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L'espionnage de journalistes a fait disparaître des sources
Radio-Canada

Des sources confidentielles ont cessé de parler à La Presse et à Radio-Canada après les révélations de l'automne dernier selon lesquelles des services de police ont pu espionner les registres téléphoniques de certains de leurs journalistes, ont affirmé lundi les patrons de ces deux médias devant la commission Chamberland.

Un texte de François Messier

« Dans tout ça, on a perdu des sources », a résumé l’éditeur adjoint de La Presse, Éric Trottier, invité à commenter la situation au sein d’un panel également constitué de Michel Cormier, directeur général de l’information à la société d’État, et de Brian Myles, directeur du journal Le Devoir.

Dès que La Presse a révélé, le 31 octobre dernier, que son chroniqueur Patrick Lagacé avait fait l’objet de 24 mandats de surveillance demandés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), l’effet a été immédiat, a mentionné M. Trottier. Ironiquement, l’information a été dévoilée grâce à une source confidentielle, a-t-il précisé.

«Il y a des journalistes qui ont cessé d’avoir des téléphones de façon régulière de leurs sources. Il y a des sources qui nous ont aussi appelés pour nous dire : "Je ne veux plus vous parler" ou "Il faut que vous trouviez une autre façon de me contacter".» - Éric Trottier

« Il a fallu qu’on revoie en gros l’ensemble de nos façons de faire pour nous assurer qu’on ne serait pas poussés indirectement à mettre nos sources en danger », a-t-il commenté.

Selon Michel Cormier, la même situation s’est produite à Radio-Canada, où les registres téléphoniques de trois journalistes d’enquête – Alain Gravel, Marie-Maude Denis et Isabelle Richer – ont été obtenus par la Sûreté du Québec en août 2014, dans le cadre d’une enquête sur un possible acte criminel qui n’a jamais abouti.

« Au-delà de leur indignation personnelle, dès le lendemain, il y a des sources qui les ont appelés en panique en disant : "Mon identité risque d’être révélée." C’est cinq ans de registres téléphoniques qu’on a voulu regarder », a rappelé M. Cormier.

« Ça, c’est des dizaines de sources confidentielles, les enquêtes les plus sensibles que l’émission Enquête a faites dans ses 10 ans d’existence. C’est excessivement dommageable. Il y a des gens qui vivent maintenant dans la hantise que leur nom soit dévoilé », a ajouté M. Cormier, en déplorant que les garanties de confidentialité à ces sources n’aient pu être respectées pour « des raisons externes qu’on juge vraiment excessives ».

«C’est un affront énorme. Ça a aussi des incidences maintenant, parce qu’il y a des sources qui se sont taries, qui ont cessé maintenant de communiquer avec nous. Donc, il y a des enquêtes qui sont mises en cause, qui sont mises en péril en raison de ce qui s’est passé.» - Michel Cormier

La « pire chasse aux sources » de notre histoire

Cette « chasse aux sources » est « la pire de toute notre histoire, en journalisme », a renchéri Brian Myles, qui a aussi dirigé la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Ces activités rendent forcément les sources « craintives » et ont un effet dissuasif sur « toutes les sources que l’on ne rencontrera jamais, qui vont refuser de nous parler » à l’avenir.

Selon le directeur du Devoir, les services de police qui agissent de la sorte cherchent essentiellement à « sanctionner [des taupes], dissuader les autres de faire comme [elles] et tarir [les] sources d’information » des médias, afin de faire taire tous ceux qui veulent témoigner de leur caractère dysfonctionnel.

«C’est un procédé qui est répandu dans des organisations complètement dysfonctionnelles, qui veulent maintenir la centralisation de l’information, contrôler le message et le messager et projeter sur la place publique une image de normalité, alors qu’on sait très bien qu’elles sont dysfonctionnelles.» - Brian Myles

Les trois patrons de presse avaient préalablement témoigné de l’importance du journalisme d’enquête. M. Trottier a dit qu’il s’agissait là de « l’essence même du journalisme » et de la source de la crédibilité d’un média d’information. Le genre vise à « combler le déficit démocratique de nos institutions » et sert « d’instrument de remise en question » ou « d’appel au changement social », a plaidé M. Myles.

Plus tôt en après-midi, l’ex-secrétaire général de la FPJQ Claude Robillard avait aussi témoigné que le journalisme d’enquête, basé le plus souvent sur des sources confidentielles, vise « à mettre à jour des questions d’intérêt public qui n’auraient jamais été portées à la connaissance du public d’une autre façon ».

Les sources, a-t-il expliqué, requièrent le plus souvent la confidentialité parce qu’elles craignent de perdre leur emploi, de recevoir des sanctions, d’être ostracisées, poursuivies ou mises à l’écart dans leur organisation. Elles cherchent aussi à éviter dans certains cas des sévices physiques ou des pénalités financières.

Citant un sondage non scientifique effectué auprès d’une centaine de journalistes du Québec, M. Robillard a soutenu que 87 % des journalistes sont d’avis que leurs sources ne leur auraient rien divulgué sans une garantie de confidentialité. Cette confidentialité n’est cependant jamais absolue, comme l’ont établi des jugements de la Cour suprême.

M. Robillard et M. Trottier ont d'ailleurs tous deux rappelé que ce ne sont pas les journalistes qui ont besoin de plus de protection, mais bien leurs sources d'information.

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