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«Deuxième chance» : comment changer des vies

« On tombe constamment en amour! »
Radio-Canada

Avant que la première saison de Deuxième chance n'entre en ondes, l'année dernière, l'équipe de production avait reçu une centaine d'inscriptions. Des appels à tous avaient dû être lancés afin de trouver des participants et des histoires intéressantes à transposer à l'écran.

Pour les nouveaux épisodes, qui commencent samedi le 13 janvier à Radio-Canada, ç'a été complètement différent. 600 candidatures ont été reçues par la mini-troupe (d'une vingtaine de personnes au maximum, incluant deux recherchistes et quatre réalisateurs, trois caméramans et deux preneurs de son en alternance) qui orchestre l'ambitieuse entreprise qu'est Deuxième chance. Des demandes et des propositions continuent d'affluer via le site web de l'émission et dans les boîtes courriel des animateurs, Marina Orsini et Patrick Lagacé.

«La première année, étant donné que l'émission n'était pas connue, on est allé chercher des gens nous-mêmes, raconte Manuelle Légaré, productrice au contenu. Un appel à tous avait commencé à rouler en février, mais les tournages débutaient en mars. Cette fois, ce sont 100% des gens qui nous ont soumis leur histoire, on n'a pas eu besoin de faire d'appel à tous. Et on reçoit tout le temps de nouvelles inscriptions. Le site n'est jamais fermé, parce qu'une meilleure histoire peut toujours battre la précédente. On tombe constamment en amour!»

«Comme groupe, on est plus efficace qu'à la première saison, opine Patrick Lagacé. On avait un plus grand éventail d'histoires dans lequel on pouvait choisir. On est meilleurs pour faire les recherches, on est meilleurs pour faire le montage, pour la réalisation, pour les questions, parce qu'on a déjà une année derrière la cravate.»

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Montrer les recherches

Marina Orsini, admirative, le répète à plusieurs reprises en cours d'entrevue : Manuelle Légaré est le «cerveau» de Deuxième chance. Sans elle et sa garde rapprochée hors caméra, il ne pourrait se dérouler d'aussi élaborées épopées humaines sous nos yeux humides de téléspectateurs touchés par ces récits de vie qui, grâce à cette version québécoise du concept britannique The Gift, se soldent par des retrouvailles, des «mercis», des «pardonne-moi» et des «je t'aime».

C'est d'ailleurs la BBC qui a proposé aux boîtes Zone 3 et A Média d'adapter The Gift dans une mouture taillée pour le Québec, après que ces dernières boîtes eurent réussi une habile transposition de son format original Who Do You Think You Are?, titrée ici Qui êtes-vous?, à laquelle Marina Orsini avait d'ailleurs pris part pour remonter à ses racines.

D'ailleurs, en cette deuxième année de Deuxième chance, le public assistera davantage aux démarches effectuées dans les coulisses pour arriver aux résultats émouvants qu'on connaît.

«On pourrait penser que Marina et Patrick ne font qu'un coup de téléphone et trouvent automatiquement, mais cette année, on en montre juste assez pour que les gens comprennent qu'il y a toute une équipe en arrière de ça. Certaines recherches ont pris jusqu'à huit mois», s'emballe Marina Orsini.

«On va montrer davantage les étapes-clés, les culs-de-sac qu'on a rencontrés, les murs qu'on a frappés, énumère Manuelle Légaré. On a voulu montrer la réalité, les difficultés des recherches.»

L'histoire de Louis-Philippe

La nouvelle mouture de Deuxième chance s'amorce ce soir sur une note aussi impressionnante que bouleversante, avec une seule recherche qui, exceptionnellement, occupera l'heure entière.

Louis-Philippe, 25 ans, est né en Colombie et a été adopté par des Québécois à sa naissance. Il y a quelques années, ses trois sœurs biologiques, qui s'étaient d'abord retrouvées par la magie du web, l'ont cherché, puis trouvé sur Facebook. Puis, à distance, sans jamais s'être vue en chair et en os, la fratrie s'est mise sur la trace de sa mère biologique.

Déjà, le défi était énorme. Mais lorsqu'on y ajoute les embûches liées aux barrières de la langue et de la géographie, la tâche devient carrément titanesque. Car les frangines de Louis-Philippe, qui ne parlent pas français et dont seulement deux maîtrisent l'anglais, habitaient respectivement en Suède, en Norvège et aux Pays-Bas. Et le quatuor espérait rejoindre sa maman à Bogota, en Colombie.

Ainsi, au total, retracer et construire l'arbre familial de Louis-Philippe pour la télévision a nécessité six mois de labeur dans cinq pays, sur trois continents. Une première rencontre avec le garçon avait été organisée par l'équipe de Deuxième chance en mars dernier, et les enregistrements de sa grande mission ont été entamés en juin.

Lors de la captation de la scène finale, qui vous mettra à coup sûr la larme à l'œil, une vingtaine de personnes étaient présentes, incluant des traducteurs et des psychologues hollandais, espagnols, anglais et norvégiens.

«Ç'a été un défi de logistique, précise Manuelle Légaré. Il fallait mettre les sœurs de Louis-Philippe dans le coup. C'était une question de coordination dans les vols, lors de l'arrivée de tout le monde. Il fallait s'assurer que Louis-Philippe ne croise pas ses sœurs à l'hôtel avant...»

Une expérience qui n'est pas sans rappeler celle du journaliste Pascal Robidas, qui avait renoué avec sa mère naturelle grâce à Deuxième chance l'an dernier. C'est alors Patrick Lagacé qui avait été le visage officiel de l'enquête, et c'est aussi lui qui guide les téléspectateurs dans les investigations de Louis-Philippe.

«On s'était dit qu'on ne referait pas d'histoire d'adoption, car c'est important, avec Deuxième chance, de ne pas nous répéter, relève Manuelle Légaré. Mais, quand cette histoire nous est arrivée entre les mains, qu'un «petit gars» de 25 ans nous a dit que ses trois sœurs biologiques l'avaient retrouvé depuis trois pays différents d'Europe, on s'est dit qu'il fallait au moins lui parler.»

Porteurs d'émotion

Parmi les autres histoires réécrites par Deuxième chance cette année, on découvrira celle de Jean-Claude, 92 ans, qui souhaite retracer son grand amour de jeunesse ; celle de Stéphane, qui aspire à retrouver le papa d'un petit camarade décédé lorsqu'il était enfant ; celle d'une «intimidatrice» qui tient à se faire pardonner du souffre-douleur qu'elle accablait jadis ; celle d'un camionneur qui a naguère heurté un piéton et espère expliquer sa version des faits à la famille du blessé, et celle d'un accident d'hydravion qui a laissé de graves conséquences. Patrick Lagacé se rendra en Suède pour jaser avec des femmes ayant aidé un homme né en Algérie et maintenant installé au Québec lors d'un transit en cours d'immigration, et Marina Orsini posera le pied à l'endroit d'un tremblement de terre au Mexique.

Patrick et Marina se partagent les récits, mais aucune règle préétablie n'indique que telle histoire ne sera racontée par l'un ou par l'autre.

«Au départ, il faut que les histoires puissent convenir à l'un ou l'autre des animateurs, détaille Manuelle Légaré. Jamais on ne va aborder une histoire en se disant qu'il faut absolument que ça soit Patrick ou Marina qui la traite. La réponse plate, c'est que c'est souvent l'horaire qui détermine qui fait quoi. Les deux peuvent porter les histoires.»

«Quand ça arrive à nous, ç'a été bien pensé et réfléchi, c'est naturel, expose Marina Orsini. En bout de ligne, ce n'est pas nous, les vedettes de cette émission-là. Nous, on est là pour accompagner et présenter ça au public après l'avoir vécu. On est au service des gens. C'est l'histoire qui prime.»

Étant justement à la disposition des sujets, des participants et du public de Deuxième chance, Marina Orsini et Patrick Lagacé doivent souvent freiner leur propre émotion dans les moments où culminent les fouilles et les recherches, lorsque ces face-à-face tellement espérés et attendus se produisent.

«Il ne faut jamais vivre l'émotion que le téléspectateur va vivre, soutient Marina Orsini. Ça, il faut y penser. Patrick et moi, on ne peut pas se mettre à brailler comme des fous. Ça tomberait dans le pathos, et on ne veut pas ça. Nous, on est là pour porter.»

«Souvent, les gens nous disent qu'ils ont besoin de leur boîte de mouchoirs en regardant Deuxième chance. Mais ils ne voient pas la moitié des scènes très émotives. On doit souvent arrêter de tourner...», nuance Manuelle Légaré.

«On voit souvent les caméramans s'essuyer les yeux, des épaules qui tressautent. Et ça crée des liens dans notre équipe, aussi. On est tellement proches, parce qu'on vit des affaires tellement intenses!», s'enflamme Marina Orsini.

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Soutien psychologique

Parce qu'elle est, de fait, souvent tellement prenante et chavirante, tous ceux et celles qui vivent l'expérience Deuxième chance ont accès à un support psychologique, assuré par la production.

«Tous les participants ont à leur disposition un service de thérapie, pour les préparer, si on sent qu'ils vont en avoir besoin, informe Patrick Lagacé. Certains cas ne sont pas extrêmement confrontant, mais quand tu cherches ta mère biologique dans un autre pays, une autre culture, tu te retrouves face à toutes les questions fondamentales qui définissent l'être humain : qui suis-je, d'où viens-je, etc. Parfois, on imagine des versions idéalisées, dans nos têtes, et on ne veut pas causer de choc. Oui, on veut faire des reportages qui vont tenir les gens en haleine, mais on ne veut traumatiser personne.»

«C'est épeurant, parce que tu ne sais pas ce que tu vas trouver, abonde Manuelle Légaré. Nous, l'un de nos critères, c'est que l'expérience doit être positive pour les participants. Si on sent que ça va les amener vers un état négatif, que ça va les rendre malheureux, on laisse tomber. Il y a des accompagnements psychologiques avant, pendant et après le tournage. Quand quelqu'un nous demande de retrouver sa mère, on est assez sûrs de la trouver, on commence à avoir de l'expérience, mais on ne sait pas ce qu'on va trouver, dans quel état. Ça peut être très bouleversant.»

Le «gros bon sens»

Forts du bagage acquis au cours des 14 tranches de Qui êtes-vous? et des 10 premiers épisodes de Deuxième chance – il y en aura deux de plus en 2018 -, les artisans de Deuxième chance ont accès à plusieurs outils méconnus de la population pour matérialiser leurs trouvailles.

Or, tout part de cette notion parfois négligée qu'est le «gros bon sens», remarque Marina Orsini. Par exemple, des trésors sont souvent dénichés aux Archives nationales ou dans les Pages Jaunes.

«On a accès à des anciens bottins de téléphone, ricane Manuelle Légaré. Parfois, on pense que ça ne sert à rien, mais un ancien bottin de 1984, c'est de l'or (rires). Dans les archives personnelles, on dit vraiment aux gens d'écrémer tout ce qu'ils ont. Parfois, ils nous arrivent avec de vieilles photos qui ont l'air anodines, mais qui contiennent des détails importants.»

«Maintenant que les gens connaissent Deuxième chance, quand on appelle au Bureau du coroner, quand on contacte des policiers, des commissions scolaires, des entreprises, et qu'on leur demande de fouiller dans leurs dossiers pour nous, les gens sont enclins à collaborer. On ne veut pas faire d'appels à tous, tout le temps, parce qu'on veut garder notre expertise et contrôler notre information, mais les gens nous aident vraiment beaucoup. Chaque histoire va demander un mode de recherche différent. Mais on ne lâche pas le morceau. Et on ne fait que des démarches légales, qui peuvent être montrées à l'écran, où les gens sont au courant que c'est public», complète la productrice.

«On ne peut pas contourner les lois, ajoute Marina Orsini. On n'a pas de privilèges. On est considérés comme des journalistes.»

L'aiguille et la botte de foin

Les spécialistes de Deuxième chance peuvent même conclure des cas en ne connaissant, à la base, que la date d'un événement. Comment trouver l'aiguille dans la botte de foin quand on ne sait ni les noms des acteurs dudit événement, ni le lieu exact où il ne s'est produit ni «l'avant», ni «l'après»? On aura un échantillon de ce genre de montagne à gravir, cette année, avec ce portrait d'un homme désireux de trouver un citoyen les ayant assistés, son épouse et lui, en attendant l'ambulance, au moment d'un grave accident de voiture, survenu le 12 juin 2004.

«On est vraiment partis de loin, révèle Manuelle Légaré. On a même fait un appel à tous à la radio, parce que la Sûreté du Québec ne pouvait pas nous aider. Le Bureau du coroner ne pouvait pas nous aider. L'homme n'avait plus rien dans ses archives personnelles. Les ambulanciers ne pouvaient pas nous aider. Dans ces cas-là, les médias sociaux ne servent à rien, quand tu n'as même pas de nom!»

«Avec son expérience, l'équipe trouve des gens en deux, trois ou quatre téléphones, alors que certaines personnes cherchent depuis huit, dix ou douze ans, renchérit Marina Orsini. En cette ère de communication, de réseaux sociaux, de Facebook, on pense qu'on écrit trois mots et qu'on trouve n'importe qui. Mais ce n'est pas vrai. On l'a souvent vu dans l'émission, et c'est encore le cas cette année. Les Pages Jaunes, le bottin téléphonique, les Archives nationales... On revient à la base, malgré cette ère de communication à laquelle on pense qu'on a tellement accès. Ce n'est pas tout le monde qui est sur Facebook, et on n'a pas accès à toutes les informations en claquant des doigts.»

Pour réussir certaines approches et les conduire avec doigté, les «Columbos» de Deuxième chance envoient parfois même des lettres manuscrites, par la poste. Un tel soin est nécessaire, par exemple, lorsqu'on contacte des parents dont la fille s'est enlevé la vie il y a plusieurs années. Confrontée à cette réalité dans le cadre de l'émission, Marina Orsini dit avoir pleuré des torrents de larmes dans sa voiture avant d'aller échanger avec ces êtres ébranlés par le drame.

«Ça prend de l'amour, du courage, de l'ouverture. Les gens nous font tellement confiance. C'est un privilège», reconnaît la comédienne et animatrice.

Choix déchirants

Cet hiver, Deuxième chance proposera 23 situations, ayant abouti ou pas. Pour parvenir à ce nombre, 75 propositions ont été considérées et entamées. Plusieurs raisons expliquent que certaines «affaires» soient écartées de l'émission. Par exemple, si des recherches se dénouent trop rapidement et trop facilement, il n'y a pas de quoi faire une bonne émission de télé. Ou alors, des gens peuvent refuser d'apparaître à la caméra. Parfois, l'équipe publie des bribes d'histoires rejetées, mais néanmoins intéressantes, sur le site web ou les réseaux sociaux de Deuxième chance. Mais, la bonne nouvelle, c'est que des individus jusque-là séparés ont quand même été réunis grâce à la bande futée de Deuxième chance, sous les projecteurs ou pas.

«On dit aux gens de faire des étapes de recherche avant de faire appel à nous, et finalement, ils se retrouvent, dépeint Manuelle Légaré. Il y a eu plein, plein de raisons qui ont fait en sorte qu'on a travaillé sur beaucoup d'histoires qui n'ont pas été en ondes, qui n'iront jamais, mais dont les gens ont été réunis hors des ondes, au cours de notre travail.. Il faut que la complexité de l'histoire soit présente, et si en un coup de téléphone, on retrouve la personne, on n'ira pas de l'avant. Mais l'histoire est super bonne quand même, et c'est parfois décevant, car, si on travaille sur une histoire, c'est parce qu'on la trouve assez forte pour aller à la télé.»

Bien plus que des détails

À n'en pas douter, Marina Orsini, Patrick Lagacé et le petit bataillon de Deuxième chance changent des vies, depuis un peu plus d'un an. Mais leur vie, à eux, a changé de quelle façon depuis la diffusion de ce rendez-vous hebdomadaire?

«Beaucoup de gens se sont étonnés que je fasse une émission comme ça, humain, disons, observe Patrick Lagacé. Mais, en même temps, si tu lis la chronique que je fais dans La Presse, il y a souvent des histoires humaines, qui vont dans toutes les directions. Oui, je fais des coups de gueule et de l'opinion, mais souvent, je raconte des trucs, qui ne sont pas tant que ça dans l'opinion.»

«Ç'a intensifié mon lien avec le public, relate Marina Orsini. Cette proximité avec le monde est encore plus grande. Moi, j'ai le privilège de l'avoir tous les matins dans mon émission (qui porte son nom, à Radio-Canada, NDLR), avec les gens en studio. Mais, avec Deuxième chance, c'est à un niveau encore plus grand. Ce n'est plus juste du service. On est dans le cœur, dans la vie des gens, dans leur maison, dans leur vie intime, personnelle. C'est comme si je parlais à ma tante, ma sœur, ma chum, ma voisine. C'est encore plus intense, ce lien-là.»

«On a changé des vies, décrète Patrick Lagacé. Nous, on peut être détachés de ces cas-là, mais

quand tu veux remercier la personne qui t'a sauvé la vie en plein tsunami, quand tu veux retrouver la personne qui a stoppé une agression dont tu étais victime, ce ne sont pas des choses légères. Ce ne sont pas des détails, dans une existence.»

Deuxième chance, le samedi, à 20h, à Radio-Canada. Dès ce soir, le 13 janvier.

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