À la toute fin de 2016, dans le cadre de l'enquête Mâchurer sur le financement politique du Parti libéral du Québec (PLQ), l'Unité permanente anticorruption (UPAC) s'est intéressée aux rénovations faites par Jean Charest à sa résidence de Westmount.

Comme l'a appris La Presse, des enquêteurs de l'UPAC se sont rendus à l'hôtel de ville de Westmount le mardi 8 novembre 2016 pour obtenir tous les documents faisant état des travaux effectués à la maison de M. Charest. Ils ont donc en main une copie de tous les permis de construction délivrés par la municipalité, la description des travaux prévus, leur valeur estimée et l'identité des entrepreneurs et des professionnels impliqués dans chacun des dossiers.

Aucune accusation n'a été déposée contre Jean Charest dans ce dossier.

L'UPAC a procédé avec un mandat de perquisition ordonnant à Westmount de lui fournir les documents en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. La loi stipule qu'un organisme ne peut communiquer un renseignement personnel sans le consentement de la personne concernée, sauf dans des cas précis et selon des conditions strictes. C'est le cas pour un organisme « chargé de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois ».

LA TRACE DE L'ARGENT

Selon l'information recueillie, la police cherchait à connaître la provenance des sommes investies. 

L'ancien premier ministre a fait faire plusieurs rénovations à sa maison centenaire (construite en 1909) depuis qu'il l'a acquise, en 1999. Les registres officiels de la Ville de Westmount indiquent que des permis pour travaux ont été accordés en 2003, 2004, 2015 (deux permis) et 2016. L'évaluation municipale de la résidence est à 1,6 million pour le plus récent rôle d'évaluation.

L'UPAC a refusé hier de confirmer les vérifications concernant les rénovations au domicile de M. Charest. À la Ville de Westmount, on s'est borné à rappeler que « le processus d'accès aux documents publics est confidentiel ».

PARTIE DE PÊCHE ?

Deux proches du PLQ, rencontrés par la police dans le cadre de l'enquête Mâchurer à la fin de 2016, ont par ailleurs confié à La Presse que les enquêteurs s'intéressaient aux rénovations effectuées par Jean Charest à sa résidence de Westmount. Mais ils ne semblaient pas avoir un filon précis à exploiter. « Ils semblaient à la pêche », a-t-on relaté.

Mais une autre source, bien au fait d'un des volets de l'enquête, a toutefois contredit cette affirmation, jugeant que les policiers accomplissaient « un travail de profondeur puisque chaque roche a été soulevée ».

Mais les proches du PLQ rencontrés ont maintenu que le caractère général des questions de l'UPAC pouvait faire sourire. On posait des questions sur des rénovations à la résidence secondaire de M. Charest à North Hatley ; or, il y était locataire, a-t-on rappelé. Et sa résidence à « Montréal », alors qu'il habite Westmount, a également été évoquée.

D'autres questions étaient d'une généralité désarmante, a-t-on raconté à La Presse. Par exemple, on a demandé si M. Charest était membre de clubs privés et quels étaient ses restaurants favoris. « J'avais l'impression d'être à un dîner de cons », a même ironisé l'une des personnes interrogées par l'UPAC à la fin de l'année 2016.

AUCUNE ACCUSATION

Ces éléments s'ajoutent aux révélations faites lundi par TVA et le Journal de Montréal concernant l'enquête Mâchurer et l'intention des policiers d'intercepter les conversations téléphoniques de M. Charest, sans qu'on sache si, finalement, ils en avaient eu l'autorisation par un juge.

En fin de journée, les médias de Québecor ont ajouté que l'UPAC avait envisagé de faire des arrestations l'automne dernier. L'échéancier établi à la fin de 2015 aurait prévu six grandes périodes d'enquête devant se conclure par « l'arrestation et la judiciarisation » des personnes visées par l'enquête.

En réplique hier, Jean Charest a souligné qu'aucun dossier n'avait été transmis aux procureurs.

« Je prends acte de la déclaration du Directeur des poursuites criminelles et pénales à l'effet qu'aucun dossier ne lui a été transmis », a affirmé M. Charest dans une déclaration écrite.

Photo Bernard Brault, La Presse

La maison construite en 1909 de Jean Charest a fait l'objet de plusieurs rénovations depuis qu'il l'a acquise en 1999.

L'enquête Mâchurer sur le financement du PLQ cible une trentaine de personnes. Outre M. Charest et l'homme d'affaires Marc Bibeau, qui agissait comme collecteur de fonds, les enquêteurs ont dans leur ligne de mire l'ex-ministre Line Beauchamp et la responsable du financement du PLQ, l'ex-ministre Violette Trépanier. De nombreux échanges de courriels entre Mme Trépanier et Marc Bibeau sont susceptibles de placer à nouveau le gouvernement dans l'embarras dans les prochains jours, a-t-on appris.

ENQUÊTE INTERNE

En fin d'après-midi, l'UPAC a annoncé qu'une enquête interne était déclenchée afin de déterminer l'origine de la fuite policière. « Il n'est pas dans l'intérêt commun que des documents et des contenus d'enquête soient étalés sur la place publique. Cette divulgation pourrait être lourde de conséquences alors que les enquêteurs de l'UPAC sont maintenant soumis à des pressions inutiles qui pourraient entraver leur travail », a indiqué par communiqué le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière.

Ce dernier a précisé que l'enquête Mâchurer se poursuit d'ici à ce que tous les éléments de preuves soient amassés et analysés et finalement soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales. M. Lafrenière sera soumis aux questions des députés le 4 mai alors qu'il doit témoigner en commission parlementaire dans le cadre de l'étude annuelle des crédits budgétaires.

Dans les officines politiques, certains voyaient dans la fuite émanant de l'UPAC une manoeuvre du commissaire Lafrenière pour bien montrer que son équipe n'avait pas lâché le morceau sur cette enquête délicate. Des sources sûres affirment qu'au contraire, le commissaire Lafrenière est furieux devant une fuite de documents sensibles comme les fiches signalétiques de MM. Charest et Bibeau, qui se retrouvent dans l'espace public.

Les yeux se tournent vers les tensions internes au sein de l'UPAC. Le commissaire Lafrenière a procédé à une réorganisation qui a fait des mécontents.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse