Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Construction: l'Alliance syndicale annonce qu'il y a grève générale illimitée (VIDÉO)

Grève générale illimitée dans la construction

Quelques heures seulement après le début de la grève générale illimitée des 175 000 ouvriers de la construction du Québec, le premier ministre Philippe Couillard, en mission en Israël, s'est fait pressant en brandissant encore la menace d'une loi spéciale pour forcer le retour au travail, alors que la ministre du Travail, Dominique Vien, a convoqué d'urgence les parties à Montréal.

"Il faut absolument que j'envoie ce signal-là très tôt, parce que c'est l'économie du Québec qui est en jeu, c'est l'intérêt supérieur du Québec qui est en jeu", a prévenu le premier ministre.

Il a laissé entendre que le gouvernement "ne laissera pas la grève durer très longtemps".

Pendant ce temps, en entrevue avec La Presse canadienne, mercredi, Daniel Boyer, le président de la plus grande centrale syndicale au Québec, la FTQ, avec ses 600 000 membres, y est allé de tout son poids pour demander au gouvernement de ne pas adopter de loi spéciale et de laisser les parties négocier.

"Laisser les parties négocier, ça veut aussi dire que chacune des parties puisse exercer un rapport de forces dans le cadre de cette négociation-là. Et le rapport de forces qu'utilisent les travailleurs de la construction à partir d'aujourd'hui, c'est la grève. Ça fait partie du processus de négociation. La Cour suprême a reconnu que c'était un droit qui était prévu par la Charte des droits et libertés, donc il faut laisser les parties négocier", a martelé M. Boyer.

L'appui de la grande centrale syndicale est d'autant plus important que certains de ses autres syndicats, comme celui des Teamsters, ont fait savoir qu'ils respecteraient les piquets de grève dressés par leurs collègues de la FTQ-Construction et de toute l'Alliance syndicale. Les conséquences de la grève pourraient donc dépasser la seule industrie de la construction.

"Évidemment que ça pourrait avoir des répercussions plus importantes. La plupart des syndicats au Québec respectent les lignes de piquetage. Donc, oui il faut s'attendre à ce que les lignes de piquetage soient respectées. Les lignes de piquetage dans les grands chantiers majeurs, c'est quasiment ne pas être capables d'utiliser les voies - on peut parler de l'échangeur Turcot. Ça pourrait être empêcher d'utiliser ces voies-là, effectivement, parce qu'il y a du piquetage", a résumé M. Boyer.

Au cours d'un point de presse mercredi matin, la ministre du Travail, de son côté, a convoqué une rencontre d'urgence entre les parties, à Montréal.

Encore une fois, la ministre Vien a prévenu qu'elle était prête à déposer une loi spéciale pour forcer le retour au travail, puisque la grève entraîne des pertes économiques de 45 millions $ par jour, selon les chiffres qu'elle a cités.

Elle a vivement déploré le déclenchement de la grève et souhaité que les parties poursuivent plutôt la négociation et concluent une entente. Le ministère a déjà mis ses effectifs à la disposition des parties, en médiation et en conciliation, pour favoriser les échanges.

Le premier ministre Couillard a prévenu que s'il y a loi spéciale, il y aura nécessairement des mécontents, puisque "chacun aura des sacrifices à faire". Donc, pour les deux parties, "ce ne serait pas un bon calcul" d'attendre la loi, a-t-il avancé.

Entre-temps, les parties ont négocié jusqu'après minuit. Dans certains cas, elles ont négocié jusqu'à 5h du matin, alors que la grève a débuté à 5h15.

Les principaux points en litige varient selon le sous-secteur de l'industrie: les salaires, les horaires, les heures supplémentaires, la mobilité de la main-d'oeuvre, la conciliation travail-famille.

Les syndicats ont fait une grande campagne sur la volonté de plusieurs employeurs de pouvoir reprendre le travail qu'ils n'ont pu faire à cause du mauvais temps en payant les ouvriers à taux simple le samedi.

Mais l'Association de la construction du Québec assure pourtant avoir laissé tomber certaines de ses demandes patronales durant les dernières heures. Les parties n'en sont quand même pas venues à une entente.

La question de la mobilité de la main-d'oeuvre est particulièrement sensible dans les régions, où les ouvriers en chômage veulent avoir un accès prioritaire aux emplois dans les chantiers de leur région, alors que les entrepreneurs qui décrochent ces contrats dans des régions autres que la leur veulent également pouvoir faire appel à leurs ouvriers d'expérience avec lesquels ils sont habitués à travailler.

L'Alliance syndicale regroupe les cinq organisations syndicales de la construction, à savoir la FTQ-Construction, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), le Syndicat québécois de la construction, la CSD-Construction et la CSN-Construction.

Face à elle se trouvent quatre associations patronales: l'Association des entrepreneurs en construction, qui négocie les clauses communes à l'ensemble; l'Association de la construction du Québec, qui négocie pour les secteurs institutionnel, commercial et industriel; l'Association des constructeurs de routes et grands travaux, qui négocie pour le secteur du génie civil et de la voirie; et l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec, qui négocie pour le secteur résidentiel.

"Videurs de chantier"

Pendant ce temps, une autre menace a été évoquée, alors que les associations patronales disent craindre l'apparition d'escouades de "videurs de chantiers" une fois la grève déclenchée.

L'Association de la construction du Québec (ACQ - secteur industriel, institutionnel et commercial) dit avoir fait part à la Commission de la construction du Québec (CCQ) de ses préoccupations face à la possibilité que de telles escouades soient en train de se former.

"Dans les médias sociaux, on a vu des gens qui s'organisent, des 'videurs de chantiers'. Ça nous préoccupe. On ne voudrait pas qu'il y ait des situations déplorables demain (mercredi)", a indiqué le porte-parole de l'ACQ, Éric Côté, en entrevue téléphonique.

Tant l'ACQ que l'APCHQ disent avoir constaté que des appels en ce sens circulent sur les médias sociaux depuis lundi, notamment sous la forme d'invitations à des rassemblements à divers endroits de la province.

Les associations patronales rappellent que les travailleurs de la construction ne sont pas assujettis aux dispositions anti-briseurs de grève dans le Code du travail.

"Il y a des chantiers qui peuvent se poursuivre si les travailleurs indiquent qu'ils souhaitent continuer à travailler pendant la grève, mais encore faut-il qu'il y ait de la main-d'oeuvre au rendez-vous", a noté M. Simard. Il a toutefois ajouté que la décision de se présenter ou non sur un chantier en cas de grève appartient aux travailleurs qui n'ont pas à subir d'intimidation.

"Ce genre de pratique serait complètement inacceptable et c'est interdit par la loi. On ne veut plus avoir ces pratiques qui sont dignes des années 70", a-t-il dit.

Le porte-parole de l'Alliance syndicale, Michel Trépanier, a très mal accueilli ces propos, faisant valoir que, justement, il y avait eu des directives très claires envoyées aux syndiqués "comme quoi on ne tolérerait aucune intimidation ou violence".

"C'est sûr qu'il va y avoir des comités d'information et on a une certaine liberté aussi pour exprimer notre droit de grève, mais dans aucun cas on ne voudrait voir d'intimidation ou de violence", a martelé M. Trépanier, déplorant cette sortie des associations patronales qu'il juge inappropriée.

"Je trouve ça maladroit d'insinuer ça dans différents médias, que c'est une tactique qui va être envisagée de notre part, parce que présentement toute notre énergie est consacrée à l'effort pour en arriver à une entente négociée", a-t-il ajouté, refusant d'abandonner l'espoir d'une entente négociée malgré l'heure tardive.

"J'espère encore parce qu'aux différentes tables, il y a des négociations intensives qui sont toujours en cours. Il nous reste beaucoup de temps encore", a-t-il affirmé à moins d'une douzaine d'heure de l'échéance.

Le déclenchement d'une grève touche l'ensemble des secteurs: construction résidentielle, génie civil et voirie, industriel, institutionnel et commercial. Les cinq organisations qui forment l'Alliance syndicale représentent 175 000 ouvriers.

Conciliation, salaires et inondations

Déjà, au moins deux syndicats, la FTQ et la CSN, dénoncent l'adoption éventuelle d'une loi spéciale, accusant le gouvernement de faire le jeu des associations patronales en empêchant le rapport de force de s'exercer.

La FTQ rappelle que les travailleurs de la construction sont parmi les rares syndiqués québécois qui n'ont pas droit à la rétroactivité, ce qui encourage, selon elle, la partie patronale à laisser traîner les négociations.

Les horaires de travail et le temps supplémentaire sont au coeur du litige dans le secteur industriel, institutionnel et commercial, où la partie patronale cherche à obtenir une plus grande flexibilité des travailleurs, alors que ceux-ci estiment que les demandes patronales portent atteinte à la conciliation famille-travail.

L'ACQ représente plus de 60 pour cent de l'activité de construction au Québec.

Dans le cas des secteurs résidentiel et de la voirie et du génie civil, la pierre d'achoppement se situe davantage du côté des salaires, l'écart entre les demandes syndicales et l'offre patronale étant considérable.

Quoi qu'il en soit, les sinistrés des inondations printanières seront épargnés par un éventuel conflit: l'Alliance syndicale a déjà annoncé que les travaux dans les résidences situées en zones inondées pourront se poursuivre dans le cas du déclenchement de la grève le 24 mai prochain.

Les conventions collectives sont arrivées à échéance le 30 avril.

Aucune des associations patronales n'a pour sa part l'intention d'exercer son droit de lock-out.

"Nous n'avons pas sollicité de mandat à cet effet parce qu'on juge que de faire un lock-out, ce serait se tirer dans le pied, a expliqué Éric Côté. Notre industrie a besoin de marcher, de rouler. Si on interrompt nous-mêmes l'activité, ce n'est pas bon pour l'économie et ce n'est pas bon pour les entrepreneurs."

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.