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«Enfin, on va croire les filles!» - Janette Bertrand

Janette Bertrand se réjouit du mouvement #MoiAussi.
THE CANADIAN PRESS

Janette Bertrand se réjouit du mouvement #MoiAussi. Celle qui a jadis «déniaisé» le Québec, comme plusieurs se plaisent à le dire, perçoit un véritable changement dans la société depuis les récentes dénonciations d'inconduites sexuelles qui font maintenant trembler des milieux qu'on croyait intouchables.

«Je ne peux pas m'empêcher d'être contente. Enfin, on va croire les filles!», s'est enflammée Madame Bertrand en entrevue, dans le sillage de la sortie de son nouveau roman, Avec un grand A, en vente depuis la semaine dernière.

«Il faut continuer à dénoncer. Il faut que les femmes se servent de la solidarité des gars. C'est-à-dire, qu'elles soient solidaires comme eux, pour dire : on dénonce toute la gang, on va dénoncer sur les réseaux sociaux, et ils vont nous croire, parce qu'on est nombreuses!»

Les comportements déplacés, Janette Bertrand connaît. Et elle en sait beaucoup, également, sur le silence malsain imposé par les agresseurs, dans lequel s'emmurent souvent les victimes, et sur les conséquences négatives que peuvent entraîner les événements eux-mêmes, mais aussi leur révélation au grand jour. Elle sait mieux que quiconque pourquoi, souvent, les victimes préfèrent se taire.

«Moi, j'ai été harcelée beaucoup, beaucoup, beaucoup, a relaté la dame. J'avais développé mes méthodes pour me déprendre de ça. Vers 13 ou 14 ans, quand j'ai dit à ma mère qu'il y avait un monsieur qui me prenait les seins, que c'était le mari de sa meilleure amie, après, elle a passé son temps à me dire : «Je n'ai plus d'amie de femme, je n'ai plus personne». Alors, je me demandais à quoi ça servait.»

«Quand j'avais, peut-être, 20 ans, j'ai été harcelée par un monsieur et je ne l'ai dit à personne. Je m'en suis sortie en lui disant : «Je vais le dire à votre fille». C'est une arme que j'avais trouvée, de dire : «Je vais le dire à ta sœur... à ton père... à ton patron». Je n'aime pas menacer, mais il n'y avait pas d'autre façon. 20 ans après, j'étais sur le quai avec mon père et je lui ai dit que son ami m'avait harcelée ; il ne m'a pas crue. Il m'a dit : «Tu inventes, ça ne se peut pas, c'est un trop bon diable pour ça!» Il ne me croyait pas.»

«Après, on se dit qu'on ne va pas dire ça à la police. Qu'est-ce que la police, qui est la plupart du temps un homme, va penser? Va-t-il nous regarder, mesurer la hauteur de notre jupe? Va-t-il dire, si elle est habillée comme ça, si elle porte du rouge à lèvres, qu'elle a fait exprès? À l'époque, il ne fallait pas parler. Les filles, on a appris ça très vite : quand on accuse quelqu'un de nous avoir harcelée, presque violée, l'avocat de l'autre personne va essayer par tous les moyens de nous faire dire que ce n'était pas le premier, qu'on est une fille qui prend un coup. Pourtant, qui peut prouver qu'il n'a jamais pris un coup un soir dans un bar?»

Ces incidents, Janette Bertrand jure ne pas les avoir subis dans les coulisses de la télévision ni ailleurs dans son industrie.

«Les trois harcèlements que j'ai en tête et dont je te parle, j'étais plus jeune, ce n'était pas du tout des gens du métier. Je n'ai jamais vraiment été harcelé par les gens du métier. C'étaient des gens ailleurs, qui avaient du pouvoir. Parce que c'est un acte de pouvoir. Aux débuts de la télévision, on était tous à égalité. Moi, je ne crois pas qu'il y a plus d'agressions dans le milieu des artistes. Là où il y a du pouvoir, il y a de l'abus de pouvoir. L'attrait du pouvoir, c'est encore plus fort que la gloire. C'est très grisant.»

Avec un grand A

Janette Bertrand, de son côté, préfère encore et toujours le pouvoir de la communication. Avec son onzième ouvrage – et sixième roman - l'auteure utilise à nouveau un titre qui lui collera à jamais à la peau, Avec un grand A. Comme sa série briseuse de tabous de l'époque où Télé-Québec s'appelait encore Radio-Québec, entre 1986 et 1996.

Sa plume hyperactive, qui nous offre en moyenne un bouquin par année et demi - «J'ai beaucoup de choses à dire, et je ne sais pas si je vais avoir le temps de toutes les dire, alors je me dépêche! (rires)» - nous jase cette fois de bisexualité, à travers l'histoire de Simon, un homme jouissant d'un bonheur tranquille avec sa compagne des 15 dernières années, Ariane, et pourtant pas tout à fait bien dans sa peau au début du récit. La rencontre de Lawrence, alias Larry, un représentant fournisseur de sa boutique d'accessoires de sport, pourrait bien être la réponse à ses questionnements... et lui en apporter d'autres par le fait même.

Pour mener à bien sa nouvelle fiction, Janette Bertrand s'est laissée guider par le processus qui la mène dans tous ses projets : elle a choisi un sujet qu'elle ne comprenait pas parfaitement de prime abord, s'est adonnée à plusieurs mois de recherches et a pondu un univers fictif à partir de ses conclusions. Cette fois, elle a consulté l'auteur, professeur et sociologue de la sexualité, Michel Dorais, pour bien cerner les contours de sa thématique de fond, et s'est imposé un défi supplémentaire en misant sur un protagoniste principal masculin.

«Qu'est-ce qui fait qu'à 40 ans, un homme découvre que des rêves qu'il chassait se concrétisent? Qu'est-ce qui va arriver à la famille? Avec un grand A, c'est l'histoire d'un amour qui fait craquer les maisons, d'un tsunami. Qu'est-ce qu'on fait avec ça?», a hasardé Janette Bertrand.

L'éternelle curieuse a souvent remarqué que les jeunes dans la trentaine à qui elle enseignait jusqu'à tout récemment à l'INIS (Institut national de l'image et du son) étaient fascinés par la bisexualité, sans nécessairement distinguer ce qu'il en est exactement. Elle a aussi été inspirée par ce réflexe naturel chez l'être humain de placer ses semblables dans des cases pour mieux les définir. Ce sont là, a-t-elle expliqué, deux des éléments qui ont motivé sa réflexion.

«On est hétérosexuel ou homosexuel, point. On a oublié qu'entre les deux, selon les circonstances et les périodes, il y a autre chose. On n'est pas que binaire. C'est ce qui titille tant les jeunes, qui les excite. Et, en même temps, ils ne savent pas. Alors, je me suis dit que j'allais écrire la simple histoire d'un gars qui pourrait être notre père, notre frère, notre oncle, qui tombe en amour sérieusement avec un homme. Ce n'est pas une affaire de sexe, c'est une affaire d'amour. Il est prêt à tout lâcher pour un amour comme ça.»

À 92 ans, Janette Bertrand trouve son bonheur dans l'action, comme en fait foi son regard qui s'illumine lorsqu'on la questionne sur ses prochaines envies professionnelles. Elle a déjà d'autres bouquins d'entamés, dont un essai qu'elle coécrit avec Michel Dorais, portant sur l'ignorance sexuelle des jeunes, et qui devrait sortir dans un an.

Pour ceux et celles qui souhaitent la rencontrer et discuter avec elle, elle offrira des séances de dédicaces d'Avec un grand A et de ses autres bouquins au Salon du livre de Montréal, les 17, 18 et 19 novembre, en après-midi.

«J'ai l'impression que je suis trop occupée pour que la mort me trouve. Elle doit se dire que je ne suis pas là. Elle a beau me chercher, elle ne me voit pas, je suis trop occupée! (rires)».

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