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Des chercheurs tentent de comprendre la popularité des théories du complot

Des chercheurs tentent de comprendre la popularité des théories du complot
Pavel Potapov via Getty Images

La Terre est plate. Les vaccins causent l'autisme. L'ancien président américain Barack Obama a espionné le président actuel Donald Trump. Plusieurs théories du complot circulent ces temps-ci dans ce contexte de "post-vérité", et même la personne la plus rationnelle du monde pourrait être tentée de remettre en question les faits qui lui sont présentés.

La paranoïa généralisée dans la foulée de la victoire du "Brexit" en Europe, puis de l'élection surprise de Donald Trump aux États-Unis, semble avoir affecté plusieurs personnes.

Le professeur d'histoire Jonathan Vance, qui donne un cours sur la panique et la paranoïa à l'Université de Western Ontario, suggère que nous sommes entrés dans une ère "post-Lumières" marquée par une "méfiance de toute personne en position d'autorité et, ou, de responsabilité".

"Nous avons perdu l'appréciation du fait que certaines choses ne font qu'arriver", a-t-il expliqué.

"Nous avons peu d'appréciation, maintenant, des mauvaises choses qui arrivent naturellement. Nous croyons que notre société est si développée que de mauvaises choses ne devraient pas arriver. Et si elles arrivent, c'est parce que quelqu'un en est responsable. Les conspirations nous absolvent de toute responsabilité et nous absolvent de la volonté capricieuse du destin."

Shaquille O'Neal est l'une des dernières célébrités à avoir ramené l'une des plus grandes théories du complot: que la Terre est plate et que nous avons été manipulés à penser qu'elle est ronde. En entrevue à la radio, l'ex-joueur de basketball a affirmé sans ironie apparente qu'il est d'accord avec le joueur des Cavaliers de Cleveland, Kyrie Irving, qui avait fourni une analyse similaire.

"Je conduis de la Floride à la Californie tout le temps, elle semble plate selon moi", a-t-il dit à l'animateur qui semblait incrédule.

"Je ne vais pas en haut en bas dans un angle de 360 degrés. Et toute cette affaire sur la gravité, avez-vous regardé récemment à l'extérieur d'Atlanta et vu tous ces édifices? On veut me dire que la Chine est en dessous de nous? La Chine est en dessous de nous? Non. La Terre est plate", a-t-il conclu.

Peut-être que l'ex-athlète blaguait. Mais la multiplication des communautés d'intérêts sur Internet et la montée des sources d'information alternatives semblent démontrer qu'un nombre important de personnes adhèrent à cette contestation de l'autorité.

De nombreux adhérents

Selon une étude datant de 2014 présentée dans l'American Journal of Political Science, les théories du complot sont beaucoup plus populaires qu'on le penserait _ environ la moitié des personnes interrogées dans huit sondages nationaux disent croire à au moins l'une de celles mentionnées dans l'enquête.

Les citoyens vivent dans une époque incertaine, et les perturbations politiques entraînent davantage d'anxiété et de méfiance, selon Katy Kamkar, une psychologue au Centre de dépendance et de santé mentale de Toronto.

"Quand il y a des changements en cours, ou des transitions, les gens le ressentent émotionnellement", a souligné Mme Kamkar.

Alors comment est-il possible de faire entendre raison à quelqu'un qui lance des déclarations sans fondement ou qui sont largement contestées? L'argumentation n'est sans doute pas la meilleure avenue, selon Sue Johnson, experte en relations.

Dans des situations de stress intense, de peur ou de méfiance, le cerveau agit différemment. "Lorsqu'il y a beaucoup d'émotion, cela change tout. L'émotion teinte la signification que l'on donne aux choses, teinte notre façon de communiquer, teinte tellement de choses", a-t-elle indiqué.

La plupart des gens participent à ces débats de deux façons: ils se défendent et insistent sur leur point ou ils se défendent et se retirent de la conversation complètement.

Le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, en a fait une démonstration frappante lorsqu'il a affirmé que l'investiture de Donald Trump avait attiré "la plus grande audience" de l'histoire. Pourtant, des photos de la première investiture de Barack Obama en 2009 démentaient cette affirmation.

Selon un sondage du "Washington Post" mené auprès de 1388 adultes, un nombre important d'électeurs de M. Trump ont identifié à tort une photo qui représentait selon eux l'investiture du président républicain, alors qu'il s'agissait de l'événement de M. Obama. Environ 15 pour cent des répondants ont insisté sur le fait que l'événement de M. Trump avait attiré plus de spectateurs, même si la photo offrait un tout autre portrait.

Lorsqu'on défend son territoire, les faits deviennent secondaires, selon Mme Johnson.

"On veut croire qu'on a fait le bon choix et que ce choix est bon", a-t-elle affirmé.

Explications physiologiques et psychologiques

Cela s'explique par un raccourci dans notre cerveau. Les signaux qui sont normalement envoyés au cortex - où la réflexion se fait - vont en fait directement vers l'amygdale, où résident la peur et l'émotion.

Ainsi, dans des situations stressantes, notre cerveau est bombardé d'adrénaline et d'hormones de stress, appelées cortisol.

"C'est comme si tout ton être se mobilisait et que ton amygdale disait à ton cerveau: "danger, danger, danger"", a-t-elle relaté. Ainsi, toute l'énergie est utilisée à cette fin et le cerveau n'a plus les ressources nécessaires pour se poser des questions.

Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi certaines personnes croient à ces théories, selon le professeur en psychologie John Turtle, dont les préjugés ou le fait de se préoccuper trop des opinions divergentes. Cela peut aussi s'expliquer par le fait qu'on retire une satisfaction à blâmer quelqu'un.

"Il n'y a pas de donnée qui démontre que les gens qui croient à ce genre de nouvelles ont des différences sur les plans de l'intelligence, de l'éducation et de la religiosité", a-t-il soutenu.

M. Turtle préfère croire que M. O'Neal a tenté de faire de la provocation.

"C'est un homme intelligent qui aime faire bouger les choses, débattre et défendre des points", a-t-il fait remarquer.

"Je ne peux m'empêcher de penser qu'il essaie d'être un peu provocateur (avec l'idée) qu'une opinion en vaut bien une autre, et que les experts sont aussi enclins à faire des erreurs, et à remettre en question l'autorité."

M. Turtle se dit toutefois préoccupé par les récentes remises en question des recherches scientifiques. Récemment, une professeur au secondaire de l'Ontario a fait irruption dans une clinique de vaccination pour dire aux étudiants que les vaccins pourraient les tuer.

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