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Tristan Malavoy, le chroniqueur sobrement percutant

Tristan Malavoy, le chroniqueur sobrement percutant
Jorge Camarotti

Refusant de jouer les démarreurs de controverses, comme certains confrères et consœurs qui sont prêts à toutes les sottises pour que leur nombre de lecteurs soit proportionnel à leur ego, Tristan Malavoy pratique le métier de chroniqueur en prenant le temps de réfléchir, un pas de côté, pour éclairer nos lanternes. En publiant Feux de position, un recueil de chroniques et d’entretiens d’abord publiés dans le Voir et L’actualité entre 2004 et 2016, il invite les lecteurs à contempler l’état du monde d’hier à aujourd’hui.

L’origine des droits d’auteurs, le journalisme gonzo, le mouvement Occupy, l’affaire Cantat et le rôle de l’art, la définition du «nous» québécois, la place du superhéros dans la littérature, le débat sur la republication de «Mein Kampf», le Printemps érable, le rapport des Québécois à la culture générale, l’avenir des revues culturelles nichées, l’architecture montréalaise, la place de la poésie dans la revendication, l’autodéfense intellectuelle et la traversée de la Russie à bord du Transsibérien figurent parmi les nombreux sujets abordés par le chroniqueur que le Huffpost Québec a rencontré.

Les chroniques sont des instantanées du temps social et politique, alors quel est l’attrait pour les lecteurs de les relire plus tard?

Je m’adresse d’abord à ceux qui estiment mon écriture et mon travail. C’est un cadeau que je leur fais. Je crois aussi que quiconque veut comprendre l’histoire en train de se faire au Québec peut y trouver un intérêt. On a choisi des textes dont le propos politique et social résonne encore. Certaines chroniques auraient même pu être écrites la semaine dernière. Il y a aussi des sujets plus intemporels, où je laissais plus libre cours au style.

Dans la préface, Normand Baillargeon parle de tes textes comme étant porteurs d’une profondeur historique et d’une volonté de faire s’entrechoquer les courants de pensée. Comment décrirais-tu ta propre plume?

J’écris avec un style direct, sobre et clair. La chronique n’est pas le lieu des galipettes poétiques, mais je veux quand même être dans la littérature, avec un tonus stylistique et un argumentaire défendable. Quand j’ai relu les textes, je trouvais ça agréable d’être assez en accord avec la rigueur de mes arguments. Malheureusement, au Québec, certains chroniqueurs élaborent des argumentaires de coin de table qui ne se tiennent pas, comme si leur audience légitimait n’importe quoi. Je préfère adopter une approche relativement posée des choses, tout en étant engagé. Je ne fuie pas quand on me demande de m’exprimer sur un sujet sensible. Je n’ai pas peur d’aller au front. Mais j’aime bien prendre une respiration avant de me prononcer.

Outre les liens directs et indirects avec le monde littéraire, as-tu remarqué que certains sujets t’interpellaient plus que d’autres en te relisant?

Les questions sur les politiques culturelles sont devenues centrales dans ma vie. J’aime réfléchir aux mécaniques par lesquelles on supporte la culture. On peut d’ailleurs le constater dans ma réflexion sur les droits d’auteurs. C’est un fil conducteur dont je n’étais pas conscient auparavant.

As-tu l’impression que ta pensée s’est transformée sur certains sujets depuis tes débuts?

Je peux défendre en bonne partie toutes les idées qui se retrouvent dans le recueil, mais mon point de vue a évolué au sujet des droits d’auteur. À l’époque, j’étais un ayatollah de la défense des créateurs. Je les défends encore, mais je suis davantage ouvert à la recherche d’un équilibre entre leurs droits et la libre circulation du savoir et de la création. L’idée qu’on puisse accéder à la culture sans frais, quand on n’a pas d’argent, me plaît jusqu’à un certain point. Mais il faut que ce soit encadré. Présentement, le gros bout du bâton est entre les mains de géants comme Google et Amazon, et ça devient problématique. Le gouvernement doit intervenir. Et je ne suis pas certain que la ministre de la Culture Mélanie Joly a une compréhension assez fine de la situation. J’ai l’impression qu’elle écoute trop l’argumentaire de ces poids lourds, qui se désengagent de leurs responsabilités, surtout dans les cultures singulières comme celle du Québec.

Est-ce qu’on s’épuise de prendre position avec le temps?

Je crois que oui. Je suis profondément heureux de ne pas avoir été uniquement chroniqueur et je suis à l’aise avec l’idée d’en faire moins présentement. Ceux qui prennent la plume chaque jour ou chaque semaine peuvent s’épuiser, tourner les coins ronds ou chercher des effets pour faire réagir leurs lecteurs. À la base, c’est un bel exercice qui m’a poussé à bien suivre et lire la société en temps réel, mais je ne crois pas qu’il faille s’y adonner pendant 20 ans. Ces temps-ci, je suis en jachère de prises de positions publiques et je laisse respirer ma pensée.

As-tu souvent été attaqué sur tes idées?

Durant la révolte étudiante de 2012, j’ai proposé d’épingler un carré rouge à la une du Voir. Je suis très fier qu’on ait gardé le cap pendant 12 semaines. Mais j’ai reçu des messages affirmant qu’on allait trop loin. Ça m’avait d’ailleurs poussé à écrire un texte sur les prises de position de la presse à travers l’histoire. Sinon, de façon générale, mes chroniques prêtent moins le flanc aux attaques. Je suis moins dans le geste de jeter de l’huile sur le feu. Par contre, durant l’affaire Cantat, je m’étais positionné très tôt chez ceux qui croyaient qu’il avait tout à fait le droit de monter sur scène et que les gens avaient le droit de ne pas aller le voir. Les lecteurs avaient beaucoup réagi. Je pense que c’est ma chronique la plus lue.

Avec ton livre entre les mains, que ressens-tu face au chemin professionnel parcouru?

Il y a une fierté qui se dégage d’avoir travaillé pour des médias influents, à fort tirage, sans trop mettre d’eau dans mon vin et sans y aller de steppettes pour attirer l’attention. Je suis fier d’avoir presque 19 ans de carrière en journalisme, alors que mes débuts étaient accidentels. J’ai débuté à la pige à Québec et une suite d’opportunités ont fait en sorte que j’ai ces années derrière la cravate. Et je suis aussi heureux de ne pas m’être perdu de vue, d’avoir poursuivi mes autres projets de création. C’est toujours un risque. Je dois refuser des propositions pour avancer un roman ou un autre projet artistique. Ça fait de moi quelqu’un de moins riche, mais de très en vie.

Le livre «Feux de position» est présentement disponible en librairies.

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