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Inconduites sexuelles: une «culture malsaine du silence» à l’Université de Montréal

Tous s'entendent pour agir, mais comment?

QUÉBEC - «Mon directeur de thèse a fermé la porte de son bureau lors d'une de nos rencontres et m'a fait des avances sexuelles explicites. J'ai refusé. Il a menacé de couper ma charge d'auxiliaire de recherche si j'en parlais.»

Des témoignages du genre, la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal (FAÉCUM) en entend toutes les semaines. Une «culture malsaine du silence» règne sur le campus, de l'aveu même de Simon Forest, secrétaire général de l'organisation étudiante.

Trois cents étudiantes de l'Université de Montréal ont signé une lettre ouverte, mercredi, à l'intention de la ministre responsable de l'Enseignement supérieur Hélène David, pour expliquer pourquoi elles ne font pas confiance au processus disciplinaire présentement en place.

Hélène Laforest, qui avait 20 ans à l'époque, a porté plainte au SPVM. Sa cause a été jugée non fondée.
Josie Desmarais via Getty Images
Hélène Laforest, qui avait 20 ans à l'époque, a porté plainte au SPVM. Sa cause a été jugée non fondée.

L'ex-étudiante Hélène Laforest en sait quelque chose. En 2010, elle a porté plainte contre son professeur Jean Larose, qui lui aurait fait des avances sexuelles et des attouchements, pendant ses cours de création littéraire qu'il décidait de donner en privé, derrière des portes closes.

En entrevue avec le HuffPost Québec, la jeune femme explique avoir remis une plainte écrite au Bureau d'intervention en matière de harcèlement. Puis, elle a été convoquée pour raconter sa version des faits lors d'une rencontre en vidéoconférence.

Sur le chemin, Hélène Laforest se souvient avoir croisé son présumé agresseur.

À son souvenir, le comité de discipline était formé de trois ou quatre personnes – majoritairement des hommes. Idem lorsqu'elle est allée rapporter ses agressions à la police – deux enquêteurs hommes. Dans les deux cas, ses plaintes ont été jugées «non fondées».

L'histoire d'Hélène Laforest, d'abord révélée par La Presse, a fait grand bruit après sa publication. Le professeur Larose, qui a quitté l'université en 2011, a reconnu avoir tenté de la toucher de façon sexuelle une fois, croyant que c'était consentant, mais dit ne pas avoir insisté.

Un code de conduite obligatoire

Avec l'adoption du projet de loi 151, Québec oblige tous les établissements d'enseignement supérieur à se doter d'une politique pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel d'ici le 1 septembre 2019.

Le code de conduite vient aussi encadrer les liens intimes entre les professeurs et les étudiants – qu'ils soient amoureux ou sexuels – afin de prévenir les conflits d'intérêts, mais aussi les cas d'abus.

Ils n'ont même pas tenu compte du conflit d'intérêts. On se sentait démunies, incomprises.Mélissa Grégoire, victime de Jean Larose

La ligne est parfois mince entre les deux. Mélissa Grégoire, qui s'est elle aussi confiée dans le cadre de l'enquête de La Presse, dit qu'elle n'a pas été forcée d'avoir des relations avec le professeur Larose lorsqu'elle était son étudiante. Mais elle dit qu'il a profité de sa position d'autorité pour obtenir des faveurs sexuelles de sa part.

Au moment de porter plainte en 2002, avec une autre victime, elles ont dû tourner les talons, puisque le bureau du harcèlement ne reconnaissait pas la notion de «consentement non-éclairé».

«Pour eux, il n'y avait rien de condamnable. Ils n'ont même pas tenu compte du conflit d'intérêts. On se sentait démunies, incomprises.»

Mme Grégoire dit avoir vécu des moments très éprouvants après la parution de l'article de La Presse. Elle n'a pas voulu accorder une autre entrevue à ce sujet.

Une nouvelle charte qui divise

Tant la FAÉCUM que le recteur Guy Breton soutiennent que la charte actuelle de l'Université de Montréal – qui date de 1967 – empêche l'institution de se doter d'un code de conduite impartial, où les professeurs ne jugeront pas leurs pairs accusés de harcèlement.

Ils pensent que le projet de loi privé 234, qui les dotera d'une nouvelle charte, viendra régler le problème et ont pressé la ministre David de s'en saisir le plus rapidement possible.

La ministre Hélène David est restée prudente sur le sujet mercredi.
LA PRESSE CANADIENNE
La ministre Hélène David est restée prudente sur le sujet mercredi.

Le projet de loi est à l'origine d'une crise sans pareil à l'université. Le Syndicat général des professeurs et professeures de l'Université de Montréal (SGPUM) dénonce une stratégie «cheval de Troie» et accuse le rectorat de vouloir récupérer tous les pouvoirs disciplinaires à son avantage.

«Le dossier du harcèlement et des inconduites sexuelles est utilisé par la direction de l'Université afin de faire disparaître l'importance de la contribution du professeur», ont dénoncé 442 membres du syndicat dans une lettre parue en décembre dernier.

Dialogue de sourds

En entrevue, le président du SGPUM, Jean Portugais, précise que les professeurs sont d'accord avec l'utilité d'un nouveau code de conduite pour les cas de harcèlement. Mais ils sont d'avis qu'il devrait y avoir un processus externe et indépendant pour toute la communauté.

«En faisant ça à l'interne, qui va être juge? Ce ne sera pas les profs, on est d'accord. Maintenant, si c'est un cadre qui est l'agresseur, puis que ce sont des cadres qui sont juges, c'est exactement le même problème que les étudiants dénoncent, mais à un autre niveau.»

C'est impossible à corriger dans le contexte actuel où on est verrouillés avec une charte et un exécutif syndical qui ne veut rien savoirGuy Breton, recteur de l'UdeM

«Comment pensez-vous que les étudiants vont avoir confiance si, dès que c'est une plainte qui touche à un prof, elle va à une firme qui est payée pour faire les études et la discipline, alors que c'est la responsabilité de l'employeur, qui est l'université?» réplique Guy Breton.

«Moi, je vous dis : c'est impossible à corriger dans le contexte actuel où on est verrouillé avec une charte et un exécutif syndical qui ne veut rien savoir», poursuit le recteur.

M. Portugais réplique que la loi 151 «se suffit à elle-même» et que la charte n'a pas besoin d'être modifiée pour pouvoir agir. Il croit que la direction tente de leur faire porter la fardeau de leur inaction à travers les années.

La ministre va de l'avant

Assaillie de questions sur le projet de loi 234 toute la journée, la ministre David a finalement répondu à l'appel des étudiants et de la direction de l'Université de Montréal. Les parlementaires vont se saisir de la question dès jeudi.

Jusqu'en milieu d'après-midi mercredi, le cabinet de la ministre soutenait qu'il y avait encore des discussions entre les juristes de l'université et ceux du ministère pour s'assurer que le projet de loi était juridiquement viable.

Le syndicat des professeurs de l'Université de Montréal entend contester le projet de loi s'il est adopté tel quel par l'Assemblée nationale.

«Il poursuivra! Je n'ai pas de problème avec ça, s'impatiente le recteur Guy Breton. Un juge tranchera. C'est assez. Moi, je veux protéger mes étudiantes. Il y a des limites. On va allumer des lampions pour que ce soit réglé rapidement.»

De son côté, Hélène Laforest est rassurée de voir que tous s'entendent pour, du moins, faire bouger les choses en matière d'inconduites sexuelles à son ancienne université. «Il est trop tard pour moi, mais pas pour d'autres.»

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