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Le mutisme entourant la culture du viol

La culture du viol tend à remplacer nos espaces de liberté et de solidarité par des espaces d'oppression et de silences forcés, de domination et de violence. Ce qui est important de se souvenir, c'est que les cultures du viol et du silence sont des cultures: elles ne sont pas seulement dans la tête de quelques individus malintentionnés, mais bien véhiculés collectivement.
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Ce texte est cosigné par Isabel Matton, Lynda Khelil, Jean-Pascal Bilodeau et Adis Simidzija.

«Une des violences à laquelle la victime doit faire face, c'est le doute. Quand le doute s'installe dans l'esprit des gens. Autant des inconnus que des connaissances en passant par des amis proches, qui remettent en question le vécu, voir la crédibilité de la victime. Jusqu'au point où c'est elle qui doit se justifier.» - une survivante

«Le jour où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée de fournir ses justifications.» - Albert Camus

Dans les derniers mois, plusieurs histoires d'agressions sexuelles sont venues secouer le monde universitaire. Ces dénonciations, anonymes ou revendiquées, ont suscité d'intenses réflexions, parfois houleuses, sur les relations interpersonnelles dans les différents milieux. Cela a même eu des échos dans les médias qui se sont finalement questionnés sur l'existence d'une telle chose que la culture du viol suite aux événements survenus à l'université d'Ottawa. Ces histoires tendent à éclater le mythe selon lequel il existe des lieux totalement à l'abri de ce type de violence.

Jusqu'à la nausée; c'est bien de cela dont il est question : la nausée, pour ces survivants, lorsqu'elles et ils doivent traverser cette galère imposée par la violence d'un autre. Leur quotidien se situe entre culpabilisation et dégoût, entre angoisse et colère. La question lancinante qui les gruge : faire face et se heurter à un monde hostile, ou bien se taire pour se préserver soi-même? Les griffes de l'agresseur restent bien imprégnées dans le conscient et l'inconscient des victimes. Le temps n'efface rien, il tend à accentuer la douleur produite par le mutisme.

La violence sexuelle ne se restreint pas seulement à l'élément pornographique de la chose. Elle inclut un nombre autrement plus vaste de comportements qui peuvent avoir des effets dévastateurs. Des comportements qui sont banalisés au point de nous sembler parfois acceptables. Le Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) définit l'agression sexuelle comme:

«Un acte de domination, d'humiliation, d'abus de pouvoir et de violence, principalement commis envers les femmes, les adolescentes et les enfants, contre leur volonté. C'est imposer des attitudes, des paroles, des gestes à connotation sexuelle, sans le consentement de la personne, et ce, en utilisant le chantage, les privilèges, les récompenses, la violence verbale, physique ou psychologique.»

De plus, il n'y a pas de hiérarchisation des agressions sexuelles, puisque chaque personne peut le vivre de façon différente et peut être affectée à un degré différent. On ne peut pas donner une importance plus grande à une agression plutôt qu'à une autre, elles ont toutes un impact pervers sur les victimes. Additionnez à cela le fait que chaque personne ayant survécu à une agression la vit et y réagit différemment.

À la nécessité de définir ce qu'est une agression sexuelle succède celle d'expliquer la notion de consentement. Le consentement consiste à donner son accord de façon explicite à une demande, dans ce cas-ci de nature sexuelle. L'action de consentir consiste à exprimer ses limites et d'entendre celles de l'autre à travers un dialogue, soit verbal ou non verbal. Les représentations de notre culture encouragent une conception des relations sexuelles où l'importance du consentement est négligée, voire niée.

La culture du viol ne se limite pas aux milieux «typiquement machos»: elle est partout, insidieuse et sournoise. Dans les publicités, dans nos discours, dans nos familles, dans nos réseaux d'amis, dans nos milieux de travail et même au sein des couples. Et ce n'est pas parce qu'on se dit féministe qu'on ne participe pas, même inconsciemment, à la culture du viol.

La culture du viol peut aussi être alimentée par les différentes réactions suite à une dénonciation d'agression sexuelle. Questionner le comportement de la survivante et son vécu ainsi que lui demander de se justifier, contribue à transférer vers la survivante une responsabilité qui incombe à l'agresseur.

Mais c'est aussi et surtout une série de questions cruciales que posent les histoires de viol.

D'abord, comment lutter contre cette culture sans sombrer dans le procès populaire et la violence collective? Sans pour autant se déresponsabiliser, en déléguant aux autres la tâche d'agir, en se disant «moi je ne suis pas un agresseur», ou bien que d'autres sont mieux outillés que nous pour la tâche. Car la responsabilité face à cette culture et les actes d'agression qu'elle permet, nous les légitimons collectivement.

Il est reconnu que les procédures juridiques sont lentes et lourdes, et que les paramètres des tribunaux sont, la plupart du temps, très défavorables aux victimes, sans oublier l'amnésie que celles-ci peuvent subir lors de témoignages dus à la difficulté que la mémoire a parfois de se souvenir d'événements aussi douloureux. La question se pose alors: comment peut-on combattre la déresponsabilisation et l'essence collective qui nourrit la culture du viol?

Mais c'est aussi d'une autre culture, qui travaille de concert à la première, que nous voulons faire le critique. La culture du silence, qui, au nom de la nécessité de protéger la communauté contre la critique extérieure qui a tendance à instrumentaliser le malheur à des fins politiques ou autres, la fait taire. Ce consentement indirect provoqué par la pression sociale. Et ce, à tous les niveaux de la sphère sociale: militants, non-militants, féministes, familiale, sportives, etc. La mère, le frère ou l'oncle qui font taire la fille pour préserver la réputation de la famille. Les militants qui font taire les autres militants pour que leurs détracteurs ne s'emparent pas de la chose. Les membres de partis politiques qui justifient l'injustifiable pour ne pas créer un tôlé. L'équipe sportive qui fait taire la victime pour ne pas entacher la réputation de l'équipe. Les exemples abondent, ils sont omniprésents.

Aucun mouvement, aucune institution, aucune lutte, aucun groupe ne mérite d'être défendu si c'est pour taire la violence d'une oppression comme l'agression sexuelle. À ce titre, nous saluons l'action prise par l'université d'Ottawa qui a suspendu les activités de l'équipe de hockey suite à une histoire d'agression sexuelle commise par les joueurs de l'équipe masculine.

Dénoncer, mettre à jour, éclairer cette culture du viol. La mettre en lumière et montrer tout le caractère oppressif. Et aussi prendre conscience que le silence est complice, que la moquerie encourage. Réfléchir ensemble à des moyens de la contrecarrer. Poser la question et se remettre nous-mêmes en question, de façon honnête et sincère. Voilà la seule posture qui nous semble acceptable, dans la société entière et dans toutes ses institutions.

La culture du viol tend à remplacer nos espaces de liberté et de solidarité par des espaces d'oppression et de silences forcés, de domination et de violence.

Ce qui est important de se souvenir, c'est que les cultures du viol et du silence sont des cultures: elles ne sont pas seulement dans la tête de quelques individus malintentionnés, mais bien véhiculés collectivement. De la même manière, elles ne pourront être transformées que collectivement.

Et il faudrait aussi garder en tête qu'au fond, si nous n'y prenons pas garde, nous pourrions tous et toutes bafouer le consentement d'autrui et commettre une agression sexuelle puisque la culture du viol normalise des comportements qui sont déplorables.

LIRE AUSSI: Oui, nous vivons dans une culture du viol - Jocelyne Robert

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