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Alexandre Taillefer plus proche de la politique que du rachat du Groupe Juste Pour Rire

L'homme d'affaires n'est pas à court de projets.
Courtoisie

Dans une entrevue entourant la sortie de son livre Lettres à une jeune entrepreneure, l'homme d'affaires Alexandre Taillefer a pris un instant pour parcourir son passé et se projeter dans l'avenir, en expliquant que les chances qu'il rachète le Groupe Juste Pour sont extrêmement minces.

Dans le livre, vous expliquez que vous avez déjà tenté d'être admis à l'École nationale de l'humour et que l'humour fait partie intrinsèque de votre personnalité. Récemment, vous avez parlé ouvertement de votre intérêt pour le Groupe Juste Pour Rire. Où en êtes-vous dans votre réflexion avec la venue du Festival du rire de Montréal et le fait que la marque JPR est entachée?

Au cours des derniers jours, j'ai reçu un grand nombre de courriels de gens qui me disaient que ce serait vu de façon très négative d'acheter ces actifs et de mettre de l'argent dans les poches de Gilbert Rozon. Ça fait réfléchir beaucoup de monde et je les entends. On a de l'intérêt pour le secteur de l'humour : on est partenaire avec La Tribu, qui gère la carrière de plusieurs humoristes, et c'est un secteur qu'on veut continuer de développer. Mais probablement pas en rachetant le Groupe JPR. Son capital négatif est tellement fort que ça va être très difficile de pouvoir faire une transaction pour un actif comme ça. Puisqu'on est partenaire avec eux dans certaines propriétés, comme le RockFest et le Marché de Noël sur la Place des festivals, on va racheter ce qu'on codétenait avec eux et régler ces dossiers-là.

En survolant votre jeunesse, vous dites que vous passiez plus de temps au local du journal étudiant de Brébeuf que dans vos classes. Est-ce que le fait de posséder le Voir et l'Actualité est une façon de vivre votre amour du journalisme, par la bande ?

J'ai toujours aimé les médias et je fais des choses qui me passionnent. Ceci dit, je suis amoureux de culture et du Québec, et je pense qu'on vit en ce moment une époque dramatique en ce qui concerne notre autonomie démocratique, économique et culturelle. Il y a une hégémonie économique, qui est en train de s'implanter par certains joueurs internationaux, dont on peine encore à mesurer l'impact. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et Netflix de ce monde ont créé des monopoles comme on n'en a jamais vus dans le passé. Je pense que les autorités américaines vont s'y attaquer, mais on a aussi l'obligation de les garder à l'oeil. En investissant dans les médias, je vois là une opportunité d'affaires, parce que je n'investis pas dans des causes philanthropiques. Mais je travaille aussi à repositionner la présence des médias.

On apprend que vous avez été refusé au HEC et que vous n'avez pas de diplôme universitaire. Le 6 décembre prochain, vous recevrez un doctorat honoris causae en sciences de la gestion de l'UQAM. Voyez-vous ça comme une revanche sur le destin?

Je suis fier qu'on me donne cet honneur, mais il faut mettre les choses en perspectives. Il me manquait quatre cours pour obtenir un bac. Pour moi, ça n'a pas été un élément primordial. Quand me suis lancé en affaires, j'ai eu la chance de connaître du succès. Si ça n'avait pas été le cas, peut-être que je serais retourné sur les bancs d'école pour terminer mon bac.

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Vous avez vendu des CD-ROM, participé au défrichage d'Internet et conçu des applications mobiles à partir de 2001. Vous considérez-vous encore comme un précurseur, maintenant que vous vous attaquez à de vieilles industries comme celles du taxi et des médias?

Dans tous les domaines, c'est une qualité des entrepreneurs d'avoir la capacité de lire un peu à l'avance où les marchés s'en vont. Par exemple, la mobilité intelligente, personne n'en parlait quand on s'est lancé dans le taxi y a trois ans. Aujourd'hui, c'est le leitmotiv de toutes villes qui réfléchissent à comment se débarrasser de l'auto en solo. Et puis, je pense qu'on va assister à un retour en force des médias. Facebook et Google vont être attaqués et il y aura une résurgence des médias locaux. Les détaillants vont réaliser que cet écosystème requiert leur intervention et que d'acheter de la publicité dans médias locaux est fondamental dans la survie de notre société, tant culturelle qu'économique.

Selon vous, l'un des traits qu'ont en commun la plupart des entrepreneurs, c'est une confiance débordante en leurs capacités. Pourtant, la confiance est souvent mal vue au Québec...

Je pense qu'on a de plus en plus confiance en nos moyens. On a de bonne idées, on pense qu'on a tout ce qu'il faut pour y arriver, mais on a souvent tendance à vendre nos entreprises trop tôt, à ne pas mener certains projets à terme, et on a peur d'aller jusqu'au bout, quand une décision engendre des risques. Je pense qu'il faut se donner l'objectif d'être plus ambitieux.

Vous dites aussi qu'il faut être conscient de ses faiblesses en tant qu'entrepreneur. Quelles sont les vôtres ?

J'en ai plusieurs. J'ai beaucoup d'idées et je trouve ça très difficile de les canaliser. Je le fais beaucoup mieux que précédemment, mais il faut comprendre qu'une organisation ne peut pas changer d'orientations chaque semaine. Aujourd'hui, je ne suis peut-être pas le meilleur motivateur avec mes équipes, parce que je suis un gars qui a beaucoup d'idées seul. Je travaille très fort sur ce biais-là et j'essaie de fédérer les gens autour de mes idées et de les partager pour qu'ils deviennent des porteurs de ballons. Ce n'est pas vrai que quelqu'un peut porter sept ou dix projets de front.

Avez-vous l'impression de déranger en exprimant vos opinions sur la place publique?

Je ne sais pas si les gens trouvent ça nécessairement négatif, mais certaines personnes voient les gens d'affaires comme des personnes qui ne devraient pas s'exprimer sur les enjeux sociaux. Je pense que c'est une grande erreur. Tout le monde qui est capable de mettre de l'avant des idées et des solutions devrait pouvoir essayer de faire quelque chose pour améliorer la situation. Si on pense que les gens d'affaires ne sont pas capables de trouver des solutions sociétales, c'est souvent parce qu'ils prennent des décisions sur des bases trimestrielles ou annuelles, alors que les enjeux sociétaux doivent être pris en considération sur une durée de 20 ou 25 ans. Plusieurs gens d'affaires en sont capables.

Que répondez-vous à ceux qui sentent que vous mettez en place une éventuelle carrière en politique?

C'est un sujet qui m'intéresse, c'est sûr, mais si je me lance dans une carrière politique un jour, ce qui n'est pas sur la table encore, ce sera pour faire quelque chose de très différent. Il y a des enjeux fondamentaux dans notre société auxquels ont doit s'attaquer, comme l'éducation et l'égalité chez les enfants de 0 à 12 ans. Quand quelqu'un naît dans Hochelaga-Maisonneuve, ce n'est pas normal qu'il ait deux ou trois moins de chances, par exemple, de devenir journaliste dans un grand média que quelqu'un né à Westmount. C'est un enjeu fondamental. Et on doit également revoir notre façon d'exercer la démocratie, le système de représentation ou les règles sur qui peut devenir ministres. Ce sont des questions importantes. Et je pense que les gens sont mûrs pour réfléchir en profondeur par rapport à ça.

Pourquoi avoir dédié votre livre aux entrepreneures, alors qu'il s'adresse aux femmes et aux hommes?

D'abord, parce qu'il ne me reste qu'une fille, alors je l'ai naturellement dédié à Daphnée. Et aujourd'hui, quand on regarde la place de la femme au travail et en entrepreneuriat, en considérant le déficit démographique vers lequel le Québec est en train de s'enligner, on a un devoir de prendre tous les moyens pour s'assurer que les femmes jouent un rôle plus important dans le développement économique. Je savais que le titre allait peut-être affecter les ventes de façon négative, mais le genre masculin l'emporte sur le féminin habituellement, et on a un devoir aujourd'hui de remettre ça aussi en question. Ce livre s'adresse aussi bien aux hommes qu'aux femmes, dans tous les chapitres, même le dernier qui met plus l'accent sur le rôle de la femme. À titre d'homme, on a un devoir de se reprogrammer et d'évaluer comment on va refaire nos conceptions, nos habitudes et nos façons de penser.

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