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Des livres et des réfugiés

La mission que nous nous sommes octroyée, c'est de rendre plus agréable et facile l'intégration scolaire d'enfants réfugiés, qui à leur tour contribueront à la socialisation de leurs parents.
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Tout d'abord, permettez-moi de me présenter de manière plus ad hoc.

Sans vouloir me mettre de l'avant, je considère qu'il est très important que je vous introduise à mon vécu pour que vous ayez une meilleure compréhension de ce qui motive ma démarche.

Je suis né en Bosnie-Hérzegovine en 1988. En 1998, ma mère, mon frère et moi sommes venus au Québec en tant que réfugiés. Mon père a été tué en 1992, au début du conflit, comme beaucoup de civils musulmans.

Je ne suis pas un artiste, ni un écrivain, j'ai un baccalauréat en sociologie et je travaille à temps plein au centre YMCA Cartierville au service à la clientèle en attendant de reprendre ma maîtrise que j'ai mise de côté pour une période de temps indéterminée.

Des livres et des réfugiés est l'initiative d'une famille réfugiée qui veut contribuer à la construction d'un Québec plus instruit, plus riche, plus inclusif. Mon frère, ma mère et moi sommes les membres fondateurs de cet organisme qui est enregistré au Registre des entreprises du Québec.

La mission que nous nous sommes octroyée, c'est de rendre plus agréable et facile l'intégration scolaire d'enfants réfugiés, qui à leur tour contribueront à la socialisation de leurs parents.

Nous désirons offrir du matériel scolaire, un accès à de la nourriture au quotidien et des vêtements pour les enfants dans le besoin.

Présentement, c'est la vente du livre Confessions d'un enfant du XXIe siècle qui est la principale activité de l'organisme. Nous allons diversifier les activités avec le temps.

Le livre se vend quinze dollars et la totalité des profits (environ neuf dollars) est réinvestie pour la cause. Il est disponible à la librairie Olivieri et dans les points de vente de la Coopsco Trois-Rivières.

Ces librairies ont accepté de prendre le livre en consignation sans faire de profits, puisqu'ils croient en la cause. À cet effet, je désire les remercier infiniment et j'invite toutes les personnes à aller acheter un livre à ces deux endroits extraordinaires, pour leur service, mais aussi pour la qualité des œuvres qu'on y retrouve.

Si vous n'êtes pas en mesure de vous rendre à un de ces points de vente, vous pouvez acheter le livre directement sur le site web de l'organisme. Nous faisons la livraison partout au Québec et au Canada.

Je vous partage ici en exclusivité une nouvelle qu'on retrouve dans le livre qui s'intitule L'insoutenable absurdité du devoir vivre :

Confessions d'un enfant du XXIe siècle : pp. 40-49

Cette seconde histoire relate l'absurdité que représente la vie pour un esprit suicidé. Il est question de la banalité du quotidien, de l'aliénation du travail, de la mort qui se lit partout, en tout temps. Il est surtout question de la peur de voir des proches mourir alors que nous sommes prisonniers de cette envie terriblement irrésistible de nous jeter sous les rails d'un train qui roule à plein régime. La famille joue un rôle omniprésent dans l'esprit d'une personne suicidaire. Dans le cas présent, c'est la mère qui est le personnage principal. C'est grâce à cette dernière que je ne suis jamais passé à l'acte. Mais cette histoire pose surtout la troublante question : que se passerait-il si la mère disparaissait du jour au lendemain ? Cette mère qui est le filament qui nous accroche encore à la vie.

Je m'appelle Edin, j'ai perdu mon sourire il y a quelques années. Si jamais vous le retrouvez, veuillez s.v.p. me le rapporter. Je suis relativement jeune, cultivé et je projette une sincère joie de vivre. Mon seul problème, c'est que je n'aime pas les lundis. Mon histoire avec les lundis a commencé en 2012 ; c'est cette même année que j'ai perdu le sourire. Je vous raconte.

C'est un lundi comme il s'en fait depuis des millénaires. Absence de désir, d'envie, de sonorité assourdissante qui nous rappelle qu'on doit être à l'écoute, même lorsqu'on ne veut pas entendre. Je m'habille avec une lenteur satisfaisante, comme la mort, lorsqu'elle se réveille et se prépare, à l'aube, pour aller cueillir les fleurs. Je prends mon livre qui traîne sur ma table de chevet par habitude et mon sac gisant au sol par négligence. Je barre la porte avec un sentiment d'impuissance.

Une impuissance qui fait en sorte que je ne peux jamais promettre aux seize murs qui forment mon appartement que nous allons nous revoir le soir venu. C'était comme ça chaque fois que je mettais le pied sur la galerie et fermais la porte. Une porte fermée, et puis deux... et puis mille. Fermer des portes était devenu ma spécialité. De plus, j'ignore tout du présent, le passé m'est suppliciant et l'avenir incertain. Chaque matin, j'embrasse les mêmes seize murs d'un triste regard comme on embrasse une mère morte, superficiellement embellie, gisant dans le cercueil exposé comme un plateau de buffet pour les insectes qui la tueraient une deuxième fois, et puis une troisième. Peut-être même une millionième.

La triste réalité qui se cache derrière la mort d'une mère, c'est qu'elle fait ressortir la superficialité agonisante de notre époque. Tout est superficiel en ce vingt-et-unième siècle, même les morts. La seule différence entre la mère morte et les seize murs, c'est que les murs restent naturellement poussiéreux.

Ils ont donc l'air plus animé que cette pauvre morte, qu'on célèbre, d'une drôle de manière, en essayant de lui donner l'allure de l'éternité alors qu'elle est l'exactitude d'une fin.

En marchant dans ma ruelle, je croise souvent des chats errants comme les folles idées qui s'échappent des foyers crispés par la rationalité d'une vie conjugale bien rangée.

En ce lundi, comme tous les autres, un chat est passé. Je me suis approché pour le caresser, puisque j'aime remplir ce vide émotionnel par la douceur du pelage félin. Chaque fois que je vois un chat errant, je ne peux m'empêcher de m'arrêter pour lui faire mes plus solennelles salutations. Comme celles qu'on fait aux héros de guerre, sauf que les chats ne vivent pas de la mort des autres. Le chat m'a regardé d'un air curieux ; il me semblait que, s'il pouvait parler, il m'aurait dit que la tristesse de mon visage lui était insupportable et se serait excusé de ne pas s'être approché de moi, d'une distance suffisante, pour que je puisse m'imprégner un peu de sa douceur. Après m'avoir curieusement fixé, pendant quelques secondes, il s'est enfui.

Les chats s'enfuient toujours lorsqu'on fait preuve de respect et d'affection à leur égard. Ils ne s'habitueront jamais aux adulations de certains humains envers leur espèce, et avec raison, parce que, lorsqu'on réalise les supplices que les humains s'infligent entre eux, les chats sont mieux de ne pas se faire trop amis avec nous.

Le mieux qu'ils peuvent nous offrir, c'est leur ronronnement ponctuel pour accompagner nos angoisses quotidiennes. Le ronronnement félin est devenu la trame sonore de ma solitude.

Le feuillage chante, le vent chatouille les arbres de sorte qu'une douce musique résonne dans ce quartier où les chats s'abandonnent aux plaisirs de la banalité de l'existence. Moi, mon cœur reste insensible à ce chant de la nature. Comment Mère Nature pouvait-elle nous donner ce spectacle en cadeau alors que nous la traitons comme les insectes traitaient la mère morte ? Je refuse de me laisser emporter par cette rythmique. Et même si j'essayais, je ne pourrais ressentir autre chose que de l'indignation. Non pas contre la Mère, qui chante malgré sa condition de femme battue, mais contre ces agressions répétées dont elle est victime. Un mégot de cigarette jeté par terre, et puis deux...et puis un million.

Une bouteille en plastique jetée dans l'océan et puis deux...et puis un milliard. C'est toujours la même histoire avec les êtres humains !

J'attends sur le quai que le métro arrive. Tous les visages portent ce même maquillage de la mort. Parfois, ces visages se réaniment après avoir regardé leur montre, se rendant compte qu'ils seront en retard au travail, pour aussitôt replonger dans une crispation meurtrie.

Il n'y a qu'à regarder les visages à sept heures trente du matin dans le métro pour comprendre ce à quoi ressemble un visage suicidé.

Sauf que, ces visages se suicident huit heures par jour, quarante heures par semaine, pour reprendre vie le soir venu sans ressentir rien d'autre que l'angoisse du lendemain quand ils devront à nouveau se mettre la corde au cou et se lancer dans le vide de l'aliénation. On dit qu'on travaille pour se reproduire quotidiennement, je croirais plutôt qu'on travaille pour alimenter la mort qui se masturbe en attendant la prochaine personne qui rentrera le soir à la maison et enfilera son plus beau costume pour se mettre la corde autour du cou avant de se lancer dans le néant.

Ce matin, j'ai justement mis mon plus beau costume, espérant déjouer la mort. J'y arriverai peut-être, parce qu'elle dort encore à cette heure-là normalement. Le métro arrive, je regarde le contrôleur avec considération et d'un clignement des yeux mon esprit se retrouve les pieds dans le vide, mon corps supplie les spectateurs de pardonner la piètre qualité de la performance que mon visage leur offre et je me sens transporté dans l'espace et le temps d'une drôle de manière.

J'arrive à destination, me croyant au paradis, mais l'environnement m'est beaucoup trop familier pour que ce soit le produit d'une vie après la mort. Les invités me regardent avec pitié, ce sentiment si insignifiant. Le pire qu'on puisse ressentir disait Nietzsche et les milliers d'autres philosophes à avoir réfléchi à la moralité des sentiments.

Ma mère gisant sur cette table sur laquelle on expose les morts avant de leur donner l'allure de l'éternité et de les parader pour une dernière fois devant les convives atterrés.

Mon frère pendu à la culpabilité ; toute la famille ensevelie par ces vagues d'eau salée produites par les milliers de litres de larmes versées. En voyant ma mère inanimée, froide, le corps dissimulé dans ce sac-à-mort, j'ai compris que j'avais déjoué le destin, mais la vie m'avait réservé toute une surprise.

Maman est morte. Ce jour-là, elle a été frappée par une voiture conduite par un chauffard ivre qui voulait échapper à l'insoutenable absurdité du devoir vivre. Un chauffard qui en avait marre de travailler comme un esclave et qui se dépêchait d'arriver à la maison, où une chaise l'attendait, au-dessus de laquelle pendait une corde.

Des centaines de lundis plus tard, je me réveille toujours dans ce même appartement aux seize murs qui semblent inconsolables. Cette fois je suis allé chez le coiffeur et je me suis fait faire un costume sur mesure. Le cœur tambourinant sous ma poitrine, j'ai dit au revoir aux murs, j'ai ramassé mon livre et mon sac, j'ai salué les chats du quartier et j'attends sur le quai, sourire aux lèvres, que le métro arrive.

Un bouquet de fleurs en main, la vie continue malgré la mort qui a fait foyer dans mon âme...

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