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Un accès exceptionnel au gouvernement de Justin Trudeau 10 000 $ par an pour

Radio-Canada a appris qu'un regroupement de compagnies en innovation promet une rencontre par mois avec le chef de cabinet de Catherine McKenna.
Wolfgang Rattay / Reuters

Combien vaut l'accès au chef de cabinet d'un ministre? Radio-Canada a appris qu'un regroupement de grandes compagnies en innovation promet à ses membres une rencontre par mois avec le chef de cabinet de la ministre Catherine McKenna, moyennant des frais de cotisation annuels de 10 000 $.

Un texte de Fannie Olivier

Le Council of Canadian Innovators (CCI), un groupe réunissant les dirigeants de 70 grandes entreprises canadiennes en technologie, propose cet accès au gouvernement de Justin Trudeau dans une brochure expliquant les avantages dont jouissent ses membres.

« Les PDG des entreprises en technologie propre (cleantech) qui font partie du CCI participent à des rencontres mensuelles avec le chef de cabinet de la ministre de l'Environnement et du Changement climatique », peut-on lire dans la brochure rédigée en anglais, obtenue par Radio-Canada.

Le groupe se vante par ailleurs d'être « un forum unique, où les PDG parlent directement aux décideurs du gouvernement » (souligné dans la brochure) et signale que les événements qu'il a organisés ont attiré « des fonctionnaires du Conseil privé, des ministres, des sous-ministres et plusieurs autres ».

Aux yeux de l'éthicien René Villemure, l'offre du CCI a de quoi faire sourciller, d'autant que Justin Trudeau a promis en campagne électorale un gouvernement ouvert et transparent.

« C'est injuste pour tous ceux qui ne paieront pas », note-t-il. « Quelqu'un qui choisirait de ne pas être membre du CCI se trouve d'office désavantagé, parce que lui, on ne peut pas lui promettre une rencontre mensuelle avec le chef de cabinet de la ministre de l'Environnement. Donc, assurément [ça crée] deux classes de citoyens. Et la classe privilégiée, celle qui consent à payer le 10 000 $, a un avantage de plus. »

Les compagnies membres du CCI ont des revenus annuels qui oscillent entre 10 millions et 2 milliards de dollars, selon la brochure.

Notons que des sommes considérables sont en jeu. Dans son budget 2017, le gouvernement Trudeau a investi 950 millions de dollars sur 5 ans pour appuyer les supergrappes en innovation. Par ailleurs, 401 millions de dollars sont prévus sur deux ans pour les technologies propres.

Est-ce légal?

Un accès aussi fréquent que celui promis par le CCI pourrait violer la Loi sur les conflits d'intérêts, selon le cofondateur de Democracy Watch, Duff Conacher.

« Ça dit aux membres : si vous nous payez, vous pouvez avoir accès au ministre. [...] Ce n'est pas un message démocratique ou éthique », explique M. Conacher. Il croit que la commissaire au lobbying ainsi que la commissaire à l'éthique devraient lancer une enquête.

La Loi sur les conflits d'intérêts interdit tout traitement de faveur. « Il est interdit à tout titulaire de charge publique d'accorder, dans l'exercice de ses fonctions officielles, un traitement de faveur à une personne ou un organisme en fonction d'une autre personne ou d'un autre organisme retenu pour représenter l'un ou l'autre », indique l'article 7 de la Loi.

Le Commissariat au lobbying n'a pas pu dire si la situation du CCI pouvait potentiellement violer des règles, soulignant qu'il ne faisait pas de commentaires sur des allégations spécifiques.

Le Commissariat à l'éthique a quant à lui renvoyé la balle au Commissariat au lobbying, en signalant qu'il n'avait pas de raison de croire qu'un titulaire de charge publique ait été en position de conflit d'intérêts. Il faut noter que le montant de 10 000 $ payé par les membres du CCI ne va pas au Parti libéral du Canada, mais bien au CCI.

Liens avec les libéraux

Le Council of Canadian Innovators est étroitement lié au Parti libéral du Canada (PLC). Son directeur exécutif, Ben Bergen, a notamment géré en 2015 la campagne électorale de l'actuelle ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et il a par la suite été employé à son bureau de circonscription. Un autre membre du conseil d'administration, Sachin Aggarwal, a été chef de cabinet adjoint de l'ancien chef libéral Michael Ignatieff en 2009.

« On est vraiment dans un réseau de copinage, où on est capables de se rendre service entre nous », déplore le député néo-démocrate Alexandre Boulerice.

Réactions du CCI et de la ministre McKenna

Dans un courriel, le directeur exécutif du CCI, Benjamin Bergen, affirme qu'en réalité deux conférences téléphoniques ont été organisées depuis janvier entre des PDG d'entreprises canadiennes et le chef de cabinet de Mme McKenna, Marlo Raynolds. « Ces engagements sont soumis aux disponibilités d'horaire du chef de cabinet et des PDG et ne se sont pas produits de façon mensuelle », écrit M. Bergen.

La directrice des communications de la ministre McKenna, Caitlin Workman, affirme pour sa part que « le cabinet rencontre souvent des entreprises et des associations représentant des entreprises de tous les secteurs de l'économie, de la technologie propre, du pétrole et du gaz, aux mines, à l'agriculture. » Elle soutient que seulement trois contacts ont eu lieu depuis la création de l'organisme l'automne dernier.

Accès difficile pour les PME

Pour les petites et moyennes entreprises, l'accès au gouvernement peut être particulièrement ardu.

Philip Bénard, président fondateur de la compagnie Electrobac, tente de naviguer dans l'appareil gouvernemental depuis un an, sans succès. Il voudrait notamment offrir ses services sécuritaires d'effacement de données pour les téléphones portables de la fonction publique, car, jusqu'à présent, Ottawa favorise le recyclage des appareils plutôt que la remise à neuf et le réemploi.

« On a contacté plusieurs personnes dans différents départements », relate-t-il. « On a rebondi d'un département à l'autre pour [tenter] d'atteindre la bonne personne. On n'a pas réussi, jusqu'à date. »

Il affirme que trouver un interlocuteur au gouvernement fédéral lui permettrait de le sensibiliser à sa technologie et, éventuellement, de développer davantage son entreprise.

Mathilde Gosselin, présidente de Materium, une PME qui œuvre notamment dans la décontamination des eaux, croit elle aussi qu'un accès au gouvernement lui permettrait de croître.

« Les grosses entreprises, qui ont accès de façon régulière au ministère, je pense qu'elles ont un avantage déloyal, étant donné qu'elles ont la capacité d'avoir – parfois des années à l'avance – des informations stratégiques », signale-t-elle.

Elle ajoute que ces entreprises peuvent par ailleurs influencer les décisions gouvernementales en leur faveur.

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