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« Hurlevents » : Fanny Britt écrit l’amour total, cruel et vengeur

Entrevue avec Fanny Britt.
Crédit : Julie Artacho

En 1847, Emily Brontë faisait scandale en publiant Les Hauts de Hurlevent, une histoire d'amour cruelle, aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands romans du 19e siècle. Quelque 180 ans plus tard, la dramaturge québécoise Fanny Britt s'en est inspiré librement pour créer une comédie dramatique urbaine, dans laquelle les enjeux de certains Milléniaux font échos aux personnages de l'ère victorienne.

Pourquoi avais-tu délaissé la création théâtrale depuis la pièce Bienveillance, en 2012?

Ce n'était pas si volontaire que ça. La sortie du livre Jane, le renard et moi a eu un impact assez fort dans ma vie. J'ai voyagé pas mal avec lui. Et la même année, j'ai écrit l'essai Les Tranchées, qui m'a donné envie d'écrire le roman Les maisons. La littérature demande un investissement différent de la dramaturgie. Je ne le savais pas. Quand on fait une pièce, c'est quelque chose d'éphémère et de circonscrit dans le temps : on rencontre le public pendant environ un mois. Mais dans le cas d'un roman comme Les maisons, qui est sorti à l'automne 2015, j'ai encore des activités liées à lui cette année. Ceci dit, je n'ai pas entièrement délaissé le théâtre. J'ai continué à traduire des œuvres et j'ai participé à la création collective Cinq à Sept.

Ta pièce Hurlevents s'inspire de l'oeuvre d'Emily Brontë. Comment l'auteure est-elle entrée dans ta vie?

J'ai lu tous les livres des sœurs Brontë à l'adolescence. Étrangement, le livre Les Hauts des Hurlevents, d'Emily, était celui que j'aimais le moins. Plus jeune, j'avais un rapport à moi-même tellement hargneux et autocritique que j'étais rebutée par les grandes histoires d'amour réciproques. Je préférais celles où un personnage aime en silence et n'ose pas avouer ses sentiments avant 300 pages. Les histoires d'amour fusionnel me faisaient peur. Je me sentais exclue de ça. Mais en relisant le roman, au début de la trentaine, j'ai découvert autre chose. Je comprenais le discours sur la dépossession et la vengeance amoureuse.

À l'époque de sa publication, le roman avait choqué bien des gens. Tu comprends pourquoi?

D'abord, les amours entre Catherine et Heathcliff étaient dépeintes avec beaucoup de fougue et une certaine violence. C'était inacceptable de la part d'une femme auteure. Qui d'autre qu'une dépravée ou une diablesse pouvait écrire des trucs pareils? En plus, ce n'est pas la vertu qui triomphe à la fin, mais la colère et la vengeance. C'est très sombre, presque amoral. C'est un roman fataliste.

Comment les personnages du roman font-ils échos à ceux de ta pièce?

C'est plutôt subtil. Au départ, je faisais des liens directs, mais j'ai réalisé que ce n'était pas nécessaire. J'avais peur de trop m'éloigner de l'œuvre originale et que les gens soient déçus, s'ils attendaient une adaptation du roman. Le metteur en scène, Claude Poissant, m'a libéré de cette idée en me disant qu'il voulait une histoire qui nous happe et des personnages habités par la même ferveur que ceux du roman. Au fond, tous les personnages sont à un moment ou à un autre Heathcliff ou Catherine, et la narration change de courroie. C'est fluide. Je voulais explorer l'idée qu'on porte tous en nous la violence du rejeté, celle du rejeteur et la perversité de l'observateur.

Crédit : Julie Artacho

Comment décrirais-tu Émilie, le personnage au cœur de ta pièce?

C'est une jeune femme passionnée par la littérature victorienne. Elle est sur le point de partir en Écosse pour faire une maîtrise. Pendant un bon moment, les spectateurs auront l'impression qu'elle est observatrice des autres, jusqu'à ce qu'ils réalisent qu'elle est le mastermind de la vengeance et une amoureuse éplorée. Elle incarne Heathcliff plus que personne d'autre, tout en étant la plus discrète. Avec elle, j'évoque évidemment Emily Brontë qui, apparemment, n'aurait rien vécu en termes amoureux. Pourtant, elle écrivait le désir charnel davantage que ses sœurs. C'est très intrigant. Ça démontre que la violence amoureuse est souvent celle qu'on se construit. Ce que notre esprit est capable de projeter peut être très dangereux.

Un souper d'amis est organisé la veille du départ d'Émilie. Comment les choses vont-elles dégénérer?

Comme il y a une tempête de pluie et de vent dehors, ils sont confinés dans l'appartement. Ils apprennent alors que la porte du bureau d'un professeur, accusé d'agression sexuelle, a été vandalisée. Et ils comprennent que la professeure invitée au souper a commis le geste de vandalisme. En plus, parmi les jeunes présents, on retrouve une jeune fille qui a eu une aventure avec le prof accusé. Il y a donc une confrontation entre elles : la prof de la génération X, une féministe de deuxième vague, qui voit là un abus de pouvoir du professeur, dans une situation où l'étudiante n'est pas apte à donner son consentement, et la jeune maîtresse qui voit les choses autrement. On explore la frontière fragile entre l'amour et le pouvoir. Tout va s'envenimer. D'autant plus que la sœur d'Émilie, Catherine, débarque en portant un drame personnel qui va influencer l'état d'Émilie et la faire tilter.

Retrouve-t-on la cruauté du roman dans ta pièce?

Ils s'affrontent de manière plus intellectuelle. Ils débattent beaucoup, mais ils sont cruels sans le vouloir, avec leur cynisme et leur sarcasme.

Quels liens peut-on faire entre les jeunes de l'époque victorienne et les Milléniaux?

Le regard des autres est très fort. Quand on analyse les jeunes du roman, on voit que Catherine est incapable de rentrer dans le cadre. Elle en souffre et finit par en mourir. Et lorsque je regarde les Milléniaux, qui sont plus jeunes que moi, je suis impressionnée par leur volonté à vivre le plus librement possible. Ils ont une espèce d'assurance, qui n'est pas nécessairement de l'arrogance, dans la valeur de leur prise de parole. Il y a chez eux quelque chose de très vif, quitte à faire des erreurs. Mon personnage, Édouard, s'exprime beaucoup sur les réseaux sociaux, en écrivant des statuts et en les corrigeant parfois, avec cette capacité de s'affirmer rapidement et de se récuser au besoin. Ça me fascine.

Quels projets as-tu devant toi?

Ma traduction de la pièce Closer sera jouée au Théâtre Périscope, à Québec, du 6 au 22 février. En avril, ma traduction du roman Be ready for the lightning, de Grace O'Connell, va sortir chez Boréal sous le nom de Foudroyer. Pour le reste, je débute une année d'écriture pour un nouveau roman et peut-être un nouveau projet avec Isabelle Arsenault.

La pièce « Hurlevents » sera présentée au Théâtre Denise-Pelletier du 31 janvier au 24 février 2018. Cliquez ici pour plus de détails

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