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«House of Cards»: Frank Pugliese nous dit ce qui lie Trump à la série

«House of Cards»: ce qui lie Trump à la série

Depuis l'élection de Donald Trump, une question se pose sur la frontière entre réalité et fiction. Le scénario qui se déroule en ce moment dans la vie politique américaine pourrait battre plus d'un scénariste à plate couture tant il est surprenant. Matt Stone et Trey Parker, les créateurs de «South Park», ont même annoncé, le 3 février dernier, ne plus vouloir parodier Trump, car ils n'arrivaient plus à le suivre.

«C'est vraiment casse-gueule, car en quelque sorte, la satire est devenue réalité», soulignait Trey Parker.

Cette difficulté touche toutes les séries qui traitent de la politique américaine. Surtout celles qui le font de manière caustique. Le 17 mai, c'est Robin Wright, l'interprète de Claire Underwood, la Première dame d'«House of Cards», qui faisait part des difficultés d'une telle extravagance de la part du (vrai) président des États-Unis. Depuis son élection, Donald Trump «nous a volé toutes nos idées» pour la suite d'«House of Cards», s'amusait-elle lors d'une conférence sur la place des femmes dans le cinéma au Festival de Cannes.

Suite à l'élection de Donald Trump, Le HuffPost a interviewé Frank Pugliese, le scénariste et désormais producteur de la série, le mieux placé pour répondre aux difficultés d'écriture qu'il a pu rencontrer face à l'actualité politique de ces derniers mois.

À l'occasion du lancement de la saison 5 d'«House of Cards», ce mardi 30 mai, nous publions cet entretien.

La réalité dépasse-t-elle la fiction depuis l'élection de Donald Trump?

Frank Pugliese : C'est sûr qu'il y a une compétition entre réalité et fiction. Et la compétition n'a pas commencé avec Trump. La compétition a commencé il y a des années parce que d'une certaine façon, la façon dont les partis fonctionnent aux États-Unis se rapproche d'un show télévisuel. Et on peut dire que Trump n'est que le résultat ultime de cela. En un sens, il n'est que la version la plus poussée d'un programme télé qui existait déjà.

Son élection n'a rien changé?

Ce qui est intéressant avec Trump, c'est qu'il nous aide presque tant il est extrême dans sa relation avec les médias. Ça peut nous aider à réfléchir sur la politique, car il révèle des choses qui ont toujours existé.

La politique est constamment présente à la télévision. Il y a des émissions qui traitent de politique 24 heures sur 24 et les gens les regardent comme une série. C'était déjà le cas avec Obama, qui était la star de sa propre série. Et maintenant nous avons une nouvelle star d'une nouvelle série qui s'appelle Donald Trump.

Le truc, c'est qu'avec Trump, c'est encore plus évident, encore plus visible. C'est mal fait. Et du coup, ça pourrait être positif pour l'Amérique et nous permettre de prendre de la distance avec ce show permanent et hyper réaliste qu'est devenue la politique à la télévision. On pourra alors essayer de chercher le consensus, d'accomplir des choses, ce qui est peut-être un idéal de ce que devrait être la politique.

Les séries télé sont quelque chose d'extraordinaire. À chaque épisode, je dois vous combler tout en vous laissant sur votre faim pour que vous continuiez à regarder. Si nous appliquons ce modèle à la politique, alors elle devient malsaine. Quand la politique devient une série télé, ce qui se passe, c'est qu'on est tout le temps satisfait et déçu, et on ne peut rien accomplir. Le seul résultat, c'est que cette immense série télé qu'est la politique continue à exister.

Nos hommes politiques ont toujours été partiellement en représentation, comme des acteurs. Et puis, derrière ça, il y avait ce qui se passait vraiment dans les coulisses. Trump, lui, n'est que représentation. Et comme ça se voit, il peut nous faire remarquer cette part de représentation qui était là depuis toujours.

Il est davantage dans la représentation que Frank Underwood?

Je ne peux pas trop parler de la nouvelle saison de «House of Cards», mais de manière générale dans toutes les séries politiques, de «The West Wing» jusqu'à tout ce qui existe maintenant, nous montrons une certaine distance entre la partie «en représentation» que tous nos politiciens sont obligés de remplir, et ce qui se passe en coulisses. Et toutes les séries télévisées politique se servent de cela.

Si vous prenez Kennedy, par exemple. Il avait un personnage public qu'il affichait, et tout le monde se demandait ce qui se passait en réalité en coulisses. Et donc la différence entre ce qu'il montrait publiquement et ce qu'il faisait en privé alimentait énormément la curiosité du public. Donc cela a toujours existé, et toutes les séries télévisées qui parlent de politique s'en servent.

En gros, leur discours c'est : «Je vais vous parler d'un monde que vous connaissez forcément, mais que vous ne connaissez pas parfaitement. Je vais vous montrer les secrets de Washington, de la vie politique américaine, de Frank Underwood.» Et cela fonctionne à chaque fois parce qu'il existe une séparation entre le public et le privé, et c'est là que se glisse la série télévisée. Frank Underwood vous invitera toujours dans cette zone d'ombre, le président de «The West Wing» vous y invite, le président de «Veep» vous invite à découvrir ces secrets.

Depuis que Trump est devenu président, la presse est devenue complètement dingue, frénétique, parce que l'on veut justement savoir ce qui se passe réellement. L'administration de Donald Trump est encore en train de façonner son personnage public, mais il y a tout le temps des ratés. Donc les gens veulent savoir ce qui se passe et ça devient très dramatique. Une fois de plus, c'est un exemple très parlant de la manière dont tout cela fonctionne.

Vous pensez que les téléspectateurs regarderont «House of Cards» de la même manière maintenant que Donald Trump est président?

Vous savez, je pense que les gens regardent «House of Cards» de plein de manières différentes. Donc je ne peux pas trop vous dire s'ils regarderont «de la même manière», mais ce qui est sûr, c'est qu'ils regarderont la série différemment. Comme ils l'auraient regardée différemment si Hillary Clinton avait été élue. Qu'importe le vainqueur, ils auraient regardé la série différemment, parce qu'ils auront un rapport différent avec leurs nouveaux dirigeants. Ils auraient trouvé des différences [entre le show et la réalité], des similarités, des choses à comparer...

Vous trouvez des similarités entre Frank Underwood et Donald Trump?

Je ne sais pas. Je pense que ce sera au public de se faire un avis et de peser le pour et le contre. C'est déjà ce que les téléspectateurs ont fait quand ils l'ont comparé [Frank Underwood] à Bill Clinton, ou à d'autres. C'est le cas pour chaque comparaison.

Personnellement, je ne sais pas. J'ai passé tellement de temps à travailler sur la série que je n'ai pas eu le temps de les comparer.

Il n'y a donc pas eu de changements dans l'écriture à cause de l'actualité aux États-Unis?

Non, parce que nos scripts étaient déjà pratiquement prêts quand le phénomène Trump a débuté. Mais ce qui est fascinant, c'est ce que fait «House of Cards» à chaque fois : la série parvient à dessiner un possible futur. Nous y parvenons parce que nous travaillons avec de très nombreux experts, qui nous aident à comprendre ce qui pourrait arriver. Et c'est une partie majeure de notre série selon moi : comprendre ce qui est en train de se passer.

Au bout du compte, vous ne craignez pas d'avoir été trop proche de la réalité? Ou au contraire trop décevant par rapport à elle?

Je ne pense pas qu'il y ait un lien direct entre l'actualité et «House of Cards». Cette actualité est surtout pour nous tous l'occasion de nous demander «quand la politique est-elle devenue une série télé?» Pas l'inverse. Pour moi, la période est intéressante parce que l'on peut se demander comment l'élection présidentielle est devenue un véritable feuilleton, à tel point qu'une star de la télé a été élue. Pour moi, c'est avant tout un moment intéressant, et une problématique intéressante à étudier d'un point de vue universitaire, politique... Bref, de comprendre comment Trump a été élu.

Qu'est-ce que cette période dit de l'Amérique?

Je crois que l'Amérique a une relation vraiment unique avec la télévision, c'est sûrement notre plateforme principale. Ce n'est pas pour rien que les débats sont à ce point conçus pour la télévision, avec un traitement matinal, puis un autre en soirée. Donc c'est quelque chose de culturel. Les Américains échangent au moyen de la télévision, donc ce n'est pas étonnant que ce soit là que les politiciens américains aillent ou que ce soit de là qu'ils viennent. C'est le cas depuis au moins 20 ou 30 ans.

Mais si vous avez regardé la télévision depuis l'élection, vous avez dû vous rendre compte que les Américains commencent à se poser la question de leur relation à la télévision. Ils se demandent aussi ce qu'ils veulent en politique. C'est très encourageant.

Vous n'avez pas peur d'avoir prédit à l'écriture quelque chose qui pourrait arriver?

En tant qu'auteur, et vu les auteurs avec qui je travaille, nous n'avons pas peur. Nous avons juste tenté d'écrire la meilleure histoire possible. Et c'est une longue histoire... Elle en est maintenant à sa cinquième année, elle a ses propres exigences, sa propre vérité, et maintenant il faut se tenir à cette vérité, trouver des choses qui vont parler aux gens, une sorte d'universalité. Les auteurs vivent dans leur époque, dans ce monde, donc leur manière d'interagir avec ce monde, c'est déjà d'y évoluer.

Des défis pour les 4 prochaines années pour «House of Cards»?

Pour revenir à ce que je vous disais sur le côté théâtral de la politique, qu'importe ce qui se passe en politique, ce sera génial. Car maintenant, tout le monde sait que les hommes politiques sont dans la performance et qu'ils ont une vie secrète. Et c'est ce sur quoi on aime travailler, c'est ce qu'ont toujours fait les séries politiques, peu importe comment la vie politique évolue.

Insister sur cet aspect vie secrète?

Oui, c'est ce que font toutes les séries politiques. Si on faisait une série sur la vie politique française, on voudrait savoir ce qui se passe à 3h du matin pour le président. C'est là qu'est l'intrigue, quel que soit le pays, quelle que soit la personnalité dont on parle. C'est ce qui fonctionne et c'est ce qui a fonctionné depuis tant d'années. Ça a toujours été comme ça. On allait au théâtre pour savoir à quoi ressemblait vraiment le roi.

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