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Le français s’effrite dans la fonction publique fédérale

Le français s'effrite dans la fonction publique fédérale
Radio-Canada/Simon Blais

La situation actuelle des langues officielles dans la fonction publique « provoque de l'insatisfaction à tous échelons, y compris les plus élevés », selon un rapport interne obtenu par Radio-Canada en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Un texte de Catherine Lanthier

Détérioration du français dans la haute gestion, diminution de la qualité des traductions, domination de l’anglais… Les constats livrés par les fonctionnaires au groupe de travail formé pour étudier l’état du français au coeur de l’appareil gouvernemental fédéral sont peu reluisants.

Ce document interne a été très brièvement synthétisé récemment dans le 24e rapport annuel du greffier du conseil privé au premier ministre. Le greffier y reconnaissait que le gouvernement doit « faire mieux » en la matière.

Radio-Canada a cependant mis la main sur les documents d’origine, qui dressent un portrait encore plus inquiétant de l’usage du français dans la fonction publique fédérale.

Des consultations menées auprès de centaines de fonctionnaires fédéraux, incluant des cadres et des sous-ministres, ont permis de constater un déséquilibre important d’une agence à l’autre.

Alors que des ministères, tels que Patrimoine canadien et Infrastructure Canada, se démarquent par leur « culture favorable à l’usage des deux langues officielles au travail », ce ne semble pas être le cas dans des agences aussi centrales que le Bureau du Conseil Privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor.

Derrière des statistiques encourageantes sur le nombre d’employés bilingues au gouvernement fédéral se cache un problème : « beaucoup d’employés [francophones, en particulier] ne se sentent pas libres d’utiliser la langue officielle de leur choix dans le cadre de leur travail », note le rapport préparé par Patrimoine canadien.

Le bâton et la carotte

Ce document présente par ailleurs de nombreuses pistes de solution, soulignant que ce n’est rien de moins que la « culture » qui doit changer dans la fonction publique fédérale.

Les dirigeants y sont particulièrement ciblés. Ceux-ci devraient faire preuve de plus de leadership et mieux sensibiliser les employés « à l’importance de créer des milieux de travail réellement bilingues », peut-on lire.

Un nouveau sous-ministre est arrivé qui ne parlait qu’anglais. Du jour au lendemain, tous les sous-ministres adjoints ont cessé de parler français, même les francophones.

Extrait d’un témoignage, Rapport d’étape La langue de travail en 2017 - Ce que les employés en disent

Pour en arriver à de véritables changements, plusieurs fonctionnaires ont suggéré l’approche du « bâton et de la carotte ».

Le rapport propose notamment que « la question de la langue de travail fasse partie de l’évaluation de rendement des employés et des dirigeants ».

Dans cette perspective, une mauvaise maîtrise de la langue seconde de la part de gestionnaires, ralentissant ainsi la mise en place d’un milieu de travail bilingue, pourrait possiblement aller jusqu’à des sanctions.

Par exemple, ces gestionnaires pourraient être rétrogradés ou « cesseraient d’être admissibles à une prime de rendement. »

Ces primes peuvent représenter jusqu'à 25 % des salaires des cadres de l'État.

Doit-on éliminer la prime au bilinguisme?

Le rapport va plus loin. « L’heure serait venue de changer la prime » au bilinguisme, propose-t-on.

Cette prime annuelle de 800 $ devrait être abolie ou offerte seulement aux employés qui font part « [d’]une connaissance avancée de leur langue seconde. »

La présidente de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), Emmanuelle Tremblay, réagit positivement à cette suggestion, qualifiant cette prime de « bonbon statique ».

Je suis assez d’accord avec la conclusion qu’il y a des gens qui n’utilisent pas les deux langues officielles dans leur travail quotidien qui bénéficient de cette prime-là.

Emmanuelle Tremblay, présidente, ACEP

De plus, la prime au bilinguisme comporterait une notion indue de « sacrifice », ce qui ne plaît pas à la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Sylviane Lanthier.

« Ça me fait penser quand on offre aux gens des bonis pour aller travailler dans le Grand Nord », explique-t-elle. « Je ne vois pas en quoi tu sacrifies quoi que ce soit quand tu es bilingue. »

Des traducteurs fantômes au gouvernement

Par ailleurs, selon le sommaire des entrevues menées auprès des sous-ministres, « la régression est particulièrement marquée à l’écrit », notamment dans les notes de breffage, où « la qualité de la traduction de l’anglais au français est parfois préoccupante ».

« C’est évident l’effritement de la qualité des traductions », admet la présidente de l’ACEP, le syndicat qui représente les traducteurs, terminologues et interprète.

Les traducteurs fantômes, c’est-à-dire des employés fédéraux qui effectuent des traductions sans être des traducteurs qualifiés, constituent un problème de taille, selon la présidente Emmanuelle Tremblay.

« On les appelle agents de communication et ils font de la traduction à longueur de journée », se désole-t-elle.

De son côté, le professeur de traduction de l’Université d’Ottawa, Charles Le Blanc, a reçu dans ses salles de cours certains de ces fonctionnaires, qu’il qualifie de « traducteurs au noir ».

« Ce sont parfois des francophones de service qui ont été embauchés pour toute autre chose, mais dont on utilise les compétences langagières pour les pousser à faire de la traduction », confie-t-il.

Le professeur Le Blanc estime que le gouvernement doit rapidement mettre fin à cette pratique.

Tourne-t-on en rond?

Le document obtenu par Radio-Canada s’inscrit dans l’exercice de consultation lancé par le gouvernement fédéral pour établir le prochain plan d’action sur les langues officielles.

Mais selon le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, « on ne peut pas se permettre d’attendre deux ou trois ans pour agir sur la promotion et l’utilisation du français dans la fonction publique ».

« Ce qui est encore plus décourageant », renchérit-il, « c’est que ce ne sont pas de nouveaux constats ».

Le chercheur franco-ontarien rappelle que ces observations se retrouvaient dans les premiers rapports annuels du commissaire aux langues officielles dans les années 1970.

La FCFA déplore quant à elle qu’il y ait pas de véritable culture organisationnelle favorisant l’emploi des deux langues officielles dans la fonction publique.

On place souvent le fonctionnaire dans une position où il doit faire un acte de militantisme presque pour utiliser la langue officielle de son choix.

Sylviane Lanthier, présidente, FCFA

À son avis, c’est à l’appareil politique d’amorcer un virage, en créant une autorité centrale pour s’assurer du respect en toute cohérence de l’esprit de la Loi sur les langues officielles dans la fonction publique fédérale.

« Pour moi, c’est un problème sérieux », réagit de son côté le député libéral de Hull-Aylmer, Greg Fergus. « Le gouvernement précédent ne valorisait pas le français dans la fonction publique, maintenant on est de retour. »

On est en train de changer toute l’atmosphère, la culture de la fonction publique.

Greg Fergus, député du PLC, Hull-Aylmer

Le député Fergus précise toutefois qu’un tel virage prend du temps et que d’avoir commandé ce rapport démontre « la bonne foi du gouvernement ».

Ces recommandations ne sont pas définitives et devront être explorées plus en profondeur au cours des prochains mois.

La ministre responsable des langues officielles, Mélanie Joly, n’était pas disponible pour réagir aux conclusions du rapport interne.

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