

Iaroslav (c'est le nom du barbu) calme de suite mes ardeurs en m'expliquant -la bouche remplie de beignet et les mains pleines de sauce- qu'il n'apprécie pas cet endroit. Il est venu pour rencontrer un de ses auteurs préférés. Pas peu fier, il me montre les deux dédicaces qu'il a obtenues. J'engage la conversation et comprends vite pourquoi il a hésité avant d'affirmer parler anglais: il baragouine à peine quelques mots. Après tout, si tous les ministres que j'ai rencontrés ont besoin d'un interprète, pourquoi Iaroslav parlerait-il un bon anglais ?

Je lui demande tout de même ce qu'il pense du mouvement Femen. Il réfléchit et me répond: "beautiful girls". J'apprécie l'analyse, mais lui demande de développer. Il secoue la tête et m'indique qu'il ne les aime pas. Mais qu'aimes-tu Iaroslav? Guidant un peu la conversation, je comprends qu'il trouve contre-productives les sorties seins nus des féministes.

Je perçois que le sujet ne le passionne pas. Je m'emploie à l'interroger sur le sujet qui m'amène en Ukraine, l'accord de coopération.

Iaroslav me regarde interloqué. S'il s'agit bien du "choc de civilisation" qu'a évoqué un de nos interlocuteurs, chaque Ukrainien doit bien avoir un avis sur la question. Pas Iaroslav, qui -aimable- me dit qu'il s'agit d'un sujet difficile à propos duquel il ne sait pas bien quoi penser. Je me garde bien de lui donner des pistes, me contentant de lui souhaiter "bon appétit" quand une deuxième tournée de beignets arrive à la table. Quelques échanges tout aussi stériles plus tard, Iaroslav demande l'addition et s'en va ses livres à la main.

Je reste avec ma bière, décider à trouver de meilleurs clients. Je commande tout de même le plat "spécial étudiant", saucisses- frites-salade-œufs. Après cette régalade, je me mets en tête d'accoster d'autres clients du bar. Je vais bien trouver, me dis-je, un brillant esprit avec qui refaire le monde et trinquer jusqu'à plus soif. Je n'ose pas déranger la famille qui dîne à mes côtés. Le groupe de jeunes en face à l'air trop captivé par sa discussion pour être interrompu. Je me lance avec un jeune homme et une femme plus âgée qui discutent tranquillement. "Do you speak english ?". Ils me regardent, se regardent, me regardent, et secouent la tête pour dire non. Je passe mon chemin.

J'abandonne après deux autres tentatives infructueuses, me demandant s'il faut offrir une méthode Assimil à l'Ukraine tout entière ou s'ils ne veulent tout simplement pas me parler (je miserais plutôt sur la deuxième option). Las, je me rassoie et commande une autre bière. Seul. J'imaginais secrètement assister à des débats passionnés entre des moustachus aux lunettes rondes et des blondes aux seins nus, j'ai mangé des œufs au plat. Déçu, je regarde un écran de télé où apparaît Vitali Klitschko. Il semble beaucoup amuser le public de l'émission à laquelle il participe. Le journaliste ukrainien qui me disait cet après-midi que la plupart de ses compatriotes regardent la politique comme un show et ceux qui la font comme des vedettes n'avait après tout peut-être pas exagéré.

Une vingtaine de rencontres, presque autant de tables rondes, ovales, carrées et rectangulaires, de contrôles de sécurité et de cafés, un bortsch, trois maux de crâne et zéro Femen. C'est le bilan de deux jours en Ukraine.

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