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Juste pour rire: André Sauvé, l’OSM et les petits moments de grâce

Une judicieuse jonglerie mentale sur la notion de début, sur l’émerveillement et la fébrilité naïfs que génèrent les commencements.
Vivien Gaumand

Le génial André Sauvé était sûrement le plus idéal humoriste à jumeler avec l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) le temps d'un «spectacle d'humour classique».

Samedi, sur les planches de la Maison symphonique, le plus philosophe de nos amuseurs, qui ne déçoit à peu près jamais, a été drôle, touchant, attendrissant, pertinent. Impressionnant. Le terme génial n'est pas trop fort pour décrire cet homme qui fait rire et réfléchir dans à peu près toutes ses phrases. Il l'est toujours mais, rehaussés de la majestuosité des 80 musiciens de l'OSM, ses songes existentiels adoptaient une teinte encore plus universelle.

André Sauvé a toutes les intelligences qu'il faut, rationnelles et émotives, pour être un artiste capable d'atteindre tant le cœur que l'esprit. Samedi, on a rapidement constaté qu'il avait réellement construit son spectacle en symbiose avec l'ensemble qui l'accompagnait. Aucune Symphonie no 7 de Beethoven, aucun Smetana la Moldau n'avait pas sa raison d'être. Le comique en éternelle remise en question s'est véritablement inspiré de l'univers musical dans lequel il campait temporairement, et les instrumentistes ont en retour marché avec lui dans sa douce folie, pour un résultat des plus brillants.

Les airs classiques n'ont pas pris le pas sur l'aspect léger, joyeux de la prestation, mais n'étaient pas qu'accessoires non plus. Un élément nourrissait l'autre, le mettait en lumière, car Sauvé a su user de formidable façon du terrain de jeu qu'on lui offrait, des partenaires d'un jour qui lui étaient prêtés. On imagine sans peine le plaisir qu'ont du connaître les troupes du chef Adam Johnson à sortir de leur créneau pour ces 90 minutes toutes spéciales.

Dès le départ, on a compris qu'on aurait droit à un grand moment d'humour, quand André Sauvé a raconté son lien «clandestin et secret» avec la musique classique, à l'adolescence. Alors que lui rêvait de culture, à l'école, on lui offrait des cours de soudure. «J'avais l'ailleurs ailleurs», a-t-il illustré.

Une judicieuse jonglerie mentale sur la notion de début, sur l'émerveillement et la fébrilité naïfs que génèrent les commencements, qu'il s'agisse d'un lever de soleil ou de la naissance d'un enfant («Pourtant, il n'y a pas personne, ici, qui n'a pas «pas né!»») n'a pas empêché un crochet vers Célibataires et nus en cours de route, qui a beaucoup fait rire la foule.

Hilarants instruments

Pour les plus terre-à-terre, le mariage OSM – André Sauvé a probablement pris tout son sens dans ce formidable numéro, où l'imaginaire sans limites de ce dernier a une fois de plus explosé en détaillant la «personnalité» de quelques-uns des instruments sur scène avec lui. Du grand art.

Quelques exemples? Le glockenspiel, «tu ne le croiseras jamais dans une ruelle à se battre à trois heures du matin». À l'opposé, la timbale, «t'écoeures pas ça». «Une timbale, tu vouvoies ça», a-t-il conseillé. Chez les cuivres, a-t-il expliqué, l'air entre par une petite pipette, se promène dans un labyrinthe de tuyauterie et ressort «par une grosse bouche évasée en quelque part», après «un paquet de détours». «C'est comme les rues de Montréal». Il a ensuite comparé l'hyperactive trompette à la «Guillaume Lemay-Thivierge des instruments à vent». André Sauvé estime par ailleurs qu'un saxophone ne doit jamais rester célibataire longtemps, et que la contrebasse se démarque par sa lenteur. «Il y a beaucoup de contrebasses qui travaillent pour la Ville!»

Toutes les petites histoires de nos «amis» les instruments étaient appuyées d'extraits offerts par les musiciens concernés. À la fin du segment, tous se sont unis. «Quand tout le monde travaille ensemble, c'est ça que ça donne», s'est ému notre hôte.

La quête de soi a été le fondement d'un autre monologue. « Je sais tellement ce que c'est de ne pas savoir (...) J'ai beaucoup pas su», a révélé André Sauvé. Plus jeune, il espérait devenir médecin et aller sauver l'Afrique. «Quand j'ai eu mes premiers cours de chimie, je me suis rendu compte que l'Afrique, c'est beaucoup plus loin que je pensais!» C'a débouché sur le récit sans failles d'un voyage initiatique en Inde et sur des constats typiques d'André Sauvé, pleins d'esprit et de bon sens. «Ce qu'on est, on est toujours le dernier à le voir ; nos erreurs, c'est pas des erreurs, c'est un chemin» ; « c'est une erreur de penser qu'on fait des erreurs» ; « c'est parce qu'on a fait ce qu'on a fait qu'on est ce qu'on est (...) Faisons ce qu'on a à faire, pis ça fera ce que ça fera!» ; «on est toujours ce qu'il faut qu'on soit». Autrement dit, André Sauvé a peut-être épargné une visite chez le psy à plusieurs, samedi.

L'art de la conversation décrypté par Sauvé et les «quatre tracks dans sa tête» n'est pas le même que pour le commun des mortels ; il roule beaucoup plus rapidement! «Moi, après une conversation, faut je me couche les quatre pattes en l'air avec une bouillotte». Le décri de l'obsession de l'opinion, de notre peur du silence, dans ses mots, était succulent. Tout comme sa manière d'accoler des émotions aux rythmes qui nous ont empli les oreilles, une portion finale tout aussi bien menée que les précédentes.

Toute la soirée, la Maison symphonique a ri de bon cœur pendant le périple d'André Sauvé avec l'OSM. Pas de vulgarités, pas de grossièretés, pas de méchancetés. Bravo à ce maître de la comédie pour les petits moments de grâce, et bravo à Juste pour rire d'avoir osé hisser de quelques crans le spectacle d'humour tel qu'on le connaît, de n'avoir pas craint de marier son monde populaire à un voisin un peu plus pointu. Une audace qui, on l'espère, fera des petits.

Le 35 Festival Juste pour rire se poursuit jusqu'au 30 juillet.

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