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«La mécanique de l'ombre»: tout droit vers l'embuscade

«La mécanique de l'ombre»: tout droit vers l'embuscade

Pour son premier long métrage, Thomas Kruithof s’infiltre dans l’univers ultra-secret des services de renseignement avec à l’affiche un François Cluzet plus sombre que jamais. En racontant la descente aux enfers d’un chômeur prêt à tout pour retrouver un travail, le réalisateur français dresse le portrait d’un homme à la merci d’intérêts politiques troubles. Entrevue.

Machinations, affrontements et complots politiques: La mécanique de l'ombre aborde le contre-espionnage à travers les yeux d’un citoyen sans histoire prisonnier d’une machination qui le dépasse.

Je voulais parler des affres d’un homme pris dans l’étau d’une organisation secrète. Cet homme, interprété par François Cluzet, se situe en bas de l’échelle sociale. Souvent dans les films d’espionnage, le protagoniste principal est un professionnel, un agent bourré de connaissance. Là, on parle d’un chômeur alcoolique dans la cinquantaine embauché par une organisation secrète. C’est quelqu’un qui ne sait pas et qui ne veut pas savoir. Dans le jargon, ces personnes font ce que l’on appelle du cloisonnement, c’est-à-dire que chaque élément sait ce qu’il a à faire sans en savoir plus.

Le film se révèle au compte-goutte. Pourquoi n’avoir rien précipité comme c’est souvent le cas dans les films d’espionnage américains?

J’avais envie d’un film à suspense dans lequel le spectateur est à égalité avec le personnage principal, qu’on découvre les choses lorsqu’il les découvre, qu’on se pose les mêmes questions et qu’on essaye d’assembler tous les éléments au fur et à mesure que l’intrigue se dévoile. J’ai toujours beaucoup aimé les films et les romans d’espionnage. C’est assez passionnant que d’aborder l’état du monde et les dessous de la politique comme cette peur très contemporaine de la surveillance généralisée.

Le sujet demeure actuel avec l’emprise des réseaux informatiques dont les codes de sécurité sont de plus en plus complexes et fragiles.

Il y a quelques années, j’ai eu cette pensée un peu prophétique que l’informatique allait être un danger. On le voit maintenant avec le phénomène de l’espionnage via internet au niveau des États et des grandes organisations. J’ai lu quelque part que la NSA [l’Agence nationale américaine de la sécurité] avait racheté des machines à écrire et que le parlement allemand conservait dorénavant ses dossiers en papier de peur que les services secrets d’autres puissances y aient accès. La réalité a rejoint ma petite fiction avec une dose de paranoïa. D’ailleurs, à un moment donné dans mon film, le personnage évolue dans un univers qu’il ne comprend pas. Kafka a déjà inventé tout cela, cette espèce de système sans visage qui applique une aliénation sur un individu.

Vous avez choisi comme décor l’univers complexe de l’espionnage avec pour facture esthétique du polar. Que vous inspire ce genre?

En effet, je considère mon film comme un polar à part entière, même si en France on en fait de moins en moins. L’œuvre part de la réalité pour basculer dans une sorte de monde souterrain composé de groupes politiques occultes et de services secrets non identifiés. Tout cela est un peu décalé, étrange, inquiétant et évidemment brutal. Plus le récit se précise et plus le film se dirige vers la nuit. Alors oui, il y a quelque chose du film noir avec des ombres de plus en plus fortes et des couleurs contrastées proche du noir et blanc.

François Cluzet incarne Duval, ce chômeur qui deux ans après un «burn-out» se voit contacter par un mystérieux employeur pour retranscrire des écoutes téléphoniques. Sans se poser de questions, il accepte. Pourquoi l’avoir choisi pour le rôle principal?

À l’écriture du scénario, j’ai évidemment pensé à Cluzet. Mais qu’elles étaient les chances qu’il lise mon scripte et qu’il accepte le rôle? Je me sens très chanceux, car je savais que peu d’acteurs pouvaient jouer ce personnage de peu de mots qui possède la particularité de transmettre beaucoup avec très peu. François a l’incroyable capacité de s’exprimer physiquement par ses gestes et sa démarche et aussi par la profondeur et la finesse de son visage. Je savais qu’il pouvait porter ses aspects d’une personnalité compliquée avec une grande sobriété.

Toute proportion gardée, François Cluzet a déclaré que son rôle lui faisait penser aux djihadistes. Qu’en pensez-vous?

Effectivement, il existe quelques points communs à la différence qu’on n’a pas promis au personnage du film un rêve d’exister. Même s’il est instrumentalisable, Duval a seulement besoin d’un travail. C’est un homme abîmé par la vie. Il a besoin d’argent, mais il a surtout besoin d’un travail pour se sentir bien. Et puis les règles, aussi strictes soient-elles, le rassurent. Il y a là aussi peut-être un parallèle à faire avec les djihadistes.

Au-delà de l’espionnage, vous faites également une critique non dissimulée de la crise économique qui touche votre pays, n’est-ce pas?

Ce n’est pas un film à message. Les spectateurs français ont bien compris que si le personnage ne trouvait pas de travail, c’était pour des raisons principalement dues à son âge. C’est vrai qu’on est dans une situation de crise économique en France où tout le monde s’accroche à son emploi même si celui-ci ne répond pas forcément à ses propres désirs. À ce titre, l’œuvre est en quelque sorte le produit de son temps. L’ouverture qui montre une scène de surmenage est un problème bien français. En effet, chez nous, il y a quelque chose de destructeur au travail.

L’entrevue a été réalisée à Paris grâce à l’invitation des Rendez-vous d’Unifrance.

La mécanique de l’ombre – Drame d’espionnage – TVA-Films – 93 minutes – Sortie en salles le 17 mars 2017 – France.

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