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Système de paye Phénix: un congé de maternité «ruiné»

Système de paye Phénix: un congé de maternité «ruiné»
Radio-Canada/Ashley Burke

La fonctionnaire Mary O'Donnell est au bord du gouffre financier. Son congé de maternité tire à sa fin, et jamais le système de paye Phénix ne l'aura payée adéquatement. Une précieuse année « volée », dominée par l'angoisse de crouler sous les dettes, alors que le gouvernement lui doit environ 50 000 $.

Un texte de Catherine Lanthier

La fille de Mme O'Donnell est maintenant âgée de 11 mois, et son garçon aura 3 ans en mai. Elle rêvait d’une année débordante de bonheur avec eux. Son congé de maternité aura plutôt été ponctué d’interminables heures au téléphone à tenter de régler ses problèmes de paye.

Les congés parentaux représentent l’une des défaillances majeures du système Phénix, touchant bon nombre de femmes dans une période de vulnérabilité. Une situation « complètement inacceptable », lance Mme O’Donnell, frustrée et déçue par son employeur.

«Je sais que Monsieur Trudeau est féministe. Puis, on a la moitié des membres du Cabinet qui sont des femmes. Mais ça veut dire quoi? Ça fait quoi quand on ne paye pas les femmes qui sont à la maison avec leur enfant?» - Mary O’Donnell, fonctionnaire

Un cauchemar financier

Mercredi, la sous-ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Marie Lemay, a annoncé que le gouvernement était à un « tournant » et que ces situations tiraient à leur fin. Or, les indications reçues par Mme O’Donnell sont tout autres.

La jeune femme est fonctionnaire fédérale depuis 10 ans et elle comptait sur le congé de maternité auquel elle a droit, qui représente 93 % de son salaire.

Sa fille est née en avril 2016, mais la nouvelle maman a continué à recevoir des payes régulières pendant sept mois, bien qu’elle ait signalé la situation au Centre des services de paye de la fonction publique.

En novembre, sans avertissement, plus un cent n’est versé dans son compte. Cette situation persistera jusqu’à la fin du mois de février et elle est encore loin d’être réglée.

Entre-temps, le gouvernement l’informe dans une lettre laconique qu’elle lui doit 20 000 $, et que ce montant sera récupéré dès qu’il sera disponible. La panique s’installe chez les O’Donnell, qui ont déjà épuisé leurs économies et qui ne comprennent pas comment le gouvernement en est arrivé à ce calcul.

Comble du malheur, la mère de deux jeunes enfants ne reçoit aucune prestation de maternité, puisque le Centre des services de paye a failli à sa responsabilité de transmettre les documents nécessaires à Services Canada.

Une année « humiliante »

Mme O’Donnell et son conjoint n’ont pas pu acheter de cadeaux de Noël à leurs enfants. C’est le trémolo dans la voix et la larme à l’oeil que la jeune femme raconte que ce sont leurs proches qui sont venus déposer quelques cadeaux sous le sapin.

Le couple vit à crédit et grâce aux prêts des membres de sa famille. À 37 ans, Mme O’Donnell se sent humiliée de devoir régulièrement quémander de l’argent à ses parents retraités.

«Ça a vraiment ruiné mon congé de maternité. C’est extrêmement difficile sur mon mariage. Il y a des jours où je pleure, puis les enfants ne comprennent pas. Mon fils commence à pleurer parce qu’il voit maman pleurer. Je suis constamment en train de refouler mes émotions.» ― Mary O’Donnell, fonctionnaire

Après des dizaines d’appels qui ne mènent nulle part, un agent de rémunération l’informe finalement qu’elle recevra la totalité des montants dus le 22 février, soit environ 30 000 $. Elle reçoit plutôt un maigre 5000 $, puisque les montants versés en trop auront été récupérés sans son autorisation.

Alors que sa situation n’est toujours pas réglée, Mme O’Donnell doit reprendre le travail le mois prochain. Celle qui peine déjà à acheter des couches à ses enfants ne sait pas comment elle parviendra à payer leurs frais de garde.

Remettre le projet d’avoir un enfant

La situation de Mme O’Donnell fait fulminer les représentants syndicaux, qui se sont pourtant entendus avec le gouvernement pour que les fonctionnaires soient d’abord payés correctement avant que celui-ci ne vienne récupérer graduellement les trop payés.

Selon Larry Rousseau, vice-président de l’Alliance de la fonction publique du Canada pour la région de la capitale nationale, Phénix hante à ce point les fonctionnaires que certains remettent à plus tard le projet de fonder une famille. « Ils veulent plutôt attendre pour avoir la certitude », explique M. Rousseau, qui déplore la situation dans laquelle se trouvent ces nouvelles mamans.

«Au moment où elles ont besoin d’avoir la tranquillité d’esprit pour élever leur enfant, elles sont à vivre un stress qui est quand même incroyable à un moment critique dans leur vie, ça, c’est inacceptable.» ― Larry Rousseau, vice-président régional de l'Alliance de la fonction publique du Canada

De plus, les nouvelles mamans n’ont pas accès à leur dossier en ligne à partir de la maison et sont donc forcées de régler leurs problèmes par téléphone. « Ça prend beaucoup de leur temps; ce sont des employées plus vulnérables », explique la présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Debi Daviau.

Un « tournant » annoncé

Lors de sa dernière mise à jour, la sous-ministre Marie Lemay a reconnu que ces situations sont « extrêmement stressantes ».

La sous-ministre Marie Lemay.

«Nous nous sommes excusés. Je me suis excusée. Ce n’est pas une situation que je voulais qu’ils vivent, que ce gouvernement voulait qu’ils vivent. Ils doivent savoir que nous allons continuer à travailler très fort jusqu’à ce que tout soit résolu.» ― Marie Lemay, sous-ministre des Services publics et de l'Approvisionnement du Canada

La sous-ministre assure que la totalité des montants dus à ces nouveaux parents devrait enfin être versée le 22 mars prochain, dans la majorité des cas.

«Je vois aujourd’hui de bons signes [...] Je dis tout cela, mais nous avons toujours un long chemin à parcourir.»

— Marie Lemay, sous-ministre des Services publics et de l'Approvisionnement du Canada

Pendant ce temps, Mme O’Donnell retient son souffle. « Je suis juste un dossier », lance la fonctionnaire lassée par ces promesses perpétuelles, qui ne se sont, jusqu’à présent, jamais matérialisées.

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