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«Harry Potter» serait encore plus magique si Dumbledore était ouvertement gai, comme le veulent ses fans

J.K. Rowling sait que ses mots ont le pouvoir de construire des mondes et de les ébranler. Le pouvoir de la visibilité ne peut être sous-estimé.
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Jude Law dans
2017 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. / Jaap Buitendijk
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Il y a dix ans, J.K. Rowling révélait qu'elle s'était toujours dit que Dumbledore, le directeur de Poudlard, était gay. Toutefois, les fans LGBT de Harry Potter et les personnes qui les soutiennent attendent toujours de voir leurs orientations sexuelles représentées dans les histoires du petit sorcier.

Dans le prochain film de la franchise, Les Animaux fantastiques 2: Les Crimes de Grindelwald, un jeune Dumbledore (incarné par Jude Law) affronte le terrible Gellert Grindelwald (Johnny Depp). À l'adolescence, les deux hommes ont vécu une relation intense. Inséparables, ils ont préparé ensemble leur projet d'accession au pouvoir et J.K. Rowling a laissé entendre que leur relation n'était pas platonique.

Cependant, selon le réalisateur David Yates, le film à venir n'indiquera pas l'orientation sexuelle de Dumbledore de façon "explicite". Peut-être parce que les producteurs s'inquiètent des répercussions sur les entrées dans des pays où la communauté LGBT est moins acceptée. Ou parce que les héros ouvertement gays inscrivent encore les films dans une niche trop petite pour justifier un budget de plus de 200 millions de dollars. Ou simplement parce que le film se déroule après l'adolescence de Dumbledore, pendant la guerre, et que l'amour est loin d'être la priorité. Trois autres films se déroulant avant les aventures de Harry sont en préparation et pourraient permettre une exploration plus marquée du personnage de Dumbledore. Le message que David Yates envoie avec ce film est toutefois bien connu des personnes LGBT: être gay ne pose pas de problème, mais n'en faisons pas toute une histoire.

La franchise Harry Potter s'inscrit dans une longue lignée de films dans lesquels le fait d'être queer appartient au domaine de l'implicite.

Les fans de Harry Potter ont immédiatement exprimé leur mécontentement après cette déclaration en accusant J.K. Rowling de faire des promesses qu'elle ne tenait pas. L'une d'elles a tweeté: "JK Rowling: 'Au fait, Dumbledore est gay mais je n'en parle pas dans les livres.' Nous: 'Peut-être qu'ils se rattraperont dans le film consacré à Dumbledore.' Le réalisateur: 'Non, son homosexualité n'est mentionnée ni dans les livres, ni dans le film. Mais vous, vous le savez.'" Rowling a sèchement réprimandé ces fans, dont beaucoup s'étaient habitués à ses tweets —fréquents— de soutien à la communauté LGBTQ. À ce jour, David Yates ne s'est pas exprimé en réponse à ces critiques.

Que penser du fait que Dumbledore peut être gay dans l'imaginaire collectif mais pas dans les livres ou sur grand écran? Quel message cela envoie-t-il aux fans fidèles qui attendent chaque nouvel épisode avec impatience? Que la franchise Harry Potter s'inscrit dans une longue lignée de films dans lesquels le fait d'être queer appartient au domaine de l'implicite.

Cela fait des décennies que les médias de masse relèguent les histoires queer au second plan et font des blagues aux dépens de la communauté LGBTQ. Tout, de la politique de l'armée américaine pendant vingt ans ("Don't Ask, Don't Tell", autrement dit: "On ne veut pas le savoir") aux blagues homophobes dans des séries à succès, indique aux personnes queer qu'elles devraient être un peu moins visibles, un peu plus discrètes dans leur amour, un peu plus mesurées dans leur vérité. Le fait de minimiser la sexualité de Dumbledore transmet un message tout aussi subtil mais néanmoins fort: vous n'avez pas votre place dans cette histoire.

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Les films de la saga Harry Potter eux-mêmes font état de la cruauté et du danger contenus dans ce message. Les Animaux fantastiques, le premier volet de la nouvelle franchise, dépeint de manière frappante la façon dont la suppression de la vraie nature d'une personne déforme, dégrade et détruit celle-ci. Après des années de torture aux mains de sa mère adoptive qui le punit de l'existence de ses pouvoirs magiques, Credence Barebone laisse exploser sa rage et sa haine envers lui-même. La répression de ses pouvoirs génère un Obscurus, une énergie parasite néfaste qui finit par le consumer ainsi qu'une grande partie de New York. Sous la pression des stigmatisations sociales, ses pouvoirs magiques, qui auraient pu servir à l'échange et à la création, se font destructeurs et mortels.

Le pouvoir de la visibilité, du fait de voir se refléter sa propre histoire, ne peut être sous-estimé. Elle fait figure de flambeau dans l'obscurité. C'est l'appel du clairon qui dit: "Tu n'es pas seul.e." Pour les personnes LGBT, dont 74% ont caché leur orientation sexuelle de peur d'être discriminées, la visibilité constitue encore fréquemment un problème de vie ou de mort.

Pour les personnes LGBT, dont 74% ont caché leur orientation sexuelle de peur d'être discriminées, la visibilité constitue encore fréquemment un problème de vie ou de mort.

Elle n'implique pas seulement le fait d'avoir voix au chapitre. Comme le souligne l'histoire de Credence, il est essentiel pour le bien de notre société que toute personne soit considérée et acceptée pour ce qu'elle est. À une époque de polarisation croissante et d'isolation due à des questions d'identité, notre évolution collective repose sur notre capacité à raconter des histoires avec davantage de nuances, des histoires qui n'enrobent pas, ne modifient pas ou n'effacent pas les vérités des autres. Quand des fans réagissent avec humeur au baratin de David Yates et J.K. Rowling sur la façon dont ils représentent Dumbledore, c'est leur peur et leur vulnérabilité qui s'expriment. Ils demandent à être considérés, à ce qu'on les accepte de façon totale, pas à ce qu'on leur donne un amour sous conditions.

En choisissant de faire de Dumbledore un personnage qui n'est gay que de façon implicite, David Yates a décidé de laisser les fans queer dans l'ombre. Et, en rejetant les critiques, J.K. Rowling et lui ont perdu l'occasion de donner à ces fans le sentiment d'être considérés et entendus. L'écrivain aurait pu répondre avec empathie et clarté: oui, Dumbledore est gay. Oui, ces films se feront l'écho de sa vie sous tous ses aspects. Et, oui, je comprends que les histoires LGBTQ ont de l'importance et j'espère que mon travail contribuera à les relater. Comme Dumbledore l'a dit lui-même: "Les mots sont une source intarissable de magie, capables de nous faire souffrir et de nous guérir." Mieux que quiconque, J.K. Rowling sait que ses mots ont le pouvoir de construire des mondes et de les ébranler.

L'équipe des Crimes de Grindelwald a la possibilité de raconter une histoire pleine de nuances sur un héros queer. Lorsqu'on se rendra au cinéma en novembre, j'espère que l'on verra un Dumbledore qui explore qui il est et la façon dont il peut réaliser ses rêves, un Dumbledore qui s'efforce de se comprendre dans un monde de sorciers auquel il manque peut-être les mots pour décrire son expérience queer.

Il est essentiel pour le bien de notre société que toute personne soit considérée et acceptée pour ce qu'elle est. Notre évolution collective repose sur notre capacité à raconter des histoires qui n'enrobent pas, ne modifient pas ou n'effacent pas les vérités des autres.

Le Dumbledore que les lecteurs ont rencontré il y a plus d'une décennie a enseigné aux fans plus jeunes, et a rappelé aux plus vieux, ce que c'est d'être jeune et amoureux de quelqu'un, et du monde que cette personne nous fait découvrir. Il a pris le risque d'ouvrir son cœur et compris que les gens que l'on ose aimer sont toujours ceux qui nous apprennent le plus, même quand ça ne se termine pas en conte de fées. C'est une leçon que les fans queer, tout comme les fans hétérosexuels, ont besoin de voir à l'écran.

Nous ne demandons pas à voir Dumbledore proclamer sans détour son amour pour d'autres hommes, ou revêtir un chapeau de sorcier aux couleurs de l'arc-en-ciel (même si ce serait chouette!) mais les fans queer —et tous les fans de Harry Potter, à vrai dire— ont besoin d'un Dumbledore qui soit fidèle à lui-même chaque fois qu'il apparaît à l'écran. Nous méritons de voir le portrait authentique d'une personne qui explore l'amour, le pouvoir et son rôle dans la création d'un monde meilleur. Il n'incombe pas à David Yates, J.K. Rowling ou leur équipe de pallier le manque de visibilité de la communauté LGBT. Cela dit, ils ont là l'occasion de raconter une histoire audacieuse et honnête qui nous permet d'en apprendre un peu plus sur ce que signifie être pleinement soi-même.

Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Laura Pertuy pour Fast For Word.

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