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Donald Trump transforme les États-Unis en profondeur pendant que les scandales monopolisent l'attention

Donald Trump transforme les États-Unis en profondeur pendant que les scandales monopolisent l'attention
REUTERS/Kevin Lamarque

INTERNATIONAL - Le 12 mai au matin, le ministre américain de la Justice, Jeff Sessions, a révélé qu'il avait ordonné aux procureurs fédéraux de requérir des peines de prison plus longues contre les usagers et trafiquants de drogue.

Il s'agit d'un changement drastique, à contre-courant du consensus bipartisan qui s'est formé sur la réforme des peines. "Il a balayé le consensus émergent qui visait à assurer au mieux la sécurité du pays", déclare Matthew Miller, ex-porte-parole du ministère. "On a nommé une des voix les plus extrémistes du pays en matière de politique pénale."

Cette décision a rapidement été ensevelie sous une avalanche d'informations concernant Donald Trump.

Dans les heures qui ont suivi la révélation de la mesure de Jeff Sessions, le président tweetait qu'il avait peut-être enregistré ses échanges avec le directeur du FBI, James Comey, tout juste limogé. En moins de 140 caractères, Washington bruissait de nouveau des liens éventuels entre Donald Trump et la Russie, sur lesquels James Comey enquêtait.

James Comey ferait bien d'espérer qu'il n'y a pas d'"enregistrements" de nos conversations avant de parler à la presse!

C'est un trait caractéristique de l'administration Trump: tandis que scandales et chamailleries, intrigues de palais et tweets provocateurs monopolisent l'espace (donnant l'impression d'une pagaille monumentale au gouvernement), un large éventail de réformes fondamentalement inspirées par le président se met en place.

"Cet écran de fumée masque les avancées obtenues par le parti républicain", explique Grover Norquist, militant anti-impôts de toujours. "L'idée que Trump n'accomplit rien est fausse. Les partisans du libre échange ne ramassent peut-être pas toute la mise, mais une grande partie. Et sans contrepartie aucune."

L'une des raisons pour lesquelles les Américains ont l'impression que le programme de Donald Trump s'est largement embourbé est qu'il a obtenu très peu de résultats au Congrès. La réforme de la santé progresse, mais très lentement et les obstacles sont encore nombreux. La réforme fiscale, à supposer qu'elle soit mise en chantier, n'adviendra probablement pas avant l'été. Le budget de Trump ne sera pas adopté et les relations du Président avec le Congrès oscillent entre irascibilité et néant.

Mais la législation n'est qu'un des moyens de faire passer un programme présidentiel. De fait, de profonds changements de politique ont eu lieu sur plusieurs fronts administratifs, souvent masqués par les scandales en provenance de la Maison Blanche.

"Cet écran de fumée masque les avancées obtenues par le parti républicain."

Grover Norquist

En témoigne le retrait de Donald Trump de l'Accord de Paris sur le changement climatique, un consensus mondial historique sur la réduction des émissions de gaz carbonique, face aux preuves accablantes du rôle de l'humanité dans ce réchauffement.

Ce retrait aura des répercussions géopolitiques sur plusieurs générations. Pourtant, mercredi matin, il était en concurrence médiatique avec les retombées de l'étrange coquille du président sur Twitter la veille, et la condamnation unanime de la vulgarité de l'humoriste Kathy Griffin, posant avec une tête de Trump décapitée.

Sur le front réglementaire, l'impact de Donald Trump a largement excédé la couverture qui en a souvent été faite. Il a durci l'accès des salariés aux comptes de retraite et retardé l'application de règles de sécurité sur le lieu de travail. Il a abrogé une disposition protégeant les salariés de rétentions abusives sur leur salaire et permis aux employeurs douteux d'obtenir des commandes publiques. L'Occupational Safety and Health Administration (organisme public de prévention des risques au travail) a bloqué une disposition imposant aux entreprises de déclarer les accidents de travail en ligne. Le président a autorisé les compagnies de charbonnage à déverser leurs déchets dans les rivières, et annulé l'obligation de déclarer les émissions de méthane. Les travaux des pipelines Dakota Access et Keystone ont été relancés et les compagnies de charbonnage autorisées à exploiter les parcs naturels.

Ailleurs, Donald Trump a pris des mesures qui modifieront profondément le fonctionnement de notre économie et notre mode de vie. Notamment en nommant Ajit Pai à tête de la Federal Communications Commission (le régulateur des télécoms). Celui-ci s'apprête à remettre en cause la neutralité du Net: au lieu de traiter le contenu en ligne comme un service public, le nouveau système permettrait aux acteurs du câble et des télécoms de contrôler le contenu et sa diffusion. "Cette nomination va affecter 16% de notre économie", estime Grover Norquist.

Le blocage par les tribunaux et le Congrès de la politique migratoire du président a suscité beaucoup d'attention. Mais même sans interdiction de voyager ni mur à la frontière, il a considérablement modifié l'approche du gouvernement. Les reconduites à la frontière de clandestins, sans casier judiciaire notamment, augmentent régulièrement depuis le début de son mandat.

Donald Trump a aussi profondément affecté la santé des femmes. Il a drastiquement renforcé l'obligation de réserve et restreint les fonds alloués aux organismes d'aide à l'avortement, et il s'apprête à limiter l'obligation pour les employeurs de prendre en charge les frais de contraception de leurs salariés, en multipliant les exceptions bien au-delà des affiliations religieuses.

Il ne s'agit là que des répercussions intérieures de sa présidence. Sur les affaires étrangères, il a le bras beaucoup plus long et la bride plus lâche.

Ces résultats ne sont pas la manifestation d'un génie de gouvernance incompris, comme le prétend son administration. Il a simplement utilisé les pouvoirs dévolus à l'exécutif.

"Il a beaucoup de latitude. C'est pourquoi gagner la Maison Blanche est si important et la perdre, si douloureux", explique Dan Pfeiffer, ancien conseiller de Barack Obama. "Le fait est que la bureaucratie est organisée de telle sorte que les fonctionnaires des agences fédérales peuvent faire avancer les choses d'une manière qui échappe à la bande de clowns entourant Trump."

De fait, l'administration Trump semble marquer le plus de points quand l'épicentre de l'action se situe hors de la Maison Blanche.

Kevin Ring, président de l'association à but non lucratif Familles contre les peines plancher (Families Against Mandatory Minimums), se dit soulagé de voir que des Républicains et des Démocrates s'opposent aux directives pénales de Jeff Sessions. Selon lui, l'impact de la réforme a peut-être été surestimé, dans la mesure où les avocats et les juges peuvent toujours refuser de se conformer à cette demande de durcissement. Mais il reconnaît au ministre une compétence et une efficacité qui distingue nettement celui-ci de son patron.

"Dans toutes les autres batailles, on se demande qui, de Jared [Kushner] ou de Steve [Bannon], a le plus d'influence auprès du président. Sans lui, ils ne peuvent rien faire", explique Kevin Ring. "Sessions, lui, est au ministère de la Justice, où il fait ce qu'il veut. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'obéit pas à Trump. Mais il a certainement assez autorité et de discrétion pour mettre les bouchées doubles sur tous ces dossiers."

Un moment viendra où Donald Trump, Jeff Sessions et les autres membres du gouvernement auront épuisé les changements réglementaires les plus faciles. Dès lors, ils auront les coudées moins franches pour appliquer leur politique. Mais d'ici là ils auront mené des réformes importantes, dont certaines en toute discrétion et sur lesquelles il sera difficile de revenir.

Les Démocrates commencent à se dire que le parti devrait cesser d'agir comme si Donald Trump était un président girouette, désespérant de faire passer son programme, paralysé qu'il est par les scandales permanents, et de faire plutôt le procès des mesures qu'il a réussi à mettre en place.

"Les Démocrates ne se trompent pas en se concentrant sur la Russie, car il s'agit potentiellement du plus gros scandale politique de l'histoire des États-Unis", explique Dan Pfeiffer. "Et la pression qu'ils exercent a permis de nouvelles révélations. Mais un moment viendra où les électeurs s'intéresseront à autre chose. On n'en est pas encore là, mais c'est au parti démocrate de le rappeler."

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Julie Flanère pour Fast for Word.

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