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Les 7 bénéfices que Donald Trump va retirer des frappes en Syrie

En choisissant de frapper une base syrienne, Donald Trump a fait d'une pierre sept coups.

Il a pris tout le monde de court. En envoyant dans la nuit de jeudi à vendredi 7 avril 59 missiles sur la base aérienne de Shayrat en Syrie après l'attaque chimique de Khan Cheikhoun, Donald Trump a prouvé une nouvelle fois à quel point il était imprévisible.

Jusqu'à présent, la ligne du président américain à l'international semblait claire: limiter le rôle des Etats-Unis dans les différents traités, tant commerciaux que militaires, dans le but de "rendre à l'Amérique sa grandeur". Le 30 mars dernier, Rex Tillerson puis Nikki Halley, représentante des Etats-Unis à l'Onu déclarait ainsi que la chute de Bachar al-Assad n'était plus une "priorité" pour les Etats-Unis.

Mais en une semaine, tout a changé. Après avoir condamné, à l'instar de nombreux autres chefs d'état, l'attaque chimique en Syrie, Donald Trump a visiblement décidé de passer à la vitesse supérieure, en envoyant une soixantaine de missiles sur le terrain. Et au-delà des répercussions, encore incertaines, sur la géopolitique mondiale, ce retournement de situation pourrait bien servir les intérêts du président américain, à l'international comme dans les affaires de politique intérieure.

1) Trump est dans la place, et il veut le faire savoir

Les frappes américaines en Syrie marquent la première prise de position de Donald Trump totalement indépendante de l'héritage politique légué par Barack Obama. Elles sont aussi un moyen pour le président de se démarquer de son prédécesseur.

En 2012, Barack Obama avait en effet affirmé que l'utilisation d'armes chimiques en Syrie serait une "ligne rouge" à ne pas franchir. Une déclaration fracassante, qui avait finalement nuit au président américain de l'époque. Car lors du massacre de la Ghouta en 2013, Barack Obama avait fait traîner en longueur la question d'une intervention militaire, avant finalement de se rétracter et de se contenter d'un accord avec la Russie sur la destruction de l'arsenal chimique syrien. La "ligne rouge" avait alors été moquée, y compris par le général Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité de Donald Trump.

En mettant ses menaces à exécution en quelques heures, Donald Trump chercherait-il donc (enfin?) à endosser son costume de chef de l'exécutif? "Soudain, on accorde foi à la parole de Trump. C'est un coup de maître médiatique", analyse Pierre Guerlain, professeur de civilisation américaine, contacté par le HuffPost.

Pour autant, rien ne garantit qu'en matière de popularité, ce pari sera payant: traumatisée par la guerre en Irak puis en Afghanistan, la population américaine est très peu favorable à une nouvelle entrée en guerre. Et la décision de Donald Trump n'est donc pas sans risque pour sa côte de popularité, en baisse depuis le début de son mandat.

2) Impressionner la Chine, la Corée du Nord et l'Iran

Hasard du calendrier, l'intervention américaine intervient pendant la visite du président chinois Xi Jinping. Un timing parfait, qui permet à Donald Trump de montrer son pouvoir sous les yeux de la Chine, avec qui il entretient des rapports délicats.

La rencontre entre les deux chefs d'état s'annonçait en effet "très difficile", marquée par des discussions sensibles sur le déficit commercial et surtout, sur l'utilisation du nucléaire par la Corée du Nord. Mais la décision surprise de Donald Trump a bousculé les priorités et envoyé un message particulièrement fort à l'Asie: le président "est disposé à prendre des mesures décisives, lorsqu'il le faut", comme l'a affirmé ce vendredi matin le secrétaire d'Etat Rex Tillerson.

Un message à prendre avec la plus grande importance en Asie, puisque quelques jours avant sa rencontre avec Xi Jinping, Donald Trump avait lancé un avertissement à Pyonyang: "Si la Chine ne règle pas le problème de la Corée du Nord, nous le ferons", avait asséné le président américain dans une interview au Financial Times.

Autre pays susceptible de regarder attentivement l'offensive américaine, l'Iran, qui entretient des relations tendues avec le nouveau gouvernement Trump. Principal point de crispation entre les deux pays, l'accord sur le nucléaire iranien signé par l'administration Obama en 2015 et régulièrement critiqué par ses successeurs. Depuis, Donald Trump a aussi directement menacé Téhéran, après le tir d'un missile balistique le 29 janvier. "L'Iran joue avec le feu. Ils n'ont pas su apprécier la gentillesse du Président Obama à leur égard. Pas moi!", a tweeté le président en février dernier.

En attaquant la Syrie, le message est clair: Donald Trump, plus que jamais imprévisible, n'a pas peur de mettre ses menaces à exécution.

3) Prendre ses distances avec la Russie

En arrivant à la Maison Blanche, Donald Trump a tout de suite annoncé la couleur: les relations entre les Etats-Unis et la Russie doivent évoluer, le président disant même espérer "une très bonne relation" avec son homologue russe. Mais cette volonté affichée, ajoutées aux soupçons d'ingérence russe dans la campagne présidentielle, ont finalement fait du tort au président, déjà accusé par Hillary Clinton d'être "la marionnette" de Vladimir Poutine.

En attaquant le protégé de Moscou au Moyen-Orient, Donald Trump pourrait donc bien sortir des petits papiers du président russe, qui considère l'intervention américaine comme "une agression contre un Etat souverain". "Avec cette réaction symbolique, Donald Trump veut se laver de tout soupçon d'être une marionnette de Poutine", analyse Pierre Guerlain.

L'attaque suffira-t-elle pour autant à apaiser l'opinion nationale, et faire taire les soupçons d'ingérence? Pas certain, puisqu'une enquête a d'ores et déjà été lancée par le FBI. En revanche, elle "porte un coup considérable aux relations entre la Russie et les Etats-Unis, déjà en mauvais état", a affirmé à la presse Dmitri Peskov, un des porte-parole de Vladimir Poutine, après la frappe américaine.

4) Les alliés? Pas besoin

Depuis son élection, Donald Trump ne cesse de s'en prendre à l'OTAN "obsolète", qu'il considère un gouffre financier pour les Etats-Unis. Il reproche également à l'organisme de défense de ne pas œuvrer assez contre le terrorisme. Avec les frappes de ce vendredi, le président américain se la joue en solitaire, face à une communauté internationale qui peine à réagir.

"Pendant des années, de précédentes tentatives pour faire changer le comportement d'Assad ont toutes échoué, et échoué véritablement dramatiquement. En conséquence, la crise des réfugiés continue de s'aggraver et la région continue d'être déstabilisée, menaçant les Etats-Unis et ses alliés", a déclaré le président américain dans son allocution prononcée depuis sa résidence privée de Mar-a-Lago en Floride. "Ce soir, j'en appelle à toutes les nations civilisées pour qu'elles nous rejoignent afin de chercher à mettre un terme au massacre et au bain de sang en Syrie, ainsi qu'à mettre fin au terrorisme de toutes sortes et de tous types."

En reprenant temporairement et brusquement la tête d'une communauté internationale hésitante, les Etats-Unis ont donc visiblement décidé de donner l'exemple. Tout en réaffirmant leur capacité, tant sur le point militaire que diplomatique, à se lancer dans une offensive unilatérale.

Les frappes américaines n'ont d'ailleurs pas été condamnées par le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg. Dans un communiqué, sans se réjouir ni dénoncer le revirement surprise de Trump, Jens Stoltenberg s'est contenté de déclarer que l'Otan supportait "tous les efforts internationaux dans le but d'apporter la paix et une solution politique en Syrie."

"Toute utilisation des armes chimiques est inacceptable, ne peut rester sans réponse, et ceux qui en sont responsable doivent rendre des comptes. L'Otan considère l'usage des armes chimiques comme une menace à la paix et à la sécurité internationale."

5) Faire plaisir à l'industrie de l'armement américain

Les Etats-Unis restent le principal exportateur d'arme dans le monde, et occupent 33% de part de marché. Ils devancent ainsi la Russie et la Chine. Pour autant, en dépit de cette place dominante, et du budget colossal (582,7 milliards en 2017) alloué à la défense, le retrait des troupes américaines au Moyen-Orient et les coupes imposées par l'administration Obama ont quelque peu refroidi les ambitions des industriels.

En arrivant au pouvoir, Donald Trump, qui a fait de la sécurité américaine une de ses priorités, a pris le contre-pied de son prédécesseur et s'est prononcé en faveur d'une revalorisation de ce budget. Le 27 février dernier, le président américain a ainsi proposé une "hausse historique" du budget militaire en 2018 afin de "reconstruire" l'armée et faire face aux menaces d'un monde "dangereux". L'objectif étant d'atteindre 603 milliards en 2018. L'annonce a immédiatement provoqué une hausse des actions des entreprises sous contrat avec le Pentagone. Mais elle n'a pas été jugée suffisante par le sénateur républicain John McCain, également président du comité des services armées au Sénat, qui a réclamé un budget de 640 milliards en 2018.

En envoyant 59 missiles Tomahawk, d'une valeur unitaire d'environ 832.000 dollars (782.000 euros), le président américain a donc envoyé un nouveau signal positif à l'une des plus puissantes industries américaines, comme l'a souligné Marion Maréchal Le Pen. Et si le bombardement ciblé était sans doute l'option la plus "mesurée" et qu'elle n'engage pas (pour l'instant) les Etats-Unis sur le long terme dans une guerre en Syrie, elle pourrait cependant être interprétée comme la promesse d'un avenir florissant pour l'industrie de l'armement.

6) Faire la paix avec les ténors républicains

Entre Donald Trump et les républicains, c'est une histoire compliquée. Une partie des élus (républicains comme démocrates) a en effet dénoncé l'offensive américaine comme un acte anti-constitutionnel. Mais du côté des ténors du "Grand Old Party", l'heure est plutôt au ralliement, y compris de la part de ceux qui avaient critiqué la réduction du budget alloué à l'international au profit des dépenses militaires.

Parmi eux l'ancien candidat à la présidentielle de 2008 John McCain, et le sénateur Lyndsey Graham qui se sont félicités de cette prise de position contre le régime de Bachar al-Assad et de la rapidité d'action de la Maison Blanche. "Contrairement à la précédente administration, le président Trump a été confronté à un moment charnière en Syrie et a choisi d'agir. Pour cela, il mérite le soutien du peuple américain", ont-ils déclaré dans un communiqué commun.

Même son de cloche pour le républicain Marco Rubio, qui avait qualifié de "désastre" la proposition budgétaire de Trump: "Ce soir, l'attaque contre le régime d'Assad diminuera, nous l'espérons, la capacité du régime à faire des atrocités contre des innocents."

Paul Ryan, président républicain à la Chambre des représentants, et sans doute meilleur critique de Trump dans son propre camp a de son côté jugé l'action en Syrie "appropriée et juste". "Cette attaque tactique démontre que le régime d'Assad ne peut désormais plus compter sur l'inaction des Américains, lorsqu'il commet des atrocités contre le peuple syrien", s'est félicité le sénateur.

7) Détourner l'attention (à ses risques et périls)

Entre la marche des Femmes, le blocage de son décret sur l'immigration et la douloureuse défaite de la réforme sur l'Obamacare, les premiers mois de Donald Trump à la Maison Blanche sont loin d'être un succès en matière de politique intérieure. Il est ressorti affaibli d'à peu près toutes les réformes qu'il a tentées d'engager.

Et pour faire oublier ses déboires, quoi de mieux que de détourner l'attention vers quelque chose d'encore plus énorme? En attaquant la Syrie et en froissant la Russie, Donald Trump a sans aucun doute redirigé l'attention du monde, des médias et des Américains, là où il le voulait: à savoir loin des questions relatives à la gestion de l'Amérique intra-muros.

"Le vrai test pour M. Trump est ce qui vient après"

Et après? En choisissant une offensive très ciblée sur une base syrienne, Donald Trump a souhaité envoyer un message à Bachar al-Assad, sans pour autant modifier radicalement l'implication américaine en Syrie, comme l'a précisé le conseiller à la sécurité nationale H. R. McMaster, cité par le Washington Post.

Mais cet acte soulève néanmoins une foule de questions d'ordre géopolitique. Selon Antony Blinken, secrétaire d'Etat adjoint sous l'administration Obama, qui s'exprime dans les colonnes du New York Times, le véritable test pour Donald Trump commence en effet maintenant.

Car la décision surprise de Donald Trump pourrait marquer un nouveau tournant dans les relations russo-américaines, en pleine guerre contre le terrorisme et alors que Rex Tillerson est attendu à Moscou le 12 avril prochain. Et Washington risque de devoir se prêter à un véritable jeu d'équilibriste: d'un côté, la lutte contre le terrorisme en Syrie, aujourd'hui totalement sous l'égide de Moscou; de l'autre, être capable de critiquer, voire de sanctionner comme aujourd'hui les décisions controversées de Bachar al-Assad. Comme le souligne Antony Blinken, "tout cela nécessitera quelque chose dans lequel l'administration a montré peu d'intérêt: la démocratie intelligente."

Les États-Unis frappent la Syrie

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