Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Jusqu'à 3000 $ d'amende pour un uniforme policier non réglementaire

Porter des pantalons de camouflage coûtera cher aux policiers
Radio-Canada

« Devant une situation qui a trop perduré », le ministre de la Sécurité publique et des Affaires municipales, Martin Coiteux, a déposé jeudi à l'Assemblée nationale le projet de loi 133, « obligeant le port de l'uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l'exercice de leurs fonctions ». Et tout porte à croire qu'il sera contesté.

Une fois cette nouvelle loi adoptée, les policiers et les constables spéciaux devront remettre leur pantalon d'uniforme et délaisser le port d'un pantalon non réglementaire, habituellement de camouflage, dans l'exercice de leurs fonctions – un moyen de pression en usage depuis maintenant des années. Cela s'applique aussi à la casquette rouge arborée par plusieurs d'entre eux.

En vertu de ce projet de loi, le directeur d'un corps de police aura l'obligation de transmettre immédiatement un rapport d'infraction au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Tout policier qui contreviendrait à cette loi se verrait imposer une amende de 500 $ à 3000 $ « pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel dure l'infraction ». Ces montants doubleraient en cas de récidive.

« Le gouvernement se voit dans l’obligation d’agir afin de rétablir la crédibilité et le respect envers la fonction d’agent de la paix et de s’assurer que l’uniforme puisse toujours représenter l’autorité, la loi et l’ordre », a déclaré le ministre Coiteux en point de presse.

Le projet de loi 133 ajoute un chapitre complet à la Loi sur la police :

« 263.1. Tout policier ou tout constable spécial doit, dans l’exercice de ses fonctions, porter l’uniforme et l’équipement fournis par l’employeur dans leur intégralité, sans y substituer aucun élément. Il ne peut les altérer, les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés. »

Le premier alinéa s’applique sous réserve d’une exemption législative ou d’une autorisation du directeur du corps de police ou de l’autorité de qui relève le constable spécial lorsque l’exercice des fonctions du policier ou du constable spécial le requiert ou que des circonstances particulières le justifient.

« 263.2. L’autorité de qui relève un constable spécial est chargée de surveiller l’application des dispositions du présent chapitre à l’égard de ce constable. »

« 263.3. Le directeur d’un corps de police doit transmettre sans délai un rapport d’infraction au Directeur des poursuites criminelles et pénales lorsqu’un policier contrevient à une disposition du présent chapitre. »

« L’autorité de qui relève un constable spécial est soumise à la même obligation. »

Un syndicat ou une autre association qui aurait aidé (ou poussé) un policier ou un agent de police spécial à porter un uniforme non réglementaire serait aussi passible du double de l'amende prévue par le projet de loi.

Symbole d'autorité

Le texte du projet de loi décrit l'uniforme des policiers comme le « symbole de leur autorité et de leur crédibilité », qui « impose le respect essentiel à l’accomplissement de leur mission », « permet de les identifier sans équivoque » et favorise, dans les salles d'audience des palais de justice, « la sérénité des débats judiciaires et le plein exercice des droits des justiciables ».

Les policiers de plusieurs services municipaux québécois, dont ceux de Montréal, portent des pantalons de type camouflage depuis trois ans afin de protester contre la loi qui a imposé un partage en parts égales du coût des régimes de retraite municipaux. Cette loi est toujours contestée devant les tribunaux.

En 2009, le Conseil des services essentiels avait rejeté la demande du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) de forcer le port de l’uniforme pour ses agents. Le SPVM craignait que les policiers en pantalons de camouflage soient confondus avec des militants lors d’une manifestation contre la brutalité policière. Le Conseil avait alors répliqué que les questions de sécurité au travail ne relevaient pas de sa compétence.

Colère et déception

Le Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec se dit « en colère » et « très déçu » à la suite du dépôt du projet de loi. « En faisant ça, le gouvernement agit comme juge et partie », affirme son président et porte-parole, Franck Perales.

Il en résulte une perte de rapport de force, estime M. Perales. « Aux tables de négociation, il n’y aura plus rien qui va inciter le gouvernement à discuter et à s’asseoir avec nous, puisqu’il nous enlève les derniers moyens qu’on avait, qui étaient les moyens de visibilité », souligne-t-il.

Comme l’avait déjà fait la Fraternité des policiers et policières de Montréal, le Syndicat des constables spéciaux rappelle que la Charte canadienne reconnaît les libertés d’association et d’expression.

De plus, rappelle M. Perales, l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême, en janvier 2015, ajoute un argument juridique. « [Pour] les salariés qui n’ont pas le droit de grève, qui n’ont pas de moyen de faire des moyens de pression, le gouvernement doit mettre en place un mécanisme de compensation – l’arbitrage exécutoire, par exemple – pour régler des conflits au niveau des tables », dit-il.

Les policiers municipaux n'ont pas le droit de grève, en vertu d'une décision de la Cour suprême. « C’est à peu près leur seul moyen de pression », souligne l'analyste François Doré, lieutenant à la retraite de la Sûreté du Québec.

« Les infractions sont punissables d’amendes pour le moins salées. Est-ce que ça va changer quelque chose ou ça va faire en sorte que les policiers vont être encore plus frustrés? » demande-t-il.

Franck Perales relève aussi que le projet de loi est déposé à la veille d’une audience du Tribunal administratif du travail au sujet d’une ordonnance permanente sur les moyens de visibilité des constables spéciaux.

Ceux-ci demandent notamment d’être reconnus en tant qu’agents de la paix et d’avoir un traitement salarial approprié, ce qui représente environ 8 % d’écart avec ce que propose le gouvernement du Québec. Les négociations durent depuis plus de deux ans.

Un moyen de rassurer la population, selon Pichet

Le directeur du SPVM, Philippe Pichet, ne donne pas son avis quant aux répercussions éventuelles de ce projet de loi sur les négociations avec les policiers municipaux, mais il estime que le retour à l'uniforme réglementaire, en plus du plan d'action présenté à la fin mars, permettrait de rétablir le lien de confiance avec la population.

« Je pense que si, demain matin, tous les policiers à Montréal sont en uniforme, ça ne changera pas l’excellent travail qu’ils donnent présentement, mais la perception des citoyens par rapport au service de police va être meilleure », a-t-il déclaré en entrevue à Radio-Canada.

« Vous savez que depuis quasiment trois ans, nos policiers n'ont pas porté l'uniforme régulier. Vous savez que depuis pas loin de trois ans, on a engagé pas loin de 500 policiers qui n'ont jamais porté l'uniforme pour faire leur travail », a-t-il ajouté.

Du côté de l'opposition officielle à l'Hôtel de Ville de Montréal, le conseiller Alex Norris déplore l'état des relations de travail à la Ville.

« On est, bien sûr, en faveur du port de l'uniforme réglementaire des membres du SPVM, mais il est absurde que l'on en soit rendu à légiférer sur la couleur des pantalons de nos policiers. Cela symbolise l'échec du maire Coderre d'arriver à une entente négociée », a résumé le conseiller de Projet Montréal.

La convention collective entre la Ville et la Fraternité des policiers est échue depuis décembre 2014.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.