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De la prévention à la punition: la criminalisation des pauvres

L'État a occulté la prévention au profit de la punition, a facilité l'instauration d'un appareil de répression dont les mains graisseuses se retrouvent partout, en tout temps.
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Dans ce que le sociologue Loïc Wacquant appelle «la mondialisation de la tolérance zéro» il est possible de constater un changement d'approche face à la pauvreté, mais surtout face aux pauvres. Dans cette logique qui se matérialise dans la transition néolibérale des sociétés occidentales, on observe que le droit laisse place au devoir, que la prévention laisse place à la punition.

L'État au service de la punition

Dans un article relatant la «fabrique de l'État néolibéral», Loïc Wacquant souligne que ce changement s'effectue dans la promotion de la transition de l'État «maternaliste» et protecteur de l'ère fordiste-keynésienne vers le nouvel État «paternaliste» et autoritaire du néolibéralisme. Un État qui, contrairement à ce que plusieurs pouvaient penser, est loin d'être un obstacle à l'extension du marché, mais se veut un élément essentiel dans l'intégration de cette logique dans tous les champs de la vie collective.

Pierre Dardot et Christian Laval font un constat similaire à celui de Loïc Wacquant lorsqu'ils observent qu'entre les mains de l'État «les instruments de l'action publique légués par la gestion sociale-démocrate et keynésienne sont paradoxalement devenus des leviers pour transformer de l'intérieur la logique de fonctionnement de l'action publique et la mettre au service d'une mutation profonde de la société».

Ce qu'il faut en tirer, c'est que l'État a occulté la prévention au profit de la punition. Mais encore, il a facilité l'instauration d'un appareil de répression dont les mains graisseuses se retrouvent partout, en tout temps. Pour dire les choses autrement, l'État, au lieu de prévenir la pauvreté, a mis en place les éléments nécessaires à la criminalisation des pauvres.

La mise à mort de l'État social

C'est le résultat de la «montée en puissance du secteur carcéral» ainsi que de la «restructuration plus large du champ bureaucratique» qui, additionnés, donnent un État autoritaire et sélectivement répressif, qui sont à l'origine de la mort de l'État social.

La mise à mort de cet État social s'est achevée aux États-Unis, par exemple, à travers la loi de 1996 qui a cristallisé l'individualisation des responsabilités collectives. Cette mise à mort a été rendue possible grâce au système judiciaire complice. Cette transition culmine donc avec un passage du droit à l'aide sociale à celui du travail. Loïc Wacquant souligne que cette société pénale nous «rappelle ainsi à tous avec éclat que, de par sa seule existence, la misère constitue une atteinte intolérable contre cet état fort et défini de la conscience collective.»

C'est dans les années 1970 aux États-Unis et les années 1990 en Europe que Loïc Wacquant situe le tournant qui mène à cette nouvelle intransigeance face à la pauvreté. L'auteur attribue au marché cette prolifération de la punition qui, dans la transition néolibérale du capitalisme, s'est imbriquée dans toutes les sphères de la vie sociale. Pour Wacquant, ce sont les appareils répressifs policiers et administratifs qui mettent en place les conditions nécessaires à la reproduction de ces politiques judiciaires. À cet effet, sa réflexion se situe à la jonction de l'analyse bourdieusienne et foucaldienne puisqu'il remet au centre de ces pratiques l'importance des structures et, plus précisément, le rôle prédominant de la prison.

Dans La fabrique de l'État néolibéral, Wacquant relate l'importance de la prison dans cette gouvernance contre les pauvres. Contrairement à ce que prévoyait Foucault, Loïc Wacquant observe que la prison est demeurée un élément essentiel pour l'État dans sa gestion sociale des marginalités. Il affirme à cet effet «qu'il faut penser la prison, non pas comme un simple appareil technique de maintien de l'ordre, mais comme un organe central de l'État dont le déploiement sélectif et agressif dans les régions inférieures de l'espace social est foncièrement antithétique d'une conception démocratique de la citoyenneté.»

Psychose sécuritaire et naturalisation de la punition

Cette société post-préventive souffre d'une psychose sécuritaire qui déchaine ses folies répressives sur les classes laborieuses. Ce délire sécuritaire se matérialise surtout à travers la répression et la judiciarisation des personnes vulnérables.

On observe un durcissement des peines face aux petits délits qui sont la plupart du temps commis par les personnes en situation de vulnérabilité. Tout cela s'accompagne d'un appareil policier de plus en plus réactionnaire et répressif. On assiste à la naturalisation de la punition reproduite dans le discours officiel de ce que Wacquant appelle «le nouveau gouvernement de l'insécurité sociale» et intériorisée par toutes les couches de la société à travers les médias.

Dans cette perspective, la pénalité est présentée comme saine et nécessaire puisque c'est la seule réponse adéquate aux incivilités commises par les plus pauvres de nos sociétés. Un pan important des classes dirigeantes condamne l'explication sociologique du phénomène de la pauvreté, prétextant que cette discipline fait abstraction de la réalité et ne fait que fournir des excuses aux pauvres délinquants.

Les classes dirigeantes préfèrent se tourner vers un discours judiciaire de la pauvreté, puisque celui-ci serait plus près du principe de réalité. À leurs yeux, les personnes vulnérables qui deviennent délinquantes le sont par choix.

Relatant le discours faisant quasi l'unanimité au sein de la classe politique français, Wacquant cite l'intervention du député Julien Drey pour démontrer à quel point ce discours de l'individualisation de la pauvreté est imbriqué au sein des classes dirigeantes:

«Oui il existe un terreau propice à la délinquance. Le reconnaitre ne l'excuse ni ne le justifie pour autant. Si on ne choisit pas là où on l'on naît, on choisit sa vie et, à un moment donné, on choisit de devenir délinquant. Dès lors, la société ne peut trouver d'autre solution que la répression de tels actes.»

Ce discours alarmiste prétend qu'il n'existe que deux choix pour le pauvre, soit être pauvre, délinquant et finir par être réprimé, soit s'en sortir.

S'en sortir comment? En allant travailler.

D'un dogmatisme alarmant, le nouveau discours sur la pauvreté se situe dans cette vide dualité. Cette dualité prétendument proche du principe de réalité, mais qui, au final, n'est qu'une réduction aberrante de celle-ci.

Avec Loïc Wacquant, on arrive à une lecture binaire de cette société répressive. Une dualité entre l'État social et l'État pénal se dessine. L'État social amène les citoyens à accepter le travail comme fondement de la vie sociale. Un travail qui se veut miséreux. S'ils ne l'acceptent pas, c'est l'État pénal qui s'occupera d'eux. Or, le problème qui se pose, c'est que l'État social et l'État pénal sont devenus indissociables. L'un complète l'autre et l'appareil répressif est devenu autoréférentiel. Nous en arrivons avec Wacquant à cette conclusion que Foucault avait fait dans Surveiller et punir quant à l'auto-reproductivité de l'appareil carcéral.

Bref, nous voilà pris dans un cercle vicieux où la punition se matérialise à travers un travail de misère qui, lui, se conclut la plupart du temps par la prison. Tout comme la prison chez Foucault fabrique les délinquants, pour Loïc Wacquant, la pénalisation de la pauvreté fabrique les pauvres...

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Avril 2018

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