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Escapade en Virginie sur la route du country

Un voyage exaltant sur les traces des pionniers du country.
Malik Cocherel

Dans le sud-ouest de la Virginie, une longue route sinueuse de près de 400 kilomètres, la Crooked Road, sillonne les Appalaches, sur les traces des pionniers du country. L'occasion de visiter quelques hauts-lieux de l'histoire de cette musique qui connaît un net regain de popularité au Québec, et même de croiser le fantôme de Johnny Cash, 14 ans après sa mort.

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Inaugurée en 2003, la Crooked Road propose un parcours balisé pour visiter les hauts-lieux de l'histoire du country dans le sud de la Virginie.

Quand on parle de country, on pense souvent à Nashville, un peu moins à Bristol. C'est pourtant dans cette petite bourgade située à quelques 300 kilomètres de Nashville, à la frontière entre la Virginie et le Tennessee, qu'est née officiellement cette musique au cours de l'été 1927, quand des dizaines de musiciens ont posé leurs banjos et violons en ville pour participer aux fameuses Bristol Sessions. À l'initiative de Ralph Peer, le dénicheur de talents de la Victor Talking Machine Company, des artistes payés 10$ la chanson se sont retrouvés dans une vieille manufacture de chapeaux reconvertie en studio d'enregistrement pour produire plus d'une soixantaine de titres en 10 jours. Le légendaire Jimmie Rodgers et la célèbre Carter Family étaient de ces Bristol Sessions considérées comme «l'événement le plus important dans l'histoire du country» par Johnny Cash.

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À cheval entre le Tennessee et la Virginie, la ville de Bristol est coupée en deux par State Street qui marque la frontière entre les deux États.

Un musée, The Birthplace of Country Music Museum, a ouvert ses portes à l'été 2014 pour rappeler le rôle joué par Bristol dans le développement du country. «Avant l'ouverture de ce musée, Bristol était surtout connue pour être une ville de courses Nascar avec le Bristol Motor Speedway, mais maintenant, des gens de partout dans le monde viennent ici pour voir la ville où est né le country», confie l'une des conservatrices du musée, Charlene Baker. Quatre-vingt dix ans après le «big bang» du country, le bâtiment de la la Taylor-Christian Hat Company qui a hébergé les Bristol Sessions a disparu. Mais le Birthplace of Country Music Museum est là pour témoigner de l'importance de ces enregistrements dans l'histoire du country, comme de leur influence sur la musique contemporaine.

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À Bristol, on aime autant le country que les courses de Nascar.

À l'intérieur du musée, les instruments d'époque et autres objets de collection côtoient des bornes interactives qui révèlent comment des rockeurs se sont appropriés des morceaux des Bristol Sessions, à l'image de The Byrds qui a repris Pretty Polly de B.F. Shelton dans les années 60, ou de Nirvana, dont le Where Did you Sleep Last Night? doit beaucoup à la chanson de Tenneva Ramblers, The Longest Train I Ever Saw, enregistrée en 1927 à Bristol. Une station de karaoké permet aussi aux visiteurs de donner de la voix en reprenant quelques-uns des titres qui ont contribué au «big bang» du country, comme Single Girl, Married Girl de la Carter Family.

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Au centre-ville de Bristol, une murale rend hommage aux artistes à l'origine du «big bang» du country en 1927.

Si le country est né à Bristol, d'autres vous diront qu'il a été conçu à Galax. Bien avant les Bristol Sessions, un quatuor surnommé The Hill Billies se réunissait dans un barber shop de la ville pour jouer du Old-Time, la musique folk traditionnelle venue des îles Britanniques considérée comme l'ancêtre du country. Dès 1924, ce groupe de «gars des collines» (le terme de «Hillbillies» a d'abord désigné les habitants des Appalaches, avant d'être élargi pour qualifier de façon péjorative tous les Américains venant des contrées rurales) est parti enregistrer à New York. Depuis, Galax s'est octroyée le titre de «capitale mondiale du Old-Time» et s'accroche fièrement à ses racines. «Ici, on aime le country traditionnel, beaucoup moins le country d'aujourd'hui qu'on célèbre à Nashville», explique Ray Kohl, le directeur du tourisme de Galax. «Quand des artistes viennent jouer avec des instruments électriques au Rex Theatre, les gens se lèvent et quittent la salle. On préfère le Old-Time avec du banjo et du violon, comme on le jouait à l'époque.»

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À Galax, on raconte que le country a été conçu dans un barber shop, où l'on vend aujourd'hui des banjos et autres instruments de musique.

Aujourd'hui, le fameux barber shop sur Main Street a laissé place au Barr's Fiddle Shop, tenu par un artisan local, Tommy Barr, qui vend des violons et autres instruments de musique. Dans l'arrière-boutique, un vieux siège de barbier trône au milieu des banjos et guitares pour rappeler le passé de ce lieu chargé d'histoire. Galax est également connue pour accueillir, chaque été, l'un des plus importants rassemblements de violonistes aux États-Unis, la Old Fiddler's Convention, ainsi que le HoustonFest qui rassemble les meilleurs artistes de la région pour deux jours de concerts de Old-Time et de Bluegrass (une autre variante du country traditionnel qui s'écoute plus qu'il ne se danse).

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Au HoustonFest, la passion pour le country se transmet de génération en génération.

Nichée au cœur des montagnes Blue Ridge, la ville de Floyd est une autre étape incontournable sur la Crooked Road. Les vendredis soirs, de 200 à 300 personnes se retrouvent au Floyd Country Store pour le fameux Friday Night Jamboree. Sur la piste de danse, des enfants âgés d'une dizaine d'années enfilent leurs chaussures à claquette pour guincher au rythme de la musique Old-Time avec leurs parents et grands-parents. «On a beaucoup de gens du coin qui viennent nous voir le vendredi soir comme ils vont à l'église le dimanche matin», commente le propriétaire des lieux, Dylan Locke. «Mais on a aussi des touristes d'un peu partout dans le monde et des étudiants de Virginia Tech.»

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À Floyd, les amateurs de Old-Time se retrouvent au Country Store pour le très populaire Friday Night Jamboree.

À Floyd, quand le temps le permet, les musiciens de Old-Time et de Bluegrass se retrouvent également dans la rue, le long de Locust Street, pour improviser des Music Jams. «La musique fait partie intégrante de la vie des gens de la région. Ils baignent dedans depuis leur naissance», dit Dylan Locke qui estime que le country - tel qu'on le pratique encore dans les Appalaches - a de beaux jours devant lui. «Certains disent que le country est né à Bristol et est mort à Nashville. Mais la Old-Time, comme la musique Bluegrass, est bien vivante. Au Floyd Country Store, on ne cherche pas à préserver cette musique, simplement à la célébrer, parce qu'elle n'est pas en danger.»

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Au Country Store, on porte des chaussures à claquettes pour pratiquer le «flatfoot dancing», la danse traditionnelle des Appalaches.

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La principale artère de Floyd, Locust Street, vibre au rythme des Music Jams

À l'ouest de Bristol, du côté de Hiltons, la Crooked Road conduit au Carter Family Fold. De l'extérieur, l'endroit a tout l'air d'une vieille grange en bois abandonnée au milieu des montagnes. Mais cette salle de concert, qui peut accueillir jusqu'à 850 personnes, est un haut lieu de pèlerinage pour tout fan de country qui se respecte. Érigé au milieu des années 70 pour perpétuer la mémoire de Sara Carter, A.P. Carter et Maybelle Carter, le «Fold» a fait l'objet de plusieurs rénovations en 2004 et 2005.

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Le Carter Family Fold à Hiltons, où Johnny Cash a donné son tout dernier concert en 2003.

Marié à June Carter (l'une des trois filles de Maybelle Carter), Johnny Cash a donné de nombreux concerts dans ce petit coin perdu du sud-ouest de la Virginie, dont son tout dernier show (www.youtube.com/watch?v=fS0zjt45kdo), quelques semaines seulement avant de mourir le 12 septembre 2003. «Il était déjà très malade et fatigué», se souvient la larme à l'œil, Rita Forrester, 62 ans, la petite fille de A.P. et Sara Carter, qui s'occupe désormais du «Fold». «John tenait absolument à faire ce dernier concert. Il était très attaché à cet endroit et à notre famille.»

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La petite fille de A.P. Carter, Rita Forrester, sur la scène du «Fold»

L'esprit de Johnny Cash hante encore les lieux, 14 ans après sa mort. Les photos de la légende sont partout sur les murs du «Fold», où des spectacles de country traditionnel sont organisés le samedi soir. Avant même que l'édifice voit le jour, les musiciens de Bluegrass et Old-Time se retrouvaient déjà, à quelques mètres de là, sur le porche du magasin général tenu par A.P. Carter dans les années 40 et 50. Depuis, l'ancienne boutique a été réaménagée en musée à la gloire de la Carter Family qui a participé aux Bristol Sessions de 1927.

Les artistes qui se produisent chaque fin de semaine au «Fold» se chargent de perpétuer la tradition du country tel que l'avaient conçu A.P., Sara et Maybelle: une musique avant tout familiale et acoustique. Dans cette salle de concert, on ne vend pas d'alcool et les instruments électriques sont strictement prohibés. «Au Fold, on joue de la musique de la même façon qu'on le faisait en 1927, sur le porche des maisons», avait déclaré Johnny Cash en 2000. À Hiltons, comme à Floyd ou Galax, le country, dans sa forme la plus pure, continue de faire vibrer le sud de la Virginie, près d'un siècle après son «big bang».

Les frais de ce voyage ont été payés par la Virginia Tourism Corporation.

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